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17. Roger Federer

Publié le 05 janvier 2010 par Irving
Roger Federer visite l'hôpital aujourd'hui, mais c'est pas comme si j'aimais le tennis. Mon voisin de lit m'a rabâché le nom du sportif toute la matinée, tant et si bien que j'en suis venu à demander aux infirmières de lui donner un sédatif. Mais entre suisses ils ont préféré s'entraider, et c'est moi qui y ai eu droit.
Un anesthésiste m'explique que je me sens persécuté, en me demandant de cracher mon chewing-gum. Il me tend une poubelle, et déplore que l'opération ait lieu aujourd'hui pendant la visite de Federer.
-Moi je le verrai, ajoute-t-il, mais vous quand vous vous réveillerez il sera sans doute parti.
-Je regarde pas le tennis.
-Moi non plus. Mais ici il est plus aimé que Gandhi. Il donne une image glorieuse de notre peuple à l'étranger.
-Pas tant que ça, vous savez. On continue à se foutre pas mal de vous.
Il me jette un coup d'œil un peu haineux, en me demandant de compter jusqu'à dix. Il pose un tuyaux géant sur mon visage, qui englobe ma bouche et mon nez. J'arrive pas à croire que la dernière phrase que je laisserai à la postérité si je meurs pendant l'opération soit pour pour rabaisser les suisses.
Je n'ai pas le temps de compter jusqu'à dix que je sombre dans un profond sommeil. Juste au moment ou je change d'avis et décide de vivre avec ma tumeur.
Je plonge la tête la première dans le monde abyssal contenu dans mon crâne. L'obscurité est plus palpable que d'habitude, plus sombre. Elle est dense comme de l'eau, et je lutte pour avancer car chacun de mes mouvements créé un courant qui m'emporte. Je distingue des silhouettes qui nagent autour de moi, avec des rires moqueurs qui me parviennent déformés et monstrueux. Certainement des gobelins.
C'est comme si j'allais me noyer dans le monde pesant de mon esprit, comme si mes os allaient céder sous la pression et la noirceur de certaines certitudes. On flotte parce que c'est tout ce qu'on sait faire. Et on veut pas savoir ce qu'il y a au fond de l'abysse, alors on raconte à tout le monde qu'il n'y a ni haut ni bas.
Mais pas moi. J'agite les jambes pour plonger vers ce qui me semble être le fond de l'univers. Il fait de plus en plus sombre à mesure que j'avance. Après quelques brasses, j'aperçois une ville au loin, qui me redonne le sens des perspectives.
C'est alors que je réalise à quelle vitesse vertigineuse je chute vers l'abysse. La ville se rapproche à toute allure, et très vite je comprends que c'est Paris. Avec le néant au delà du périphérique, parce que j'ai un esprit assez étriqué. Les immeubles haussmaniens deviennent des camion lancés à pleine vitesse contre moi, et c'est lorsque j'arrive à finalement distinguer des piétons que j'en viens à admettre que je vais me crasher la gueule.
Je ferme les yeux aussi puissamment que possible. Je mets mes bras devant ma tête, comme si ils pouvaient me protéger d'une chute de plusieurs kilomètres. Je sens un choc sourd qui engourdit tout mon corps, comme si je passais d'une densité de liquide à une autre. Le nouveau liquide c'est de l'eau, je le sais avant même d'ouvrir les yeux.
Mon dos vient doucement heurter une surface solide, et mes poumons se remettent à fonctionner normalement. Je commence à étouffer, et me débats vigoureusement, ce qui me fait très vite sortir de l'eau. En aspirant une grande gorgée d'air, j'inspecte les environs autour de moi.
Je suis chez moi. Littéralement.
Je suis dans ma baignoire, dans ma salle de bain, dans mon appartement. Je m'extrais de l'eau, et tente de reprendre mes esprits. Des bruits me parviennent du salon, à travers la porte. Des bruits de combats et de créatures hurlantes.
