Magazine Journal intime

Les mots impossibles

Publié le 16 mars 2010 par Anaïs Valente

Il y a des mots qu'il est impossible pour moi de prononcer.  Impossible d'entendre.  Impossible de lire.  Impossible d'écrire.  IMPOSSIBLE.

Ces mots, les voici...

Attendez, je prends mon courage à deux mains et deux pieds, pour y parvenir.

Déjà, rien que d'y penser, je frémis d'effroi.

Alors les écrire.

Allez : Anaïs, tu peux le faire.

Je peux le faire.

Ces mots, les voici.

Glaire.

Pus.

Mollard.

Voilà.

C'est pensé.

Dit.

Ecrit.

J'ai la nausée aussi, maintenant.  Tiens, « nausée », mot impossible ?  Un peu.  Mais pas autant que glaire, pus et mollard.

Ces trois mots, quand j'y pense, j'ai les poils qui se hérissent, l'estomac qui se retourne, les intestins qui se réveillent, le cœur qui palpite, les orteils qui frémissent, le foie qui se bile, la rate qui se dilate, les yeux qui s'exorbitent et la langue qui s'assèche.

Pourquoi, me direz-vous, un mot n'est qu'un mot.

Ah non. NON. Un mot, c'est tellement de choses.

Le mot « tendresse », par exemple.  Je vois un nouveau né mangé des yeux par ses parents.  Je vois un enfant dans une balançoire et son papa qui le pousse délicatement.  Je vois un chat qui ronronne sous les caresses.  Je vois une femme qui ronronne sous les caresses.  Je vois un baiser aussi doux qu'un nuage un soir d'été.  Je vois une portée de poussins sous l'aile de leur mère poule.  Je vois un simple regard, mais qui en dit tant et tant... Je vois tellement de choses qu'un blog entier ne suffirait pas.

Alors, parvenez-vous à imaginer maintenant, ce que je vois avec les mots « pus », « glaire » et « mollard » ?

En vrac et sans tri préalable, je vois, une infection qui tourne en gangrène, avec amputation à la clé.  Je vois une quinte de toux qui n'en finit pas.  Je vois un abcès qui éclate et répand son contenu en gros jets.  Je vois un mouchoir gluant et plein de miasmes.  Je vois un trottoir constellé de crachats en relief.  Je vois un gosse qui éternue sans mettre la main devant sa bouche.  Je vois une grosse boule qui laisse présager ce qui se trouve en dessous.  Je vois l'autopsie d'un patient mort d'une pneumonie, découpe des poumons à l'appui.  Je vois des postillons de quelqu'un qui a un rhume.  J'entends le même quidam en train de se moucher.  Les glouglous du contenu de son nez.  (« Relie-toi directement à l'égout », lui a-t-on d'ailleurs dit - non, ce n'est pas moi qui l'ai dit, mais j'aurais aimé).  Je vois du vert.  Je vois du jaune.  Je vois du brun.  Je vois du blanc.  Je vois de l'opaque.  Du gluant.  Du vert jaune brun blanc opaque et gluant.  Je vois un œuf qui casse.  Le blanc qui se répand.  Les trucs blancs qui semblent lier le jaune au blanc qui glissent doucement, inexorablement.  Je vois un escargot qui se balade, laissant ses traces partout.  Je vois du sel sur une limace.  Je vois tellement de choses qu'un blog entier ne suffirait pas.  Je vois tellement de choses encore pire que ce que j'imaginais... vu que j'ai tenté de vous trouver une petite illustration (incroyable les variétés de glaire qui existent, comme la glaire cervicale, la glaire pour détecter l'ovulation, et même une chanson, « au glaire de la lune », et cette définition de pus : « Humeur morbide sans analogue dans l'état sain, caractérisée par des globules spéciaux, et se produisant d'ordinaire par l'effet d'une inflammation »).  Je reviens, je vais vomir, je suis, moi aussi, d'humeur morbide maintenant.

Vous comprenez mieux pourquoi ces trois mots, je ne peux ni les écrire, ni les dire, ni même y penser ?

Et j'imagine qu'il en existe tant d'autres...

Des idées ?

Illu trouvée sur http://leblase.net/

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