Magazine Nouvelles

4 janvier 1747/Naissance de Vivant Denon

Publié le 04 janvier 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


     Le 4 janvier 1747 naît à Givry (aujourd’hui en Saône-et-Loire) Dominique Vivant Denon.


     Graveur et administrateur français, Dominique de Non, destiné par son père à faire carrière dans la magistrature, monte à Paris pour y faire fortune. Ses talents d’homme du monde élégant et raffiné lui attirent les bonnes grâces de la gent féminine. Peu enclin à s’adonner à la chicane et préférant de loin la fréquentation du peintre Boucher, Denon se voit chargé par Louis XV de la conservation du cabinet des Médailles de la Pompadour. Et nommé gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi.
     De ses nombreux voyages et expéditions ― diplomatiques et artistiques ―, Denon rapporte nombre de dessins, de relevés et de récits de voyage. Dont un Voyage en Sicile et à Malte, publié en 1788. Auteur d’une comédie ― Julie ou le Bon Père (1769) ― qui ne remporta pas à la Comédie-Française le succès escompté, et d’une nouvelle brillante, Point de lendemain, qui lui fut longtemps contestée, cet érudit et collectionneur doit à sa carrière d’archéologue et d’administrateur impérial, davantage qu’à ses succès littéraires, d’être entré dans la légende.

    Denon rapporte de l’expédition d’Égypte un Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte (1802). Cette même année, le Premier Consul le nomme directeur général des Musées. Promu baron d’Empire, Denon est chargé des constructions prestigieuses de la colonne Vendôme, de l’arc de triomphe du Carrousel. C’est également à Denon que l’on doit l’idée de l’éléphant de la Bastille, destiné à commémorer les fastes de l’expédition d’Égypte. Éléphant immortalisé dans Les Misérables par Victor Hugo qui fait du ventre du pachyderme le refuge de Gavroche. En 1815, sommé par les alliés de restituer les œuvres d’art conservées au Louvre, Denon démissionne de son poste de directeur général des Musées. Il consacre ses dernières années à accroître ses propres collections, parmi lesquelles figure le Gilles de Watteau. Et à ses travaux personnels qui comptent un important recueil de lithographies publié en 1829 : Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes.

    Le baron Vivant Denon s’éteint le 27 avril 1825 dans son appartement du quai Voltaire.

