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Au Lecteur

Publié le 27 février 2010 par Jlk

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Un échange de ce matin, avec Fabien Dubois de Nevers...

[ Je me suis toujours demandé à qui s’adressaient les écrivains – tous ceux qui depuis bien longtemps font profession d’écrire. Ont-ils la prétention de s’adresser au monde entier et à l’humanité toute entière et à travers le temps ? Cela n’est-il pas quelque part un peu délirant ? Se sont-il jamais posé la question ? Aussi… ]
Le problème que je dois résoudre ou contourner est bien celui-là : à qui donc est-ce que je m'adresse ? Qui es-tu, cher lecteur ? Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère...
Je m'adresse à toi qui est là présent pour moi, toi l'être semblable qui toujours me surprend, toi qui me dépasses par ta différence : toi qui est à l'image et à la ressemblance de la présence intérieure qui me questionne.
Car c'est bien toi qui est là présent pour moi, et non moi qui suis là pour toi : je ne t'apparais que sous la forme d'un livre, je ne suis donc pas à proprement parler une personne, je ne suis qu'un peu d'encre sur du papier. Moi-même, je ne suis pas véritablement là, ma seule existence, c'est-à-dire ma seule présence devant toi, ma seule conscience, c'est toi qui me la donne. Tu me lis donc je vis.
Tu es désormais ma seule incarnation ici-bas et c'est pour cela que je souffre de ne pas être lu et compris. Je rêve d'être lu et relu afin que celui qui me lit atteigne à la substantifique moelle que la présence qui est en moi a la prétention de vouloir exprimer. Cher lecteur, comprends-tu bien ce que j'entends par là et sauras-tu lire entre les lignes pour me comprendre ? Sauras-tu déceler entre les détritus les lueurs que j'aurais réussi, malgré tout, malgré Moi, à laisser apparaître ? Car en disant cela, je ne me vante pas d'être profond (lire entre les lignes... n'importe quoi !) ni d'être riche en moelle (pour qui se prend-t-il ?) ; j'ai simplement vu quelque chose de grand et de beau que j'aimerais essayer d'exprimer, et c'est parce que je doute fort d'y arriver que je suppose qu'il te faudra peut-être plusieurs lectures, pour que tu parviennes à y lire ce que je n'aurai pas réussi à écrire.
C'est donc toi qui fait tout le travail et tu me fais aussi vivre au sens propre du terme (de cette absence, je souffre aussi) car c'est toi qui m'achètes et ainsi tu me nourris, tu paies mon loyer et mes impôts. C'est donc justice de rendre l'avantage au lecteur.
Gloire au lecteur ! Honte à l'auteur qui se sucre au passage !

Fabien Dubois.

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JLK: Que la lecture est une rencontre...

À mes yeux, cher Fabien, c'est beaucoup plus simple - donc infiniment plus subtil et compliqué, comme la vie, une pomme ou la pomme de Cézanne, le jardin d'à côté ou le Paradis de Dante. Bien entendu il n'y a de livres dignes d'être lu que les Personnes, car les livres sont des personnes ou ne sont rien. Pas des personnages de plateau de télé mais des personnes uniques et irremplaçables qu'on reconnaît à un grain de voix ou à un rythme de leur parler/écrire. Tout écrivain qui ne se prend pas pour Homère, les yeux fermés et en se foutant de la caméra, ne fera rien. Un écrivain qui ne se prend pas pour la Nature entière ne fera rien. Un écrivain qui se demande s'il va être lu ne fera rien. Quant à la question de savoir si le plus imporrtant est l'Auteur, le Lecteur, le Tier inclus ou tutti altri, c'est de la faribole. L'important est le miracle d'une rencontre, dont se dégage une énergie inouïe. Je suis en train, cher Fabien, de lire les nouvelles complètes de Flannery O'Connor, qui riait toute seule en se lisant et trouvait ses nouvelles formidables. Moi aussi je les trouve formidable, comme tant d'autres. Mais à qui apartiennent-elles ? Elle découlent du regard délirant porté par une femme pétrie d'humanité et de poésie, à qui on ne la faisait pas. Tu es l'un de ses personnages, Dutroux en est un autre, un Nègre aux tempes blanches portant un saphir à son doigt, un gosse mal embouché et son aïeul impatient de lui faire détester les Noirs, Silvio Berlusconi à plat ventre devant une bimbo en string, le frère Marie-Maximilien dans son cloître plein de chats et de gueux, ma bonne amie et nos deux filles et les lascars qui nous les ont volées, Pascal, la dépouille de Nabokov hisant sous mes fenêtres, tutti quanti.
Il faut s'arracher absolument à la pensée binaire - spécialité française, et s'exercer à l'humour de la vie, via Shakespeare (qui était-ce seulement ?), et à la merveille tissée d'épouvante. Ah mais quel beau jours se lève ! Quelle belle journée à lire, à tous les sens que tu voudras !

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Eric Poindron:

Cher Fabien,
Courageux de prendre ainsi la plume et de s'interroger. Je partage le beau commentaire de l'ami JLK...


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