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En chute libre

Publié le 02 mars 2010 par Kranzler
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En décembre 2006, lorsque j’ai définitivement fermé ma librairie, j’ai eu ce qui s’appelle un petit coup de blues. Des dettes jusqu’au cou et pas la moindre idée concrète sur la façon d’envisager concrètement mon avenir et ma subsistance. Aujourd’hui, ce sont des moments auxquels je repense sans amertume. Je me revois parfois dans un magasin vide, avec les bras qui me tombent, et j’y repense comme à une situation pénible mais pas inintéressante. Le décès de mon père, survenu exactement à la même période ? Je ne crois pas me souvenir avoir trouvé que ça faisait beaucoup. Question d’habitude. Quand la merde me tombe dessus c’est souvent par paquets compacts et rapprochés. Au salon mortuaire, encerclé par les bouquets, il avait un certain charme  de vieux pharaon que rien n’atteint ; je lui ai dit quelque chose dans le genre « tu ferais quoi, papa, dans une mouise pareille ?» Les fleurs sentaient très fort, presque trop fort. Ne pas paniquer m’a semblé être la meilleure attitude.      L’espace de quelques semaines, j’ai envisagé entre autres solutions farfelues de gagner ma vie en écrivant des nouvelles sentimentales, celles qu’on trouve dans les magazines pour dames tels que Confidences. J’en ai produit environ une douzaine dont certaines étaient réellement très mauvaises, et aujourd’hui, en faisant du rangement, je viens de tomber sur une rescapée de huit pages. Titre ? Les amants de Sète. Alors, si vous vous sentez en manque de Barbara Cartland je vous la livre. Préparez vos mouchoirs, Darlings. Les Amants de Sète

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   Lydie avait été obligée de répéter sa question, tellement Marc semblait distrait ce soir-là. Ca ne devait pas être le bruit qui l’empêchait d’entendre, puisqu’il n’y avait pratiquement personne dans le restaurant. Comme souvent, il était assis à la table deux, d’où il contemplait la rue. La seule autre table occupée était la huit, en face du comptoir. C’était un couple dans la cinquantaine qui l’occupait, et ces gens-lá étaient très calmes. Ils parlaient à voix basse, commentant l’hiver qui était arrivé d’un seul coup, avec une sévérité qu’on n’observait pas souvent dans la région. Deux degrés à  Sète, pour un début décembre, ce n’était pas très habituel.  - Marc, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu prendras. On dirait que tu rêves, ce soir. Andouillette ou entrecôte ? - Andouillette frittes avec avec un quart rosé, répondit-il machinalement. Puis, comme s’il ressentait le besoin de justifier sa rêverie, il ajouta :  - Ce doit être le froid qui m’engourdit, excuse-moi. - Au fait, reprit-elle au bout de quelques instants, il est venu ton réparateur ? Je ne veux pas dire, mais à l’hôtel, pour tes clients, ça tomble plutôt mal cette panne de chaudière. - Oui, il est venu ce matin. Le chauffage et l’eau chaude sont rétablis dans les chambres. Et de toute façon, même s’il n’était pas venu, ce ne serait pas un drame. Je n’ai que deux chambres occupées en ce moment. Comme d’habitude les affaires sont calmes à cette période de l’année. En attendant la réparation je leur ai branchées des radiateurs à roulettes et je leur ai fait un prix pour compenser les douches froides. Une chance qu’ils soient de bonne composition. - Et il ne t’a pass pris trop cher? poursuivit-elle en apportant la carafe d’eau. Je te demande ça parce que si ça devait durer, ce froid, j’aimerais bien connaître un dépanneur qui ne m’arnaque pas autant que celui de la dernière fois. - Non, ses tarifs sont corrects. Je m’attendais à pire pour quelqu’un qui est intervenu dans l’heure.     Il parlait avec indifférence, tout en prenant bien soin de rester aimable et détendu, parce qu’il n’avait pas envie que Lydie se doute qu’en fait il n’avait fait que regarder à peine le montant de la facture. Il se disait qu’il aurait dû venir avec un journal - un journal posé en évidence sur la table et dont il n’aurait pas levé les yeux. De cette façon, elle aurait compris qu’il ne tenait pas à être dérangé.     Malgré les années, il n’avait jamais réussi à se faire totalement à cette manie fatigante qu’ont les méridionaux de parler, toujours parler. Il avait grandi dans le Finistère, lui, et au contact de l’Atlantique il avait appris qu’on n’ouvre pas la bouche lorsqu’on n’a rien à dire.
 
(à suivre...) 

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