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Freddy la fronde

Publié le 06 janvier 2010 par Jlk

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Freddy Buache, 86 ans, grand passeur du 7e art, pionnier de la Cinémathèque suisse, à Lausanne, sera l'invité de celle-ci au soir du mercredi 13 janvier prochain, dès 20h.30, à l'initiative de Frédéric Maire, le nouveau directeur, et de son équipe.

Il faut du temps pour devenir jeune », disait Picasso qui n'a jamais cessé de l'être. Et Freddy Buache non plus, sous ses longues mèches chenues d'éternel bohème râleur et passionné, n'a jamais cessé de faire la pige à la décrépitude d'esprit. On attendra, et Lausanne surtout, le lendemain de sa dernière révérence pour le classer monument culturel national, comme il y a droit au titre d'indomptable pionnier défenseur du cinéma. Du moins ce jour peut-il être l'occasion de rappeler, et notamment aux générations d'après 1945, l'aventure personnelle inénarrable et les combats de ce franc-tireur dont l'esprit libertaire éclaire tous les paradoxes.

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Le fils du cafetier de Villars-Mendraz devenu l'une des références de la défense et de l'illustration du 7e art sur la Croisette de Cannes ou la Piazza Grande de Locarno, disciple de Sartre et d'Edmond Gilliard à 20 ans, cofondateur des Faux-Nez et de la Cinémathèque suisse après sa rencontre décisive avec Henri Langlois, fut à la fois un agitateur culturel intempestif et un bâtisseur tenace sinon rigoureux dans l'archive « scientifique », autodidacte et supercultivé, marginal et ralliant à sa cause des gens de pouvoir de tous les bords, égocentrique comme tous les créateurs et payant de sa personne sans compter.
Freddy Buache aurait bien aimé défiler, au 1er Mai de ce millésime finissant, sous le drapeau noir. Mais celui-ci n'est plus qu'une relique. Le blues des regrets va pourtant de pair avec l'éclat de rire ou le rebond de révolte du gauchiste jamais aligné, dans la vaste soupente de grand goût qu' il occupe à Lausanne avec son épouse journaliste et écrivain Marie-Madeleine Brumagne, à la Vallombreuse, en cette maison sous les arbres centenaires où vécut Benjamin Constant.
Mais au fait: comment ce cap des 80 ans apparaît-il à Freddy Buache ? « Ecoutez, lorsque je constate la jeunesse d'esprit de types comme Starobinski, Lévi-Strauss ou Oliveira, qui ont largement passé cet âge, ou que je découvre le dernier film de Chris Marker, je me dis qu' il n'y a pas vraiment de quoi paniquer … Il est vrai que j'ai eu de la peine à sortir de mon activité. Cela s' est d'ailleurs manifesté par une casse, physiquement parlant, puis je me suis remis. A partir de là, j'ai pensé que la meilleure solution, aujourd'hui, était d'opter pour le silence. Nous vivons dans un monde de bavardage où, finalement les seuls qui ont encore un point d'appui sont ceux qui ne parlent pas. Je suis donc devenu de l'ordre des silencieux. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des conversations … avec d'autres silencieux.
Freddy la fronde
« Je voudrais pourtant ajouter autre chose: à savoir qu' il y a eu, par rapport à ce que j'ai pu faire, une coupure énorme, liée à l'arrivée de la télévision. L'essentiel de mon travail est lié à une époque où un film était une chose rare, qu' il fallait de surcroît préserver de la destruction. Sans avoir l'esprit d'un collectionneur, j'ai dû faire ce travail, qui s' effectue aujourd'hui dans de tout autres conditions. C'est pourquoi il est très difficile de comparer ce que j'ai pu faire avec ce qui peut se faire aujourd'hui. »
Lorsqu' on lui demande comment il perçoit le monde actuel, Freddy Buache hésite visiblement entre le rejet désabusé, lié au règne de la publicité et du marketing, de la profusion mercantile ou du tout-culturel insignifiant, et un reste d'espoir que lui souffle sa générosité naturelle.
