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( Suite ) Fidèle comme la Mort

Publié le 03 janvier 2010 par Charlyh

734256110 b34a6c8685 Après une première partie postée aux débuts de ce blog, en voici la suite à défaut de la fin.

Résumé : hospitalisée depuis plusieurs temps, une vieille femme reçoit chaque soir et tardivement la visite d'un petit-fils énigmatique...

Les nuits et visites se suivirent sans se ressembler à l’exception de cet élégant jeune homme installé dans ce fauteuil au chevet d’une malade inconsciente, détruite par la maladie. Le personnel médical changeait d’un soir à l’autre, respectant des tournées précises, et lui demeurait là, tous les soirs, dans ses costumes noirs élégants et modernes. Ses longs cheveux sombres impeccablement coupés et coiffés. Le visage impassible. Il veillait sur le repos de cette amie, de cette femme, de celle qu’on présentait comme sa grand’mère.

Les infirmières de nuit le connaissaient toutes, les autres avaient entendu parler de lui à travers les couloirs du grand hôpital de la capitale, il était un mystère et une attraction muette à la fois. Elles n’avaient plus de secrets pour lui, enregistrées et assimilées dans son esprit vif et silencieux. Aucune ne semblait avoir de préférence selon la rumeur. La jeune infirmière fraîchement diplômée de sa formation l’intéressait : il suivait avec une attention plus particulière mais indétectable le moindre de ses faits et gestes dans cette grande chambre blanche et au silence quasi religieux. Pourtant, jamais il ne lui adressa la parole, ni à aucune autre, durant ces semaines de visites nocturnes.

Un soir, alors que la nuit enveloppait à peine la ville de son voile obscur, Claire, cette jeune infirmière, le trouva déjà là. A son habituelle place, au chevet d’Eléonore, son visage disparaissant dans ses deux grandes mains blanches. Un sanglot ou quelque chose s’en rapprochant berçait la pièce plongée dans l’obscurité la plus totale. Faisant naître doucement un éclairage faible avec le variateur à la porte d’entrée, elle le découvrit encore plus triste que d’habitude. Ses profonds yeux sombres baignaient dans deux filets de pleurs étincelants et brûlants. La jeune femme aux mèches courtes en vint à se pencher vers lui et s’agenouiller dans sa tunique blanche pour l’écouter et lui parler.

Elle est là, se mourant, et je ne peux rien faire. Je ne peux rien faire, répéta-t’il encore en détournant les yeux vers les grandes fenêtres donnant sur le parc verdoyant devenu ombres noires et étranges de fantômes géants et imposants. Je n’ai le droit de rien faire.

Vous en faites bien assez en venant la voir si souvent, vous savez, voulu le rassurer l’infirmière, troublée par cette voix si triste et tremblante comme celle de certaines personnes d’un grand âge.

Vous ne comprenez pas. C’est la seule femme que j’ai réellement aimée en ce monde, ici bas, murmura-t’il, son regard comme intrigué par quelque chose au-delà de la nuit extérieure et par delà ce parc, là-bas, loin vers les immeubles et tours de la cité métropolitaine. Et je ne peux rien pour elle. Rien.

Mais si, mais si, s’empressa de couper la jeune femme, émue par tant d’émotions. Se laissant aller à tendre sa main vers celle de ce jeune homme épris d’une femme pourtant si âgée – sa grand’mère, son unique amour.

Vous êtes tout le réconfort dont elle a besoin et l’amour que l’on peut lui offrir avant qu’elle ne… qu’elle ne…

Disparaisse ? l’interrogea-t’il de ses deux yeux ouverts sur tant de tristesse et de sanglots qu’ils en étaient devenus rougis d’un sang vif et flamboyant.

Claire ne put supporter ce regard à la recherche de tant d’amour et de compassion qu’elle se releva et lui tourna le dos pour se jeter corps et âme dans ses bons soins : demain, nous demanderons au docteur si l’on peut lui transfuser du sang…

Elle est si abattue qu’il faudrait bien le renouveler.

Le sang n’est-il pas la vie ?

