Magazine Journal intime

Le Feu

Publié le 12 février 2010 par Eric Mccomber

Quand j'étais môme, il y avait un foyer dans la maison familiale. J'ai pu apprendre les rudiments. Puis, dans les camps de survie et tout ça, j'ai même su comment allumer un feu avec des silex et en frottant des brindilles dans un sillon. Malgré tout, quand je suis débarqué à Flaux, j'ai eu tous les problèmes du monde à enflammer les bûches dans le poêle de la Patronne.
La première fois, ça devait être le deuxième ou le troisième matin, tout le monde était allé faire des courses et j'était seul dans la cabane. Je me dis que ça serait gentil de ma part de faire un feu. Eh bien, sans blagues, je n'arrivais même pas à embraser une boulette de papier. Je tenais le briquet tout contre un coin de la feuille, la flamme léchait bien la page, rien à faire. En insistant, j'ai réussi à faire prendre quelques bouts de journal, mais après dix secondes dans le poêle, ça s'éteignait. Il a fallu que la Patronne et le Jo allument les feux à ma place. La honte.
J'ai décidé que je recommençais par le tout début et j'ai accepté de bonne grâce mon rôle de vieil apprenti. Les principes n'ont pourtant pas changé depuis quarante ans. Boulettes, ti-bois, bûche. Pyramides, respiration, braise. En tout cas, ça s'est véritablement remis à marcher il y a trois ou quatre jours, lorsque je suis revenu de Sauve avec mes bouquins. J'avais laissé tout le contenu de la biblimobile à Robert Crumb, qui a presque tout lu (et intégré) en huit mois.
Dans cette pile de bouquins se trouvent consignés les passages sur terre de nombreux funestes ersatz du diable, les Harriman, Staline, Rockefeller, Bernays, Churchill, Roosevelt, Hitler, Mussolini, Goebbels, Franco, Batitsta, Nixon, Warburg, etc. Malgré tout, je ne crois pas que ça soit la forte présence du démon dans la roulotte qui fait que je sois désormais capable d'allumer mon feu. Je pense seulement que mon corps, mon âme et mon aura ont fini par sécher, qui avaient été rincés de fond en comble par les grêles et les averses des derniers mois. Jusqu'aux os de mon corps astral qui avaient besoin de se drainer, avant que je puisse brûler le moindre fétu de bois sec.


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