« Je ne dis pas que tout soit foutu, poursuit-il, mais je reste sceptique devant cette surabondance creuse. Je partage l'idée de Jean-Luc Godard selon lequel la culture relève de la règle, alors que l'art procède de l'exception. Regardez le dernier film d'Angeloupoulos, Eleni. A mes yeux, c'est un œuvre valable pour les vingt ans à venir, mais encore faut-il savoir lire ce film de plans-fixes dans lequel il ne se passe à peu près rien. Résultat: insuccès total ... »
Il faut rappeler alors, en quelques traits, ce que fut l'époque du jeune Buache.
« Autant que je me souvienne, et du fait de ma situation sociale, j'ai toujours été révolté. Dans mon coin, inquiétant mes parents qui trouvaient que je lisais trop, j'ai découvert Rimbaud et les surréalistes à l'adolescence et très vite je me suis passionné pour le théâtre et le cinéma, qui ne coûtaient pas cher, fréquenté Le Coup de Soleil de Gilles et, malgré ma timidité, j'aimais faire un tour au musée en sortant du collège ou me pointer à la sortie des artistes pour y rencontrer un Roger Blin. Sartre a pourtant été la grande influence de ma jeunesse, avant la rencontre d'Henri Langlois qui présentait une exposition au Palais de Rumine et grâce auquel, ensuite, j'ai plongé dans le monde foisonnant du Paris d'après-guerre, avec les caves de Saint-Germain-des-Prés et la Cinémathèque française. »
Choisissant, avec son compère Charles Apothéloz, de rester à Lausanne au lieu de « monter » à Paris, Buache va se trouver mêlé à la vie culturelle lausannoise en participant au premier Ciné-Club et au lancement des Faux-Nez, à l'inauguration légendaire de la Cinémathèque (en présence d'Erich von Stroheim) et à l'animation du journal Carreau où signaient un Edmond Gilliard ou un Charles-Albert Cingria, entre découvertes éclatantes (un Artaud) et polémiques. Plus tard, ce sera la participation à l'établissement d'une loi sur le cinéma, l'aventure de l'E xpo 64 avec Max Bill et son ami Tinguely, Mai 68 au Festival de Locarno qui lui décernera en 1996 son Léopard d'honneur, la Cinémathèque enfin installée à Montbenon — tout cela sans jamais interrompre son soutien aux réalisateurs suisses et son activité de critique de cinéma (dès 1959 à La Tribune de Lausanne, à l'invite de Marc Lamunière qu' il gratifie au passage d'un salamalec chaleureux) et de passeur-prof-conférencier ne désespérant pas de révéler Orson Welles ou Antonioni aux étudiants de la dernière pluie acide.
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Jamais lié à aucun parti, quoique proche des trotskistes, Freddy Buache n'en a pas moins été, toujours, suspect aux yeux de maints vigiles de l'ordre établi. « J'ai vécu, par rapport au monde, une chose que je ne peux pas laisser de côté, et c'est d'avoir été une victime de la guerre froide », constate-t-il en se rappelant que la moindre rencontre avec tel attaché culturel des pays de l'E st, ou le moindre rendez-vous avec un Godard jamais trop bien rasé, lui auront valu la collection de fiches d'un véritable ennemi de l'Etat. De la même façon, le premier lieutenant Buache aura dû se battre contre une exclusion de l'armée injustifiée selon lui, qu' il affrontera avec l'appui du libéral Fauquex et du radical Chevallaz ...
De fait, le béret rouge de Freddy la fronde ne l'a pas empêché de frayer avec les humanistes de toute tendance, de Jean-Pascal Delamuraz à Vladimir Dimitrijevic, avec lequel il lança une prestigieuse collection de livres de cinéma à L'Age d'Homme, ou de Luis Bunuel à Claude Autant-Lara, entre tant d'autres. Aux dernières nouvelles, son ouvrage sur Daniel Schmid vient d'ailleurs d'être réédité. En outre, sous le titre Passeur du 7e art, Michel Van Zele lui a consacré un film produit par AMIP et qui sera présenté à Locarno dans la section Ici et ailleurs, en première internationale.


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