Mais, il avait encore disparu sans dire mot et sans faire aucun bruit. Claire regarda par la fenêtre comme pour tenter de percer dans la nuit naissante ce qui attira l’œil de cet homme si loin là-bas. En vain. Un fin souffle vint faire voler le rideau devant elle. Il avait encore disparu comme un fantôme.

Et si elles ne faisaient que rêver ses visites, toutes ?

Le sang est la vie.

Prenez et buvez en tous. Ceci est mon sang, aurait dit le fils de Dieu en partageant le biblique vin avec ses apôtres avant d’être trahi et mourir pour sa foi et ses croyances.

Son sang s’amenuisait, pourrissant de l’intérieur : elle allait quitter ce monde, trahie par son vitae.

Le sien était la vie mais aussi maudit par le mal qui y coulait, condamnant les autres à une mort certaine et une vie de paria.

Son amour pour elle, ses croyances en d’anciens mythes et une toute nouvelle envie de croire aux miracles le torturait pour en pas commettre l’irréparable et se saigner pour elle.

Comment résister à pactiser avec le diable lorsque celle que l’on chérit le plus se meurt devant vos yeux impuissants ? Comment ne pas croire en n’importe quel remède et miracle lorsque l’on est encore jeune et dans la fleur de l’âge ? Comment ne pas vouloir tout faire pour elle ? La médecine moderne et d’aujourd’hui pouvait-elle vraiment quelque chose contre ce mal qui la dévorait de l’intérieur ?

Eléonore recevait désormais régulièrement du sang pour garder son corps altéré en vie. Dans un semblant de vie artificiel. Assisté artificiellement.

Son ‘petit-fils’ toujours aussi anonyme continuait à la visiter avec régularité mais ses disparitions soudaines dès qu’une infirmière ( et même Claire, sa préférée selon une rumeur persistante ) venait à manipuler une de ces poches plastiques de ce sang rouge et liquide surprirent le personnel du corps médical, avant d’être considérées comme une phobie du sang, une hémophobie passagère ou de naissance. Nul ne le sut.

Il s’en allait alors sans aucune mesure précipitamment pour ne revenir que bien plus tard et souvent aux dernières minutes de ces visites exceptionnelles et quotidiennes accordées.

Lorsque Claire, de retour de son congé annuel, entra dans la chambre pour changer le litre de sang, elle ne l’y trouva déjà plus. La chambre restait bercée par la faible lumière artificielle de la veilleuse et les volets clos et enfermant dans cette chambre d’hôpital ces odeurs distinctes et propres à l’endroit.

Le culot en main, elle s’approcha du lit comme à son habitude, et ne remarqua qu’à ce moment là les taches pourpres qui recouvraient le sol plastifié entourant le grand lit mécanique. Les fils de l’intraveineuse n’avaient non plus rien à voir avec ce qu’on apprenait d’une perfusion aux premiers étudiants. Qui donc pouvait avoir aussi mal travaillé ? Elle était la seule personne sortie récemment de ses études employée dans cette aile de l’hôpital. Quelqu’un avait tripoté les tuyaux alimentant Eléonore ! Un comportement irresponsable et mettant gravement en danger la vie de cette vieille dame.

Jamais l’une des infirmières présentes à l’une de ses visites ne l’avait vu venir si tôt. Alors que le soleil déclinait à peine dans ce ciel parisien de couleur rouille, il traversait déjà de son pas assuré et décidé ce couloir menant aux chambres des malades. Son visage semblable à celui d’une statue ancienne : dur et si inexpressif, dénoué d’émotions trahissant son état émotionnel. Et pourtant il n’avait cessé de souffrir avec elle. Avec Eléonore.

L’agent de sécurité effectuant sa ronde dans le couloir à ce moment-là se souvint de leur première rencontre – physique et inoubliable. Son précédant équipier n’était plus là pour en témoigner et il ferait mieux de tenir éloigner ce jeune embauché aux rêves d’ordre et de maintien d’un ordre si désuet. En comparaison avec cette force inconnue.