Boucher, Dame attachant sa jarretière

Source

POINT DE LENDEMAIN La lettre tue, et l’esprit vivifie.
E.D.S.P. 1

    J'aimais éperdument la comtesse de *** ; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna : et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. Elle était amie de Madame de T..., qui semblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans que sa dignité fût compromise. Comme on le verra, Madame de T... avait des principes de décence, auxquels elle était scrupuleusement attachée.
    Un jour que j'allais attendre la comtesse dans sa loge, je m'entends appeler de la loge voisine. N'était-ce pas encore la décente Madame de T... ? « Quoi ! Déjà ! me dit-on. Quel désœuvrement ! Venez donc près de moi. » J'étais loin de m'attendre à tout ce que cette rencontre allait avoir de romanesque et d'extraordinaire. On va vite avec l'imagination des femmes ; et dans ce moment, celle de Madame de T... fut singulièrement inspirée. « Il faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule d'une pareille solitude ; puisque vous voilà, il faut... L'idée est excellente. Il semble qu'une main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir ? Ils seraient vains, je vous en avertis ; point de questions, point de résistance... appelez mes gens. Vous êtes charmant. » Je me prosterne... on me presse de descendre, j'obéis. « Allez chez monsieur, dit-on à un domestique ; avertissez qu'il ne rentrera pas ce soir... » Puis on lui parle à l'oreille, et on le congédie. Je veux hasarder quelques mots, l'opéra commence, on me fait taire : on écoute, ou l'on fait semblant d'écouter. À peine le premier acte est-il fini, que le même domestique rapporte un billet à Madame de T..., en lui disant que tout est prêt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant d'avoir pu m'informer de ce qu'on voulait faire de moi.
    Chaque fois que je hasardais une question, on répondait par un éclat de rire. Si je n'avais bien su qu'elle était femme à grandes passions, et que dans l'instant même elle avait une inclination, inclination dont elle ne pouvait ignorer que je fusse instruit, j'aurais été tenté de me croire en bonne fortune. Elle connaissait également la situation de mon cœur, car la comtesse de *** était, comme je l'ai déjà dit, l'amie intime de Madame de T... Je me défendis donc toute idée présomptueuse, et j'attendis les événements. Nous relayâmes, et repartîmes comme l'éclair. Cela commençait à me paraître plus sérieux. Je demandai avec plus d'instance jusqu'où me mènerait cette plaisanterie.
    « Elle vous mènera dans un très beau séjour ; mais devinez où : oh ! Je vous le donne en mille... chez mon mari. Le connaissez-vous ?
    ― Pas du tout.
    ― Je crois que vous en serez content : on nous réconcilie. Il y a six mois que cela se négocie, et il y en a un que nous nous écrivons. Il est, je pense, assez galant à moi d'aller le trouver.
    ― Oui : mais, s'il vous plaît, que ferai-je là, moi ? À quoi puis-je y être bon ?
    ― Ce sont mes affaires. J'ai craint l'ennui d'un tête-à-tête ; vous êtes aimable, et je suis bien aise de vous avoir.
    ― Prendre le jour d'un raccommodement pour me présenter, cela me paraît bizarre. Vous me feriez croire que je suis sans conséquence. Ajoutez à cela l'air d'embarras qu'on apporte à une première entrevue. En vérité, je ne vois rien de plaisant pour tous les trois dans la démarche que vous allez faire.
    ― Ah ! Point de morale, je vous en conjure ; vous manquez l'objet de votre emploi. Il faut m'amuser, me distraire, et non me prêcher ».
     Je la vis si décidée, que je pris le parti de l'être autant qu'elle. Je me mis à rire de mon personnage, et nous devînmes très gais.
    Nous avions changé une seconde fois de chevaux. Le flambeau mystérieux de la nuit éclairait un ciel pur et répandait un demi-jour très voluptueux. Nous approchions du lieu où allait finir le tête-à-tête. On me faisait, par intervalles, admirer la beauté du paysage, le calme de la nuit, le silence touchant de la nature. Pour admirer ensemble, comme de raison, nous nous penchions à la même portière ; le mouvement de la voiture faisait que le visage de Madame de T... et le mien s'entretouchaient. Dans un choc imprévu, elle me serra la main ; et moi, par le plus grand hasard du monde, je la retins entre mes bras. Dans cette attitude, je ne sais ce que nous cherchions à voir. Ce qu'il y a de sûr, c'est que les objets se brouillaient à mes yeux, lorsqu'on se débarrassa de moi brusquement, et qu'on se rejeta au fond du carrosse. « Votre projet, dit-on après une rêverie assez profonde, est-il de me convaincre de l'imprudence de ma démarche ? » Je fus embarrassé de la question. «    Des projets... avec vous... quelle duperie ! Vous les verriez venir de trop loin : mais un hasard, une surprise... cela se pardonne.
    ― Vous avez compté là-dessus, à ce qu'il me semble ».
