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Comment briller en société… ou pas

Publié le 27 janvier 2010 par Evainlondon

- Tu ne devrais pas avoir le droit de parler aux gens. En tout cas, pas aux inconnus, soupire Prince en refermant la porte, consterné. 

Après ce soir, je suis bien forcée de lui donner raison. La plupart de mes proches sont des amis de longue date, qui sont plus ou moins habitués à mon manque de tact et les dégâts occasionnés sont généralement minimes. Enfin, la plupart du temps.

Sur un coup de tête, j’avais décidé d’inviter nos voisines du dessus à venir prendre un verre à la maison. Prince n’étant pas très liant, l’aspect « vie sociale » de notre couple m’incombait en effet à Paris ; alors, pourquoi pas à Londres ?

Il faut savoir que, sur le papier, nos voisines sont probablement le fantasme d’une bonne partie de la gent masculine : un couple d’Asiatiques lesbiennes. Consciente d’être sur un terrain plus que glissant en écrivant ces lignes, je préfère couper court à l’imagination : la première est jolie, sans plus, tandis que l’autre… eh bien, ressemble plus à un adolescent grassouillet et binoclard qu’à la vision sensuelle qu’en ont les innombrables individus qui tapent avec espoir dans Google ces deux mots magiques : « Asiatiques lesbiennes ».

Si Prince, lui, n’affiche pas sa déception en faisant la connaissance des deux jeunes femmes (qu’il n’avait pas encore rencontrées ; il pouvait donc encore nourrir l’espoir d’une soirée grivoise), c’est moi qui sombre rapidement dans le politiquement incorrect.

Je ne suis pas complètement sûre d’avoir affaire à un couple jusqu’à ce que l’une pose négligemment la main sur la cuisse de l’autre. Bon, là, je suis fixée. Avant que vous m’accusiez d’être coincée, voire un peu homophobe sur les bords, je vous arrête tout net : c’est juste qu’à force de tenter désespérément d’avoir l’air normale, je débite encore plus d’âneries que d’habitude.

Au début, je me tiens encore à peu près correctement. Musique d’ambiance, chips aux parfums psychédéliques comme les Anglais savent si bien en inventer : 

Comment briller en société… ou pas

(en l’occurrence, mangue et cheddar, mais on avait le choix entre cheddar/échalotes caramelisées, vinaigre, roast beefs et chips de panais… et encore, ce n’est qu’un mince échantillon), bonne bouteille de vin : nous réussissons à trouver des sujets de conversation pendant pas loin d’une heure. Un exploit pour Prince qui, de manière générale, pense qu’il vaut mieux éviter de parler aux inconnus, et pour moi qui malgré les apparences suis très facilement intimidée.

Puis, catastrophe : un silence qui s’éternise. Un soupir d’ennui. Je perds le contrôle de la situation et, prête à tout pour relancer la conversation, je m’écrie (prise de court / prise d’une soudaine inspiration malheureuse) :

- Vous avez déjà regardé la série The L-word ?

Comment briller en société… ou pas

Même haussement de sourcils chez nos deux interlocutrices. Consciente de creuser ma propre tombe, je poursuis néanmoins :

- Mais si, vous savez, la série qui parle d’un groupe de lesbiennes, ça se passe à Los Angeles…

Deux paires d’yeux, non, trois en comptant Prince à côté de moi, me dévisagent comme si je venais de me mettre à danser toute nue en pleine réunion de travail. Non, pardon, plus horrifié que ça. Je m’enfonce et bégaie :

- Vous devez en avoir entendu parler… elle a eu beaucoup de succès…

Pathétique tentative de rattrapage : je voulais évidemment dire que si elles en ont entendu parler, ce n’est pas parce qu’elles sont lesbiennes, ça ne me pose aucun problème bien sûr, mais parce que la série est très populaire. Pas qu’auprès des lesbiennes, hein, auprès de gens comme moi aussi.

Nos voisines prennent congé peu après. Prince souligne négligemment que généralement, il est mal vu de faire allusion à la sexualité de ses invité(e)s, en particulier la première fois qu’on les rencontre. 

J’ai dû oublier les règles de base de la vie en société en traversant la Manche.


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