Les yeux des deux hommes se croisèrent un centième seconde mais suffisamment longtemps pour réveiller en l’un d’eux des peurs si anciennes et ancestrales.

Un homme avait été signalé comme suspect et les deux agents chargés de la sécurité ce soir-là se lancèrent à sa recherche dans le grand établissement hospitalier.

Repérant un homme de « race blanche, dans les vingt-cinq ans, mesurant un mètre quatre-vingt et richement habillé d’un costume noir – comme sa longue chevelure léonine », le binôme demanda à celui-ci de bien vouloir rester près d’eux pour pouvoir lui poser quelques questions. Une requête qui aurait du s’avérer des plus aisée lorsque l’on comparait ce riche jeune homme à ses deux agents musculeux et bodybuildés. Mais il continuait d’avancer dans les couloirs de l’immense hôpital, tournant là et prenant les portes encore ouvertes. Les pas du couple de cerbère se transformèrent un petit trop avant de devenir de larges foulés. En vain.

Ils ne parvenaient pas à remettre la main dessus quand la porte des escaliers menant aux garages souterrains claqua dans leur dos. N’écoutant qu’un message inculqué par leur profession, ils franchirent la porte pour retrouver leur suspect traversant des rangées vides de places de parking.

Arrivé en bout de course et piégé dans un coin de cet immense hall vide de béton et de néons, ils l’imaginèrent à leur écoute – ce qui n’empêcha pas l’un d’entre eux de s’emparer de son tonfa, cette espèce de matraque d’art martial. Le jeune homme resta là, dos tourné.

Et quand son regard sombre vint à se poser sur ses deux assaillants, le descendant d’une longue lignée de fiers guerriers africains sentit les voix de ses ancêtres lui imposer de ne pas toucher cet esprit qui marche parmi les vivants, de reculer et fuir tant qu’il le pouvait encore et de ne pas se retourner. Ne surtout pas se retourner.

Pris d’une fièvre soudaine, ses yeux s’attisèrent tels deux feux ravageant son crâne et ce qu’il contient : son âme ! Haletant et transpirant d’une sueur moite et chaude provocant en lui d’angoissants frissons, les mots qu’il aurait du pouvoir hurler à son collègue ne parvinrent pas à sortir. Et il assista à une scène hors du commun. Son fier collègue caucasien aux origines biens plus mercantiles et futiles fonçait arme en avant sur cet homme immobile – décidé à lui apprendre à qui il devait obéir.

Le cri de rage devant gonfler ce courage téméraire et stupide se transforma vite en cri de douleur multiplié par chaque blessure qu’occasionna l’autre. Esquivant si rapidement le bâton noir qu’on l’aurait cru se dissipant pour se recomposer quelques centimètres plus loin - tel un fantôme ou un mirage : sa main droite vint saisir soudain la main de son agresseur pour se resserrer sur son poignet et le forcer à lâcher son arme contondante dans un premier hurlement. Le craquement des os de son articulation confirmait une certaine connaissance du corps humain mais surtout d’arts martiaux des plus experts. La main droite du massif colosse ayant pris une drôle de position par rapport à son bras, sans doute le jeune agressé décida-t’il de remédier à tout cela et de rétablir une certaine ligne : ramenant cette main brisée dans le dos de son adversaire et s’emparant du bras qui la maintenait de son autre main… Pour séparer l’avant-bras du reste de cette articulation ! Et arracher au géant un nouveau hurlement de douleur qui déclenchait en lui une première vague de larmes – implorant un dieu qu’il n’avait jamais tutoyé de l’épargner.

Le geste d’une rapidité indéterminée et réalisé avec une maîtrise reconnue se termina sur le sol poussiéreux de cette place vide de parking ; quand le visage de l’autre vint s’écraser sur ce bitume peint en bleu et son épaule et ses muscles forceps vinrent se désolidariser de son tronc. La manche droite de sa veste sombre de smoking et le bras y contenu restant là à reposer sur son dos…

L’imposant mais intrépide sportif, habitué des salles de musculation, sombrait déjà dans les tréfonds d’un choc physique coupant toute réactivité de son cerveau et de ses nerfs. La douleur ayant comme court-circuité son esprit. Pourtant sa grosse masse vint encore caresser avec violence le béton du mur avoisinant.

