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Marie-Florence Ehret/L’or des jours

Publié le 06 février 2010 par Angèle Paoli
Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme »
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  Nous vivons dans un monde que la poésie elle-même a travaillé à désenchanter. Dépouillée de ses oripeaux usés, la nature nue n’en est que plus enchanteresse ― le poème alors est un miroir tendu au vide dans lequel le poète voit miroiter l’or des jours, paillettes virtuelles que la langue révèle.

Marie-Florence Ehret


le soupir dans lequel s'épanouit le sourire du bouddha

Ph., G.AdC


L’OR DES JOURS

0n a chanté la ville ses éclats
de voix de lumière de rire
on a chanté ses peuples
ses cours ses miracles

le tremblement de l'eau
de l'oiseau ou de l'herbe
la lente sauvagerie végétale

la Beauté de tout bord
et on l'a injuriée.

On a chanté les labyrinthes
où se perd le chanteur
qui se cherche et se plaint

le moi ses mille et un mensonges
ses manies ses petites morts
et sa langue mielleuse

l'intervalle divin du silence
le soupir dans lequel s'épanouit
le sourire du bouddha

Tous les chants sont usés
mis en boite
en cubes en disques en vers
réduits développés chiffrés
déchiffrés
criés balbutiés éructés
ânonnés
archivés

reste
l'enfantine la claire
l'obscure
nécessité de chanter

                                               chaque instant veut l'éternité du chant

Je chanterai l'olivier stérile
penché sur l'abîme aux pentes vertes
je descendrai
     entre les châtaigniers
                                                  les chênes,
                                                               les ronces
                                                                             les bouleaux
et tous les entrelacs végétaux anonymes
unis pour entraîner les anciennes terrasses de pierre
que les hommes d'autrefois avaient maçonnées de leur sueur

j'irai jusqu'au cours d'eau
qui ne voit jamais le soleil

Je chanterai le cocotier velu
ses palmes jaunissantes
sous sa tête verte

Je chanterai le figuier célibataire
un peu plus haut chaque année
ses fruits à peine formés qui
tombent au sol et je chanterai ses racines
qui préparent en secret
l'effondrement de la maison

je chanterai le pêcher frêle
que ses quatre pêches épuisent

le laurier sombre et parfumé
qui descelle pierre à pierre l'ancien mur

je chanterai le rosier survivant
sans fleurs sans feuilles
branche sèche dans la terre
lançant dans le ciel
de jeunes tiges vertes
hautes et presque nues

la sauge nouvelle
lentement jaillie
d'un pied qui paraît mort

le citronnier en pot
qu'on rentre pour l'hiver

je chanterai aussi
le bourdonnement des insectes
la chute brutale et prématurée d'une figue
je chanterai le chant
des oiseaux leurs pépiements
leurs gazouillis leurs cris leurs croassements
le chant des cigales
le chant du vent
le saut du chat dans l'herbe sèche

et tant pis si nos bras
sont trop petits les mots
trop rares trop
pauvres pour embrasser
l'étendue et la multiplicité
d'une seule seconde
de perception

même si
mon chant passe aussi vite
que ce qu'il chante

même si
nul ne l'écoute jamais

même si
je dois chanter sans bouche
sans voix sans art
sans mot presque
je chanterai
chaque aujourd'hui

Marie-Florence Ehret
D.R. Poème inédit de Marie-Florence Ehret (à paraître aux Editions Dumerchez)
pour Terres de femmes



Voir aussi :
- (sur le site du Printemps des poètes) la fiche bio-bibliographique de la Poéthèque consacrée à Marie-Florence Ehret.



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