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Quelques petits échantillons de folies littéraires

Publié le 29 décembre 2009 par Araucaria
Quelques petits échantillons de folies littéraires
Rubens - descente de croix
Jean-Philippe de Tonnac : Le passé nous parvient déformé de toutes les manières possibles et surtout lorsque la bêtise se mêle de nous le transmettre. Vous avez insisté aussi pour dire que la culture aime à ne retenir que les pics de la création, les Himalayas, négligeant la quasi-totalité de ce qui n'a pas été vraiment à notre gloire. Pouvez-vous donner quelques exemples de cette autre catégorie de "chefs-d'oeuvre"?
Jean-Claude Carrière : Me vient aussitôt à l'esprit un ouvrage extraordinaire en trois tomes, "La Folie de Jésus", où l'auteur explique que ce personnage était en réalité "un dégénéré physique et mental". L'auteur, Binet-Sanglé, était pourtant un professeur de médecine renommé, qui publia son essai au début du XXe siècle, en 1908. Je cite quelques morceaux d'anthologie : "Ayant présenté une anorexie de longue durée et une crise d'hématidrose, mort prématurément sur la croix d'une syncope de déglutition facilitée par l'existence d'un épanchement pleurétique vraisemblablement de nature tuberculeuse et siégeant à gauche..." L'auteur précise que Jésus était petit de taille et de poids, qu'il était originaire d'une famille de vignerons où on buvait du bon vin, etc. Bref, "depuis mille neuf cents ans, l'humanité occidentale vit sur une erreur de diagnostic". C'est un livre de fou, mais composé avec un sérieux qui force le respect.
Je possède un autre joyau. Il s'agit d'un prélat français du XIXe siècle qui est un jour frappé d'une illumination. Il se dit que les athées ne sont pas des pervers, non, ni des méchants. Ils sont tout simplement des fous. Le remède est donc très simple. Il faut les enfermer dans des asiles pour athées et les soigner. Pour cela, il faut les doucher à l'eau froide et leur imposer chaque jour la lecture de vingt pages de Bossuet. La plupart seront rendus à la santé.
L'auteur, qui s'appelait Lefebre, visiblement très allumé, alla présenter son livre aux grands aliénistes de son temps, Pinel, Esquirol, qui évidemment ne l'ont pas reçu."
Umberto Eco : Notre catalogue de folies pourrait continuer à l'infini. Par exemple, vous connaissez le célèbre docteur Tissot et ses recherches sur la masturbation comme cause de cécité, surdité, démentia precox et autres méfaits. J'ajouterais l'oeuvre d'un auteur dont je ne me rappelle pas le nom, sur la syphilis comme maladie dangereuse parce qu'elle peut amener à la tuberculose.
Un certain Andrieu, en 1869, a publié un livre sur les inconvénients du cure-dents. Un monsieur Ecochoard a écrit sur les différentes techniques pour empaler, un autre, dit Foumel, en 1858 sur la fonction des coups de bâton, fournissant une liste d'écrivains et d'artistes célèbres qui avaient été bastonnés, de Boileau à Voltaire et à Mozart."
Jean-Claude Carrière et Umberto Eco - Rien n'arrêtera la vanité - N'espérez pas vous débarrasser des livres - Grasset -
Toute petite fille, j'admirais les grands qui savaient lire. Je voulais avoir accès aussi au savoir et je devinais qu'il était détenu en grande partie dans les livres. L'expérience m'a appris que ce n'était pas toujours vrai. Je peste souvent contre le temps perdu à lire des ouvrages qui n'en valent pas la peine, insipides, ennuyeux, orduriers. Je me mets en colère lorsque l'auteur se moque manifestement de son public, en osant publier un torchon inintéressant et mal écrit. "C'est ça son livre? Il ose mettre cet écrit sur le marché? Ce texte n'est pas même rédigé en français correct..." Je me souviens alors de mes cours au collège ou au lycée, une copie dans ce genre - éditée et encensée parfois par des "critiques"  - aurait mérité quelle note? Le prof ne l'aurait-il pas jetée dans sa corbeille, fatigué des annotations qu'il devait déposer en marge à l'encre rouge, consterné par le style ou plutôt l'absence de style, affligé de subir la lecture d'un sujet aussi creux... Je suis de plus en plus difficile mais pourtant pas trop mauvais public il me semble... Si je dois faire aujourd'hui un inventaire, il est certain qu'à ce jour j'ai lu plus de mauvais romans que de textes rares, mais cependant, j'estime qu'un livre peut toujours être sauvé à cause d'un chapitre, d'un paragraphe, d'une idée intéressante qu'il véhicule et aussi s'il a été rédigé avec honnêteté... Si je ne trouve rien de tout cela, ma colère éclate. Toutefois, parce que le livre est livre, c'est à dire objet vénéré, je ne peux me résoudre à le mettre à la poubelle ou à le détruire. Ca n'est pas sa faute au livre s'il a été rédigé par un crétin malappris..., je respecte le support même si je peste contre le contenu. Grand désarroi donc si je suis déçue par mes lectures. Je me suis trompée, j'ai fait un mauvais choix. J'ai perdu un temps précieux qui aurait pu être consacré à la découverte de belles lignes. Je suis dépitée. La réaction est différente bien sûr si je me mets en tête de lire des inepties... Elles ne manquent pas sur le marché, donc ma quête ne sera pas compliquée, mais encore faut-il oser faire la démarche!  Coup de chapeau à Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, qui font ici un petit recensement de livres écrits par des fous, ou dont les sujets sont fous. Admiration pour Jean-Claude Carrière qui a rédigé conjointement avec Guy Bechtel un "Dictionnaire de la bêtise". Il faut avoir la foi. Mais ils ont certainement découvert des chefs-d'oeuvre dans ce domaine et passé de bons moments. Oui, si on la cherche, si on la traque, on est heureux de la découvrir, satisfait de se régaler de quelques perles. Si elle nous est imposée le sentiment est différent.
Au sujet de cette enquête sur la bêtise, qui leur a demandé plusieurs années de recherches Jean-Claude Carrière répond : "Ce fut une longue période où Bechtel et moi, nous ne lisions, avec acharnement, que de très mauvais livres. Nous épluchions les catalogues des bibliothèques et, à la lecture de certains titres, nous nous faisions une idée du trésor qui nous attendait. Lorsque vous découvrez dans votre liste un titre comme " De l'influence du vélocipède sur les bonnes moeurs", vous pouvez être certain d'y trouver votre miel." - Eloge de la bêtise - N'espérez pas vous débarrasser des livres - Grasset -
Dommage... "Ma" Bouquinerie des Jardins a fermé ses portes... trop tard... j'y serais allée en quête de ce titre : "De l'influence du vélocipède sur les bonnes moeurs", certaine de passer un bon moment avec cette étude scientifique.

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