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Les Grands Boulevards

Publié le 16 février 2010 par Kranzler
Les Grands Boulevards

Pour ses amis, j’étais un de ses amis. Parfois, lorsqu’il avait envie que les choses sonnent vrai, il leur expliquait que nous avions sympathisé un matin très tôt en faisant notre footing autour du Parc de Procé . Lui dans un sens, moi dans un autre, jusqu’au jour où nous avions décidé de faires foulées communes. Douze kilomètres deux fois par semaines.

Personne ne lui posait de questions. Lorsqu’il y avait dîner chez lui, personne, au moment de partir, ne semblait s’étonner que moi je ne parte pas. Et qu’il ait quarante et un ans et moi vingt-six ne choquait pas.

La voisine qui habitait le duplex au dessus de son appartement avait probablement compris. Je me rappelle l’avoir croisée un soir que j’arrivais vers les vingt et une heures. Une grande bourgeoise divorcée et provisoirement ruinée, dans le genre Stéphane Audran ; elle descendait les poubelles, impeccable, peut-être un peu trop plâtrée, vêtue d’un grand machin en soie rose qui descendait très bas. J’ai bien aimé son sourire un peu trop élégant mais néanmoins amical, sa façon de me parler de rien et de tout sur un ton neutre et naturel. J’ai pensé, peut-être en la surestimant, qu’elle avait le tact de me faire comprendre que nos petites affaires ne la regardaient pas.

C’était toujours lui qui m’appelait. Qui me disait quel soir venir. Cela l’ennuyait, nos petites affaires, parce qu’avant moi il n’avait connu que des femmes et estimait qu’il était à présent urgent pour lui d’avoir de la descendance. Cela lui pesait parce qu’il tenait à moi sans ignorer qu’il avait tardé à faire le grand mariage  auquel il était destiné, lui, le plus beau célibataire en ville. J’ai du être un poids pour lui certains jour. Une sorte d’énorme imprévu.

Pour quelqu’un de son milieu, il était remarquablement simple. Lorsqu’il m’appelait à la librairie pour me dire qu’il passerait me chercher à l’heure de la fermeture, il me disait souvent qu’il m’attendrait dans la ferraille, et que c’était à moi de la trouver. Ce qui signifiait que, dans ce fouillis de petites rues serrées, il m’appartenait de trouver à quel emplacement au juste il était parvenu à garer la Jaguar. En cas de force majeure, il utilisait la Mercedes noire qui elle n’avait pas de surnom. Le bigorneau, plus manoeuvrable, était le sobriquet de la Fiat 500 où mes genoux touchaient mon menton. Mais ce que je préférais avant tout, c’était aller chez lui en marchant : cela me semblait plus anonyme, plus adapté à mon mode de déplacement. (à suivre)


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