Je réajuste ma robe d'hôpital trempée, et je pousse la porte. Xavier est en train de jouer sur mon ordinateur, pendant que Vincent dort tout habillé sur mon lit. Je donne des petits coups sur le mur pour capter l'attention de Xavier. Il se retourne vers moi, et m'annonce qu'il a emprunté mon personnage.
-Je comprends pas pourquoi tu prends toujours le magicien, râle-t-il. Un chevalier c'est tellement plus efficace...
-Moi je suis le magicien, pas le chevalier, dis-je.
-C'est sensé être profond, comme phrase ?
Vincent grogne dans son sommeil, et se retourne. Je vais m'assoir sur le canapé, un peu chancelant. La vie va comme ça, on est à Genève mais on est aussi à Paris. On est partout à la fois, et c'est épuisant. J'attrape une cigarette dans le paquet de Xavier, qui me reproche de ne pas attendre sa permission. Je lui demande pourquoi ils sont chez moi.
-On est plus en sécurité ici, m'explique-t-il. Tu verras quand tu rentreras que c'est vraiment la merde à Paris. Alors, c'est bien la Suisse ?
-Je suis en train de me faire opérer.
-C'est bien, mec. Ça veut dire que t'as fait le bon choix.
-Ouais.
Vincent peste contre un serveur imaginaire qui lui a apporté de la salade, et demande un steak avant de s'installer sur le dos. J'essaye de faire des ronds de fumée, pour me donner un air décontracté, mais sans succès. Je crois que je sais de quoi j'ai envie.
J'annonce à Xavier que j'ai un truc à faire, en attrapant des vêtements. Je regrette un peu d'avoir laissé mon manteau d'hiver à Genève. Je confie à mon ami que Roger Federer visite l'hôpital dans lequel je suis.
-Franchement, le monde tourne un peu trop autour des tennismen, me répond-il. Tu vas quand même pas sortir ?
-Si.
-Fais-moi confiance, tu ferais mieux de rester ici.
J'enfile le plus gros pull que je trouve et me dirige vers la porte. Vincent maugrée que son steak pue le foutre et traite son serveur de pédé. Xavier m'avoue que je manque un peu au moustachu. Je souris et réponds que je finirai par rentrer, avant de sortir de l'appartement.
Je descends les escaliers quatre à quatre, et me laisse cueillir par la fraîcheur de la rue. Je me presse vers le métro pour le trouver fermé.
Je décide de faire preuve de courage et de me lancer à l'assaut de la ville. J'accélère mon pas et rencontre sur ma route des rues désertes, jonchées de débris. Je passe devant plusieurs boutiques éventrées, et de nombreuses voitures retournées.
C'est comme si Paris avait été bombardée, c'est le même calme froid et cinglé qui y règne. Le soleil bas de l'après-midi se reflète sur les débris de verre dont les trottoirs sont couverts, et la rue est envahie par une lumière aveuglante. Je marche pendant une bonne heure sans croiser personne, et je ne sais pas trop si je traverse le répit d'après ou d'avant la catastrophe.
Je pousse la porte de l'immeuble que je cherchais, qui a l'air relativement épargné, malgré quelques tags qui proclament la mort prochaine du président. Je monte les escaliers et remarque qu'un léger picotement se fait sentir dans mon genou, à l'endroit où se trouve ma tumeur. Je sonne chez Martine, et elle m'ouvre d'un air surpris.
-Tu es pas vraiment là, c'est ça ? me demande-t-elle.
-Je suis en train de me faire opérer.
Elle a un sourire un peu mélancolique, que je ne lui avais jamais vu. Elle m'invite à rentrer, et je vais m'assoir sur le canapé pour masser mon genou, qui me brûle un peu. Je lui demande pour l'emmerder gentiment si cette fois elle m'a attendu.
