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Joëlle Ceccaldi-Raynaud à la tête de l'EPAD : quand dynasties et passe-droits s'affichent au grand jour

Publié le 05 décembre 2009 par Alchiemy

Hier matin, a eu lieu en France une élection beaucoup moins médiatisée et citoyenne que celle du Président de la République, mais peut-être aussi importante : celle du président de l'EPAD, Etablissement Public d'Aménagement de la Défense.

Ce nom vous dit quelque chose, bien sûr : il s'agit du poste que briguait Jean Sarkozy il y a quelques mois, et auquel il avait finalement renoncé.
L'EPAD, Etablissement Public d'Aménagement de la Défense, est l'organisme qui gère le développement et l'aménagement du quartier d'affaires de la Défense, au point de vue foncier, urbanistique, architectural ; c'est lui qui programme les projets et travaux, les implantations des sociétés sur le territoire de ce quartier d'affaires réunissant 1500 entreprises – dont 14 des 20 premières nationales - sur 160 hectares, formant ainsi le plus grand quartier d'affaires européen.

On peut présager que celui ou celle qui se trouve à la tête d'un tel organisme bénéficie d'un pouvoir exorbitant. Et hier, celui-ci a été remis entre les mains de Mme Ceccaldi-Raynaud, maire de la commune de Puteaux, sur laquelle se trouvent les deux tiers du territoire de la Défense. Mme Ceccaldi-Raynaud est maire de Puteaux depuis 2 ans, et a fait ses premiers pas au conseil municipal par le biais de son père, Charles Ceccaldi-Raynaud, maire de la ville pendant 35 ans, de 1969 à 2004. Charles Ceccaldi-Raynaud a également présidé l'EPAD de 1987 à 1989, et de 1993 à 1998.

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Joëlle Ceccaldi-Raynaud, 58 ans, maire de Puteaux

L'appropriation de ce noeud du pouvoir capitaliste et libéral par l'UMP n'était pas un secret, mais qu'il soit ainsi l'apanage des dynasties n'a jamais été aussi clair qu'aujourd'hui. Comme le titre ironiquement le journal Marianne , "l'EPAD aurait pu avoir un « fils de... » à sa tête, il aura finalement une « fille de... »". Mais l'injure à la démocratie ne s'arrête pas là. Car l'élection en elle-même était gagnée d'avance. Il n'y avaient que 2 candidats à ce poste : Joëlle Ceccaldi-Raynaud, UMP, maire de Puteaux, et Patrick Jarry, PCF, maire de Nanterrre. Les 18 membres du Conseil d'Administration de l'EPAD s'affichaient ainsi politiquement : 4 au PS, 4 à l'UMP...et les 10 autres, hauts fonctionnaires rattachés au gouvernement. 4 voix ont été données au candidat communiste, et 14 à Joëlle Ceccaldi-Reynaud.

Continuons : Jean Sarkozy a finalement été éloigné du poste de président sous la pression des médias et de l'opposition populaire ( il reste quand même un peu de droit à la parole dans ce pays ), mais il n'est pas éloigné de l'EPAD... Il siège bien à l'EPAD comme administrateur pour le département des Hauts-de-Seine, depuis le 23 Octobre 2009.
Or, Mme Ceccaldi-Raynaud a 58 ans, et l'âge maximal pour présider l'EPAD est de 65 ans. 7 ans...voilà qui laisse le temps à l'administrateur de faire quelques pas jusqu'au poste de président, non ?
Notons d'ailleurs qu'elle a soutenu publiquement la candidature de Jean Sarkozy à l'EPAD ( à l'UMP, c'était une des seules à avoir eu cette position : elle a d'ailleurs exprimé des « regrets » sur son retrait ).

Par ailleurs, se dessine en parallèle un autre jeu de chaises musicales : Joëlle Ceccaldi-Raynaud est députée des Hauts-de-Seine, et Présidente de l'EPAD. Elle pourrait lui laisser son siège de députée aux prochaines élections..., maintenant qu'elle se trouve investie de la charge de présidente de l'EPAD.