Le nez brisé de cet homme disparut à sa deuxième rencontre avec un élément d’une telle solidité. Et son crâne se fissurer de l’intérieur.

Mais son calvaire n’en était pas fini, devant s’achever avec les deux coups précis et brefs que lui porta le jeune homme au thorax. Un coup de poing s’ouvrant au dernier moment et éclatant de cotes en particules d’os - en témoignait ce bruit immonde -  avant de se rétracter et de devenir un coup de coude venant creuser cette plaie. Le corps du premier agent de sécurité tenait encore debout, pressé contre ce mur et maintenu par le coude de l’autre. Lorsqu’il en éloigna son bras, la carcasse d’un homme dopé aux stéroïdes et à la bière bon marché roula sur le sol. Et un jeune homme endimanché disparaissait déjà au loin vérifiant l’état de la manche de sa veste.

Le second gardien n’avait rien pu faire si ce n’est rendre ce qui fut son repas quelques heures précédentes et pleurer les tourments de ces ancêtres. Ils se trouvaient dans le seul recoin de tous les parkings hors de portée des caméras de surveillance. Il les avait amenés là où il le voulait ?…

Ses aïeuls et leurs aïeuls lui avaient ordonné de se tenir à l’écart et son équipier flottait aujourd’hui dans un état végétatif. Ces mêmes prédécesseurs lui conseillèrent de ne rien dire et il s’exécuta, prenant la direction de cette équipe de surveillance. La famille de cette vieille femme devrait apprendre à régler elle-même se querelles familiales. Il n’y mêlerait plus personne.

Le jeune visiteur passa devant eux et continua sa route vers cette chambre 213. La chambre de Madame Eléonore.

Les petits-enfants de cette femme agonisante et leur père n’avaient-ils pas refusé de reconnaître en ce séduisant jeune homme un enfant illégitime de leur lignée ? Interpellant les services de sécurité pour le rattraper et l’interroger, savoir qui il était en fait… Ce secret ancien et méconnu ne devant pas ruiner les espoirs d’héritage de cette richissime famille.

Celui que le médecin de la malade avait introduit dans l’hôpital comme le petit-fils de cette femme octogénaire se révélait pouvoir être le fils d’un premier enfant naturel de cette femme. Avant ce mariage qui allait voir en naître trois enfants dont ce monsieur aux tempes grises et les petits-enfants reconnus ici présents. Un magnifique jeune homme ressemblant tant au père secret de son propre père !

Un petit-enfant élevé si loin des préoccupations bassement matérielles de sa famille naturelle. Un petit-fils à qui elle aurait aimé rendre secrètement visite des années durant.

Ce soir, ce petit-fils chéri débarquait de bonne heure dans ce couloir pour venir rendre visite à sa bien aimée grand’mère. Ses lunettes de soleil noires venant recouvrir ses tristes yeux sombres.

Après avoir réglé le récent différent familial qui menaçait d’exploser, il se retrouva seul visiteur autorisé dans cette chambre. Les cris et heurts des descendants officiels de cette riche industrielle l’ayant sans aucun doute replongés dans ce coma dont elle venait d’émerger si récemment. Le médecin de famille venue sur place confirma un si étrange pronostic et assura à toutes les personnes réunies que cet inconnu avait pour père l’aîné des enfants de la malade. Comme un ancien notaire, autrefois au service de cette charmante personne. Le premier fils naturel et abandonné de cette famille n’avait eu qu’un enfant, qui lui connu le sourire de son aïeule et ses visites. Et maintenant il venait rendre cet amour à une femme au crépuscule de son existence…

Seul visiteur de la chambre 213. D’Eléonore (...)

En espérant que cette suite plaisent à ceux et celles qui avaient lu ou non la première partie.
Et en attendant la fin. Une prochaine fois.

2001
Tous droits réservés, Charly


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