Magazine Journal intime

Des voix dans la nuit

Publié le 15 décembre 2009 par Toulousejoyce

Voilà deux semaines que mon papa était décédé. J'avais eu 12 ans en Aout 1962. Ma mère, ma sœur ainée et moi étions dans la salle à manger... à nous remémorer papa... il faisait très froid en ce tout début janvier 63... c'était un hiver de neige, un hiver très rare à Toulouse où la neige ne se montre et "tient" qu'une fois tous les dix ans... Et encore...

Mon papa est décédé le 21 décembre 1962, deux jours après il neigeait, beaucoup... le temps s'était mis à l'unisson de notre malheur... et le gel figeait la neige salie de la route et tout était patinoire dangereuse... le vent du nord s'était levé et hurlait autour de l'appartement en rez-de-chaussée, contigüe du quartier de Toulouse. Il était environ 20 h 30, la table était desservie, le repas prit sans faim, sans joie.... Ma mère et ma sœur cousaient. J'écoutais le tic-tac du réveil, là, comme cela, sans rien faire, les coudes appuyés sur la table. La télé était éteinte. 1 chaine en noir et blanc, un match de foot ou de rugby. Qu'importe! Le sport à la télé... pas intéressant. Aucune des trois ne disait mot...

Et nous avons entendu crier, à plusieurs reprises...

"Maman, maman .... Maman!"....

Nous avons regardé à la fenêtre... les réverbères éclairaient suffisamment la rue enneigées: pas un chat... le froid glacial dissuadaient même les chiens ou les chats de se baguenauder dans les rues ravagées par cet ébouriffant vent du nord...

C'était la voix d'une jeune enfant, une gamine... mais ce n'était pas une voix terrifiée, une voix "gelée", une voix malade....

"Maman!" cria encore la voix emportée par le vent.

Et, toutes les trois nous nous regardions épouvantées et sidérées....

La voix de ma petite sœur, décédée 4 ans plus tôt.

Un cri d'homme surgit alors en écho "Marinette!". Il semblait venir de n'importe où, de tout autour de la maison...

La voix de mon père. Marinette, le petit nom qu'il donnait à notre mère.

Puis le silence, troublé par le tapage du vent fort dans la rue abandonnée.

Comme nous.

Je n'ai plus entendu ces voix depuis lors.

Je ne crois pas aux décédés qui tentent de contacter les vivants...

Est-ce le vent? Était-ce notre imagination? Il s'était écoulé 15 jours depuis le décès et l'enterrement.... Nous savions bien, nous avions intégré la triste réalité de cette mort brutale et violente. Que nous refusions d'entrevoir mais qui était très probable, mon papa est décédé d'une tumeur au cerveau. En ces années là, cela ne s'opérait pratiquement pas. Mais, à cette époque, un enfant de douze ans était un enfant. Rien à voir avec les préados d'aujourd'hui, biberonnés au net et au portable. Nous étions ignorants, innocents.

 Il existe un "emportement" collectif des foules. Il doit exister des ouvrages traitant de la question. C'est bientôt la date anniversaire. La théorie de la fin du monde dit que le 21 septembre 2012, la terre va disparaître. Je ne crois pas à cette imbécillité. Des fins du monde, j'en ai connu une bonne dizaine depuis que je suis née.

Mais, ce jour de 2012, cela ferait exactement 50 ans que mon papa est décédé. Juste pour moi l'occasion de me souvenir des moments heureux quand la famille était complète. Parce que, personnellement, la fin du monde, pour moi, a eu lieu ce 21 décembre 1962. Oui, le jour du décès de mon papa, ce n'est pas uniquement le monde de mon enfance qui s'est écroulé. C'est aussi mon avenir qui a disparu, d'un coup. Je sais que, aujourd'hui, je peux dire cela. C'est ma réalité à moi.

Nous avons tous des réalités qui nous affectent individuellement dans la grande Réalité de la vie ici-bas.


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