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Chrétien et philosophe: Jean Luc MARION

Publié le 21 janvier 2010 par Perceval
  • Jean-Luc MARION, philosophe et professeur à la Sorbonne et à Chicago, est un spécialiste de Descartes, un phénoménologue ; il a développé une nouvelle approche de Dieu, débarrassée des pesanteurs de l’Etre, pour mieux reprendre cette question. Il écrit : L’idole et la distance (1977) et Dieu sans l’être (1982).

Le philosophe Jean-Luc Marion, est reçu jeudi 21 janvier sous la Coupole, au fauteuil du cardinal Lustiger


Chrétien et philosophe : comment articulez-vous cette double appartenance ?

Jean-Luc Marion : Je suis philosophe, exactement comme d’autres sont pilotes de ligne, ingénieurs, ou banquiers ! C’est un métier comme un autre, qui relève de l’ordre de la connaissance, dirait Pascal. L’identité chrétienne n’est pas du même ordre que la rationalité philosophique. Il existe des philosophes qui ont des opinions religieuses, et heureusement !

scolastique

Mais il n’y a pas en soi une « philosophie catholique », ou une « philosophie chrétienne ». C’est le propre des idéologies, comme le marxisme, que de vouloir baptiser les sciences humaines. La révélation chrétienne ne dépend pas d’une philosophie, Dieu merci ! Mais il est vrai que je me suis intéressé à la théologie car la philosophie passe son temps à aborder la théologie. Notamment lorsque j’ai écrit Dieu sans l’être . Je ne me suis pas posé la question de l’articulation entre ma foi chrétienne et la philosophie, mais plutôt la question du droit de la philosophie de parler de Dieu, de la révélation chrétienne, et le problème des limites.

Le choix que l’on a proposé aux catholiques entre les deux postures, progressiste ou conservatrice, était faux. D’autres, comme Urs von Balthasar, Karol Wojtyla ou Jean-Marie Lustiger ont au contraire relu le Concile dans une perspective différente, à la lumière des Pères de l’Église, dans un mouvement de redécouverte patristique. La revue Communio a soutenu ce mouvement, et cela fait 35 ans que cette revue, principalement gérée par des laïcs fonctionne, sans subvention.


Ne craignez-vous pas cependant aujourd’hui un repli identitaire de la part des catholiques en France ?

Non, je ne crois pas, ce n’est pas un mouvement important. Les catholiques français sont en train de comprendre ce que doit être leur rôle, cela ne va pas de soi. Ils sont une minorité, mais la minorité la plus importante, qui doit avoir voix au débat.
Certains chrétiens se crispent dans un état caduc et passé de la philosophie, appartenant à une époque scolastique, où la rationalité était définie de manière restrictive, où la confrontation entre foi et raison n’existaient pas. Mais ils n’ont rien compris aux enjeux actuels.


Justement, pourquoi insistez-vous ainsi sur le lien indissoluble entre foi et raison ?

Je crois que nous sommes arrivés à un moment clé de cette réflexion. Ceux qui opposent foi et raison ont une vision de la foi comme n’ayant pas de logique. Or il y a une logique de Dieu dans la révélation chrétienne, car Dieu c’est le logos, la raison. Et les mêmes qui nient cette part de recouvrement de la raison par la foi reconnaissent aujourd’hui que nous nous trouvons face à une crise de la rationalité : qui peut, après le XXe siècle, dire ce que l’on entend par raison ?
La frontière entre le rationnel et le non rationnel n’a plus rien d’évident. La science n’est plus la vérité absolue comme on a voulu le croire, le progrès scientifique prend désormais aussi l’aspect d’une menace, c’est tout à fait évident avec la crise écologique.
Dans ce que j’appelle cette « inquiétude rationnelle », les chrétiens ont toute leur place, et leur contribution peut être fondamentale. À condition qu’ils n’apportent pas au débat des convictions frénétiques, mais des positions raisonnables. « Raison garder », voilà ce pour quoi les chrétiens sont peut-être qualifiés, car leur Dieu n’est pas un Dieu de la toute-puissance irrationnelle, mais le Dieu du logos.

 Penser autrement « la mort de Dieu », objet de l’Idole, et la distance (1977) en considérant cette mort comme, avant tout, la mort d’un concept, d’une certaine primauté de l’Etre et du « Dieu moral ». Il considère ce retrait du divin comme l’ultime figure de la révélation. En somme, dit-il 1/ Le Dieu qui est mort est une représentation (une idole) contre lequel il faut lutter 2/ Dieu, lui, est mort sur la croix et est donc en retrait – manière, pour nous, d’éprouver la filiation.

 Penser autrement l’amour et la charité. Dans Le phénomène érotique (2003) il indique, au début de son livre, que la « philosophie ne dit aujourd’hui plus rien de l’amour, ou si peu », qu’elle « n’aime pas l’amour » et que nous constatons un « divorce » entre la philosophie et l’amour, que nous vivons « dans un grand cimetière érotique ». Il y a, dit-il, une « rationalité érotique » et l’amour en relève.
Source: ( La Lettre d'information de Canal Académie )


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