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Emacié

Publié le 04 septembre 2007 par Frédéric Joli

Depuis qu’il se prend pour un auvergnat, Fernand en a l’accent. Ses “s” sont des “ch” et certains mots deviennent, en sa bouche, rigolos. Emacié par exemple.

Le pauvre bougre qui errait tout à l’heure dans le parc et que mon bon eut le plus grand mal à asseoir à la grande tablée pour le convaincre de manger, portait le visage maigre et grave du erre trop habité. Aurore s’agitait aux fourneaux comme Mata Hari frictionnait le bougre d’un alcool odorant. Elles riaient comme il convient de le faire parfois face à un cas désespéré.

-Trouvez pas patron, que chon visage émachier, grouina Fernand la malice proche du naturel ?

- Et tu trouves ça drôle, m’assombris-je vers son oreille au lobe épais. Crois-tu que ce pauvre aime à chier ? Non.

- Rooooo, patron chi on peut plus déconner.

Le type construit en anguleux fardeau déplia de longs bras secs pour timidement refuser le festin d’Aurore. La lune était grosse, si grosse que Christiane Chouin, la sage femme du village, me téléphona toute en inquiétude :

- Elle est à terme ? Son col est ouvert de combien ?

- La lune n’est pas grosse à ce point, chère amie, la rassurais-je, lorgnette en improbable speculum.

Christiane me souhaita la bonne nuit.

Le type jeûnait, fossoyaient imperceptiblement des joues.

Fernand le prit dans ses bras et le porta de la cuisine jusque sur les hauts du château car la nuit était douce et la lune plus ronde encore. Il l’assit dans le transat, de profil, en contre-nuit, une couverture sur les genoux. Je lui fis la conversation. Il ne répondait pas mais m’écoutait c’est sûr, car ses yeux clos en rides frissonaient parfois.

Comment ramener ce pauvre homme à la vie, à la joie, telle était l’obsession de mon excès d’humanité. Il était triste à en pleurer

Lorsque la lune grosse eût fini son travail et s’abaissait tout en chair vers l’horizon un peu con, j’ordonnai au vieux bougre d’ouvrir grand cette bouche qui semblait une plaie. Il s’exécuta.

Alors, en course sans malice; la lune grosse s’enfouit du profil béant, grossier. L’aurore apparut, ruisselante de la lumière.

Le vieux au visage émacié, au gosier encombré, appaisé, repu et presque heureux, demanda alors à Fernand les toilettes.

- Patron, patron, il aime à chier, cha y est, il aime à chier !

Je souris de toute ma possible modestie puis m’en retournai sur les hauts du château voir où en était Aurore.

Le vieux dormait maintenant et je savais Fernand lui mesurer les pieds pour tenter, dès son réveil de le convertir au port du mocassin à glands

Comme il ne savait rien de son identité, il fut décidé que nous l’appellerions Gobelune, Iréné Gobelune.

Le PS de Fernand Mondain : Si vous cherchez le patron, il doit être ici


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