    Nous en étions là, sans presque nous apercevoir que nous entrions dans l'avant-cour du château. Tout était éclairé, tout annonçait la joie, excepté la figure du maître, qui était rétive à l'exprimer. Un air languissant ne montrait en lui le besoin d'une réconciliation que pour des raisons de famille. La bienséance amène cependant Monsieur de T... jusqu'à la portière. On me présente, il offre la main, et je suis, en rêvant à mon personnage passé, présent, et à venir. Je parcours des salons décorés avec autant de goût que de magnificence, car le maître de la maison raffinait sur toutes les recherches de luxe. Il s'étudiait à ranimer les ressources d'un physique éteint par des images de volupté. Ne sachant que dire, je me sauvai par l'admiration. La déesse s'empresse de faire les honneurs du temple, et d'en recevoir les compliments.
    « Vous ne voyez rien ; il faut que je vous mène à l'appartement de monsieur.
    ― Madame, il y a cinq ans que je l'ai fait démolir.
    ― Ah ! ah ! » dit-elle.
    À souper, ne voilà-t-il pas qu'elle s'avise d'offrir à monsieur du veau de rivière, et que monsieur lui répond :
    « Madame, il y a trois ans que je suis au lait.
    ― Ah ! ah ! » dit-elle encore.
     Qu'on se peigne une conversation entre trois êtres si étonnés de se trouver ensemble !
    Le souper finit. J'imaginais que nous nous coucherions de bonne heure ; mais je n'imaginais bien que pour le mari. En entrant dans le salon : « Je vous sais gré, madame, dit-il, de la précaution que vous avez eue d'amener monsieur. Vous avez jugé que j'étais de méchante ressource pour la veillée, et vous avez bien jugé, car je me retire ». Puis, se tournant de mon côté, il ajouta d'un air ironique : « Monsieur voudra bien me pardonner, et se charger de mes excuses auprès de madame ». Il nous quitta.
     Nous nous regardâmes, et pour nous distraire de toutes réflexions, Madame de T... me proposa de faire un tour sur la terrasse, en attendant que les gens eussent soupé. La nuit était superbe ; elle laissait entrevoir les objets, et semblait ne les voiler que pour donner plus d'essor à l'imagination. Le château ainsi que les jardins, appuyés contre une montagne, descendaient en terrasse jusque sur les rives de la Seine, et ses sinuosités multipliées formaient de petites îles agrestes et pittoresques, qui variaient les tableaux et augmentaient le charme de ce beau lieu.
    Ce fut sur la plus longue de ces terrasses que nous nous promenâmes d'abord : elle était couverte d'arbres épais. On s'était remis de l'espèce de persiflage qu'on venait d'essuyer, et tout en se promenant, on me fit quelques confidences. Les confidences s'attirent, j'en faisais à mon tour, elles devenaient toujours plus intimes et plus intéressantes. Il y avait longtemps que nous marchions. Elle m'avait d'abord donné son bras, ensuite ce bras s'était entrelacé, je ne sais comment, tandis que le mien la soulevait et l'empêchait presque de poser à terre. L'attitude était agréable, mais fatigante à la longue, et nous avions encore bien des choses à nous dire. Un banc de gazon se présente ; on s'y assied sans changer d'attitude. Ce fut dans cette position que nous commençâmes à faire l'éloge de la confiance, de son charme, de ses douceurs. « Eh ! me dit-elle, qui peut en jouir mieux que nous, avec moins d'effroi ? Je sais trop combien vous tenez au lien que je vous connais, pour avoir rien à redouter auprès de vous ». Peut-être voulait-elle être contrariée ; je n'en fis rien. Nous nous persuadâmes donc mutuellement qu'il était impossible que nous pussions jamais nous être autre chose que ce que nous étions alors.
    « J'appréhendais cependant, lui dis-je, que la surprise de tantôt n'eût effrayé votre esprit.
    ― Je ne m'alarme pas si aisément.
    ― Je crains cependant qu'elle ne vous ait laissé quelques nuages.
    ― Que faut-il pour vous rassurer ?
    ― Vous ne devinez pas ?
    ― Je souhaite d'être éclaircie.
    ― J'ai besoin d'être sûr que vous me pardonnez.
    ― Et pour cela il faudrait... ?
    ― Que vous m'accordassiez ici ce baiser que le hasard...
    ― Je le veux bien : vous seriez trop fier si je le refusais. Votre amour-propre vous ferait croire que je vous crains ».
    On voulut prévenir les illusions, et j'eus le baiser.
    Il en est des baisers comme des confidences : ils s'attirent, ils s'accélèrent, ils s'échauffent les uns par les autres. En effet, le premier ne fut pas plus tôt donné, qu'un second le suivit, puis un autre : ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation, ils la remplaçaient ; à peine enfin laissaient-ils aux soupirs la liberté de s'échapper. Le silence survint ; on l'entendit (car on entend quelquefois le silence) : il effraya. Nous nous levâmes sans mot dire, et recommençâmes à marcher […]

1 : Épîtres de Saint-Paul. La citation en exergue provient de la seconde épître aux Corinthiens.

Vivant Denon, Point de lendemain, in Romans libertins du XVIIIe siècle, Éditions Robert Laffont, 1993, pp. 1299 sqq.


Retour au répertoire de janvier 2010
Retour à l' index des auteurs
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle

» Retour Incipit de Terres de femmes

Retour à La Une de Logo Paperblog