Cependant, l'ampleur de la manoeuvre ne s'arrête pas là : l'EPAD est puissant, certes, mais il le sera deux fois plus l'année prochaine. En effet, actuellement, il existe deux organismes qui gèrent l'aménagement de la Défense : l'EPAD, et l'EPASA, ou Etablissment Public d'Administration Seine Arche, dirigé actuellement par le maire de Nanterre. Si l'EPAD s'occupe de l'assiette foncière du quartier de la Défense, l'EPASA s'occupe de l'aménagement de l'autre côté du parvis, à savoir côté Nanterre. Pour l'instant, ces deux autorités sont distinctes, mais en 2010, elles fusionneront, pour former l'EPADSA ( Etablissement Public d'Aménagement de la Défense Seine Arche ). Le président de l'EPADSA gèrera alors à la fois l'aménagement public et implantation des sociétés du côté Puteaux et du côté Nanterre – càd tout le territoire de la Défense. Ce qui correspond à un budget de 180 millions d'euros pour cette année : 115 millions d'euros pour l'EPAD, et de 65 millions d'euros pour l'EPASA

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La Défense : au centre, la Grande Arche. Le territoire sur sa gauche relève pour l'instant de l'EPAD, celui sur sa droite de l'EPASA

Mme Ceccaldi-Raynaud est-elle à la hauteur d'un tel poste ? Beaucoup en doutent, au vu de son peu de présence sur la scène politique ( en-dehors de l'enceinte de la ville de Puteaux ). En temps que députée, par exemple, sa participation aux séances est minime: si vous vous rendez sur le site de Nosdéputés.fr, vous pouvez consulter les statistiques sur ses interventions, et constater que le diagramme d'activité de Joëlle Ceccaldi-Raynaud ressemble à l'électrocardiogramme d'une personne dans le coma ( Si vous souhaitez comparer, observez par exemple le diagramme de son collègue UMP Patrick Ollier )

En effet, nombreux sont les journaux à la considérer comme une députée fantôme, cumulatrice de fonctions, mais absente de la scène politique en-dehors de sa ville, et de ses relations avec les Sarkozy. Certains, plus acerbes, vont jusqu'à nier ses capacités politiques. Et pas seulement les journaux de l'opposition : son père, maintenant son adversaire dans ce que les medias appellent la "guerre des Ceccaldi", notamment après une séance municipale houleuse, la qualifie d' "incompétente".

Résumons : un organisme au pouvoir extraordinaire, un pouvoir qui sera encore plus concentré l'année prochaine, est en France entre les mains d'une personne aux capacités critiquées, arrivée en politique par héritage. Et c'est sans nul doute une manoeuvre non déguisée pour ramener, à terme, Jean Sarkozy à la tête dudit organisme, en contournant la voix citoyenne qui s'y est violemment opposée. Si cela avait lieu sur un jeu d'échecs, ce coup aurait la grossièreté, l'évidence et la rapidité du « coup du Berger » ( coup élémentaire appris aux débutants, qui met l'adversaire mat en 4 coups ). Et pourtant, cela se passe, en France, au XXIème siècle.

La conclusion d'après les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, spécialisés dans l'étude des classes dominantes, des dynasties, et de la transmission du pouvoir en famille : si, selon Pierre Bourdieu, la condition de la conservation du pouvoir était d'être caché, il prend aujourdh'ui avec le système Sarkozy un tournant : il ne se cache plus. La transmission des privilèges se fait publiquement.
Cela révèle une assurance insolente, monarchique - une assurance alarmante.


Rappelons qu'Alchiemy n'a ni but, ni couleur politique ( puisqu'il y a quasiment autant d'avis politiques que de membres d'Alchiemy ! ), mais se base sur une curiosité de tout et un goût de l'investigation. Et cette curiosité peut autant mener vers de belles découvertes que vers des réalités révoltantes du monde contemporain...

Sources :
Le Monde,
L'Express,
Libération,
Le Figaro,
Le Parisien,
www.monputeaux.com, blog de l'opposant MoDem à Joëlle Ceccaldi-Reynaud sur la commune de Puteaux, Christophe GREBERT
Wikipédia,
www.nosdéputés.fr,
www.ladefense.fr, site de la Défense, de l'EPAD et de l'EPGD
www.la-defense-seine-arche.fr, site de l'EPASA'

A lire également sur le sujet :
9-2, le clan du Président, Hélène CONSTANTY et Pierre-Yves LAUTROU
Sociologie de la bourgeoisie, Monique PINCON-CHARLOT et Michel PINCON


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