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Le parfum du vieil homme (Fin de Carmen et le vieil homme)

Publié le 12 mars 2010 par Ctrltab

Le parfum du vieil homme (Fin de Carmen et le vieil homme)

Je suis le bois et l’écorce d’orange, elle, elle est un tapis de fleurs fraîches. C’est moi qui mène la danse. Mon poids la guide et mes pieds parfois la trompent pour mieux la surprendre. J’aime sa force et son intrépidité de jeune femelle. Je l’enlace plus fort, elle se love contre moi.

Nos parfums se mêlent et jamais nous ne nous regardons. Inutile, de détour en détour, nous allons dans la même direction. Nos corps se parlent et s’entendent. Je commence un mouvement et c’est elle qui le termine. Je l’attaque avec force sur mes notes de tête, celles de cuir et de patchouli, et c’est elle qui m’accueille avec douceur sur son parterre de violettes et de vanille.

Je souffle dans son cou mon haleine anisée. Je veux sentir sa vraie odeur, celle du printemps, celle de sa chair douce et frémissante. Elle se donne à moi, elle me respire et je la protège entre mes bras. Elle chasse loin de moi ma mauve mélancolie.

Je lui offre mon dernier tango. Demain, l’arthrose définitivement me prendra. Je ne lutterai plus contre la lente dégénérescence de ma virilité. Je partirai de la piste de danse, les fesses et le regard hauts, tel un toréador, heureux vainqueur quittant l’arène.

En attendant, nous échangeons nos essences et nos secrets. Je rends hommage à sa cambrure. Je l’apprivoise, ce petit animal farouche, et le révèle à lui-même. Je lui apprends l’orgueil d’être femme et d’être aimée. « Oui, sois toujours fière ma belle ! », disent mes pas. Elle me suit, confiante.

Je me colle contre sa tendre poitrine, je caresse son dos souple. Ce soir, j’expire contre celle qui, depuis tant, m’inspire : la mujer éternelle. Le rythme nous harnache l’un à l’autre. Et lorsqu’un morceau meurt, nous restons unis l’un à l’autre, suspendus au silence.

La musique reprend, nous rebasculons dans notre voyage et notre jouissance. De déséquilibre en déséquilibre, je l’invente et elle, elle me désagrège. Ce soir, tristes et heureux, nous clôturerons le bal. Elle me regardera enfin dans le blanc des yeux et se présentera sous l’insolent nom de Carmen. Je lui baiserai la main. Trop honteux de mon manque d’élocution, je ne dirai rien si ce n’est ces mots : « Vivat la vida ! Vivat Carmen ! »


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