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La Mémère

Publié le 15 janvier 2010 par Didier54 @Partages
La MémèreTu sais quoi ? Je viens de me rendre compte que je ne connais pas ton prénom ! Ou alors je ne m'en souviens plus. Tu es décédée depuis une grosse dizaine d'années, maintenant. Tu as accompagné ma vie d'enfant, puis d'adolescent. J'ai en tête les sardines à l'huile que tu étais la seule à savoir me faire aimer, avec leurs tartines de beurre. En tête également l'atelier du Maurice, si bien rangé, où j'aimais aller renifler, qu'il ne supportait pas que je visite. J'ai toujours aimé les ateliers. Les outils. Un côté sombre, usagé, gris, brillant, pratique. Mystérieux, pour moi. Si révélateur en même temps des occupants. Certains entretiennent un joyeux bordel, d'autres affichent une discipline étincelante.
J'ai en mémoire ma main dans la tienne alors que de chez nous, nous allions vers chez toi. Souvent cette image en tête, une main d'enfant, dans une main d'adulte.
Nous marchions le long de la route. Parfois, nous prenions le chemin qui coupait à travers jardins et déboulait dans le lotissement. Je n'ai pas souvenir que nous parlions. Tu avais le silence occupé, méticuleux.
Maurice était dans son fauteuil. Toujours ou presque. Il avait le teint rosacé, je ne pensais pas à mal. Parfois je le faisais sourire, je me sentais heureux. C'était mettre un peu de lumière. Un taiseux, lui aussi. Il lisait son journal en attendant la prochaine partie de pétanque, son petit tour dans le jardin ou sa pêche. Un ancien de la SNCF au mot rare. Il prenait parfois le car pour aller à la ville du coin. Ou le vélo.
Tu t'installais au bord de la fenêtre, près de ta machine à coudre. Tu regardais la rue. Tu suivais les allées et venues des uns, des autres. Tu devais savoir plein de choses.
Chez vous, je lisais France Dimanche et le Reader Digest. Parfois, il y avait la télévision. Vous regardiez des jeux, les chiffres et les lettres aussi. Avec le Manu, nous faisions d'interminables parties de foot ou de billes dans ce long couloir qu'un jour, à notre grande joie, vous avez recouvert d'une moquette forcément épatante.
Tu étais pour moi la mémère, c'est ainsi que je t'appelais, qu'on m'avait appris à t'appeler.
Tu avais évoqué un jour ta tristesse. Le Manu ne vous avait plus jamais donné signe de vie après que ses parents aient divorcé. Votre fille était partie loin. Elle avait la nouvelle rare. Tu avais beaucoup espéré du téléphone. Il sonnait peu.
Je suis incapable de faire l'inventaire de tout ce que tu m'as appris. Tu faisais le ménage chez mes parents. Tu gardais le petit quand ils étaient au boulot. Nous avions nos lundis, mardis, jeudis, vendredis. C'était mon autre vie. Ni celle des mercredis, ni celle des samedis et des dimanches. J'aimais venir vous voir, puis te voir, plus tard, même quand la vie me conduisait vers d'autres horizons et plus d'autonomie. Vous faisiez partie de mon périple. Je m'asseyais. On se donnait des nouvelles. J'aimais ouvrir la porte en bas, grimper les escaliers, entrer chez vous. Chez moi, aussi.
Tu me faisais penser à mon grand-père. La parole rare. Le regard plein. Le geste juste. La présence sans bruit. Comme cela pouvait suffire, parfois, pour un enfant. Être là. C'est tellement fort.
Tu sais quoi ? Je m'en fiche de connaître ton prénom. Je te remercie.

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