-Le problème, répond-elle, c'est que j'arrive pas à trouver quelqu'un d'aussi con. Alors je t'attends.
-Je rentre bientôt.
-De toute façon, je vais aller passer un mois ou deux à Marseille, il paraît que c'est plus sûr. Alors rentre pas trop vite.
-Je ferai ce que je peux.
Elle s'allume une cigarette, et me fait le plus beau sourire de la journée. Elle m'embrasse du bout des lèvres, comme si elle craignait que je sois un fantôme. Et soudain, une douleur fulgurante s'empare de mon genou. Je hurle par réflexe, et Martine écarte ses bras de moi subitement, et fait tomber un bibelot.
Je me recroqueville sur le canapé, sentant une lame entailler ma chair au niveau de la rotule. Je crois que dès que je reviendrai, je vais avoir une longue discussion avec l'anesthésiste. J'annonce à Martine que l'opération commence, et sans rien dire, elle s'assoit à côté de moi et passe sa main sur ma joue. Je m'excuse de n'être toujours pas bien rasé, mais elle me répond qu'elle s'en fout.
Je prends mon mal en patience. En position fœtale, la tête posée sur les cuisses de Martine, j'essaye de ne pas penser à mon genou. J'ai l'impression que nous restons des années ainsi, comme des statues affaiblies. Imperceptiblement, je sens des frissons parcourir son corps chaque fois je pousse un petit gémissement, et si je ne la connaissais pas un peu je jurerais qu'elle va se mettre à pleurer.
Les nuages défilent par la fenêtre, ça et là contrecarrés par des colonnes de fumée s'élevant de la capitale. Les heures passent pendant que je serre les dents, et ni Martine ni moi n'osons dire un mot.
Puis la douleur s'estompe un peu, après une attente interminable. Je prends de grandes inspirations, et déplie péniblement mon corps trop grand. Comme tout à l'heure dans la rue, je n'arrive pas à me situer avant ou après la catastrophe.
Martine me demande comment elle aura de mes nouvelles maintenant qu'il n'y a plus ni internet ni téléphone. Je lui explique qu'elle n'aura pas besoin d'être rassurée, parce que j'irai forcément bien. Que je me serais pas fait chier comme ça pour aller en Suisse, sinon.
Je sens mon corps devenir plus léger, plus flottant. Comme si l'air devenait peu à peu liquide. J'explique avec empressement à Martine que je vais devoir y retourner. Elle m'embrasse et me demande de lui ramener du chocolat.
-Fais gaffe pendant le trajet, dis-je.
-C'est à toi qu'il faut dire ça.
Elle a raison. Un courant violent m'emmène en tourbillonnant vers le plafond, que je traverse sans abîmer. Je passe ainsi plusieurs étages, et me retrouve projeté au dessus de Paris. Je ferme les yeux et me laisse bercer par le clapotis de l'air dans mes oreilles. Mon corps est transporté à toute vitesse dans l'univers intangible.
Le truc c'est qu'on ne sait jamais se situer par rapport aux catastrophes, c'est pour ça que toutes les prédictions sont fausses, et que le futur nous échappe autant. On est trimballé à pleine vitesse à travers des océans inconnus, et même si souvent on a des intuitions, au final on sait jamais où on va atterrir.
J'ouvre les yeux. Mon genou me brûle, et le visage de Roger Federer m'observe avec bienveillance. Ce n'est pas que le monde tourne autour des tennismen, c'est qu'il ne tourne que pour eux. Et que je n'arrive pas à tenir une raquette correctement.
Aux côtés de Federer se trouve une infirmière qui m'explique que le sportif a accepté d'attendre que je me réveille pour venir me visiter.
-Tu vas le faire, mec ! m'encourage-t-il.
Faire quoi, ça j'en sais rien.
Notes : -Rendre scène avec Martine moins niaise
-Développer le personnage de Roger Federer
Prochainement : Martine introuvable

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