Magazine Journal intime

L’homme qui avait froid

Publié le 09 janvier 2010 par Stella

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Il a déplié ses doigts gourds un à un, comme étonné de les voir encore là au bout d’une longue nuit de froid. Ses gants de laine avaient des allures de mitaines. Puis il s’est étiré, laissant glisser le carton qui l’avait mal abrité ces dernières heures. Il était plein de neige, cette “neige de riches” faite de petits flocons serrés qui s’accumulent et blanchissent les rues. Une neige faite pour faire du ski… A ne pas confondre avec la “neige de pauvres”, des gros flocons aériens qui dansent dans le vent et s’évanouissent dès qu’ils touchent le sol, mouillant les trottoirs et glaçant les passants. “Ben ça, m’voilà transformé en bonhomme de neige… grommela l’homme qui avait froid. Manquerait plus qu’les gosses me lancent des boules de neige ! Remarque, ça s’rait drôle… ajouta-t-il, joyeux brusquement dans ce dialogue entre lui et lui. Il plissa les yeux pour un sourire intérieur, interpelé peut-être par un lointain souvenir.

Il s’assit en boule, rajustant sa grosse écharpe et ce bonnet de marin qui, s’il n’avait pas navigué sur toutes les mers, n’en avait pas moins connu quelques océans de bitume depuis le temps lointain où il avait été acheté dans une boutique de Saint-Malo. Son regard glissa le long de la rue encore endormie, guettant l’intrus. Il allait falloir se lever pour soulager, le plus discrètement possible, une envie pressante. Pas question de se faire ramasser par les “bleus”, même pour quelques heures au chaud. Préférait rester seul avec ses souvenirs. Des images qui se levaient derrière ses yeux gris. Souvenir de l’odeur de la cheminée encore tiède au petit matin, du café brûlant et un peu rapeux, de la neige crissant sous les pieds. Souvenir d’un autre monde, d’une autre vie, d’une autre planète.

L’homme qui avait froid ne souhaitait ni café, ni pain chaud. Il ne souhaitait rien du tout. Il était là, comme ça, sans rien, seul avec lui-même, fuyant la compagnie, renfermé et bougon. Un ours. De temps en temps, il tolérait la vue d’un gars de l’Armée du Salut et acceptait un pull, des chaussettes. Il n’y avait pas de paroles, juste un geste. Du respect, de part et d’autre. Dieu existe. Je sais.

L’homme qui avait froid regarda le ciel, blanc, presque lumineux. Il se leva et rajusta sa grosse parka fourrée. Une aubaine, ça…  un coup de bol. Enfonçant ses mains gelées dans ses poches, il attrapa son havresac dont il secoua la neige et se mit en route. Boulevard Arago, il y a une soupe populaire.


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