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Pickpocket III

Publié le 22 mars 2010 par Dirrtyfrank
Pickpocket III

L’air libre apaisa notre Lulu, enfin extirpé de la puanteur de son milieu naturel. Les oiseaux chantaient en cette belle journée d’été, une ambiance presque incongrue pour lui. Un moment de répit était indispensable pour comprendre ce qui venait de se passer. Même si il avait réussi admirablement son coup, Lulu n'était pas dans ses baskets usées par l’asphalte crasseux des quais du métro. Il ne pouvait oublier la nonchalance et la désinvolture de cette vieille dame, pourtant victime d’un acte agressif, injurieux et préjudiciable. Les gens autour avaient été plus choqués qu’elle. Comment un homme pouvait s’attaquer de la sorte à une femme âgée sans défense ? Pour elle, sûrement plus habituée à une autre époque plus civilisée et courtoise, rien de tout cela n’avait valu la peine de faire de grands esclandres incontrôlables. Un sentiment bien étrange que Lulu allait continuer à ruminer dans son esprit tourmenté pendant un petit moment. Car, dans sa fuite le long des couloirs carrelés et sa sortie sans encombre, ils ne pensaient qu'à deux choses : le visage de cette femme et le fait de trouver que le sac avait l'air bien léger pour un taille si impressionnante. De toute façon, il était hors de question de vérifier ce qu'il y avait dedans avant de trouver un endroit sûr, éloigné du lieu du crime. Le silence des hommes oubliés allait lui offrir ce havre de paix dont il avait besoin.

Il décida de se diriger vers le cimetière du Père Lachaise, tel un touriste en mal de pensées macabres et de beauté morbide. Il se dégagea vite des groupes de visites guidées pour se retrouver à arpenter les allées désincarnées du cimetière le plus connu de Paris. Une des règles de base pour être tranquille au Père Lachaise : il faut avant tout éviter les tombes incontournables, notamment celle de Jim Morrison. Trop de monde à toute heure, parmi eux des collègues de boulot qui venaient fumer un joint en milieu de journée et qui draguaient les petites anglaises qui avaient écouté les Doors pour la première fois en 1991. Se dégageant donc des faux rockers hippies venus pour le célèbre homme à la baignoire (plus célèbre que Marat, le macchabée le plus propre de l’histoire), il observait les amoureux venant pour les faux Tristan et Yseult, les mélomanes MP3 pour la Callas ou les romantiques sans bibliothèque pour Oscar Wilde, il avait trouvé un coin paisible pour mesurer l'ampleur de son forfait. Juste derrière la crypte de la famille Bonbutin. Pour Lulu qui croyait aux signes du destin, il n'en fallait pas plus.

Là, c'était parfait. Pas ou très peu de personnalités allongées dans le coin. Il était maintenant temps d'ouvrir ce grand sac qu’il avait trimballé depuis plus d’une ½ heure. Lulu ressentait encore cette atmosphère étrange, et cela commençait à peser sur son mental pourtant en acier trempé. Il y avait comme une odeur bizarre et il était difficile de mettre un nom dessus. C'était une odeur qui avait l'air de venir tout droit du passé, une odeur de vieux en fait. Ce vol à l’arraché sentait le renfermé. Il eut vraiment du mal à trouver le système d’ouverture de ce maudit sac à main taille maousse. Un enchevêtrement de petites serrures et de cliquets rouillés, une sécurité compliquée qui ne datait pas d’hier, créé par le même architecte illuminé de Fort Knox sans aucun doute. Ce grand sac avait été fabriqué il y a bien longtemps – en fait comme sa propriétaire. En forçant un peu…beaucoup, il réussit à l'ouvrir de façon peu conventionnelle et s'empressa d'éventrer cet animal coriace de cuir noir avec son couteau des situations difficiles. Et là, il ne pouvait pas en croire ses yeux. Muet comme une tombe. Il serait tombé sur le cul si il n'était déjà pas assis sur la sépulture d’un gars qui n’avait même pas eu l’audace d’avoir fait un truc bien dans sa vie. RIEN. RIEN. Putain de RIEN. Le sac était vide, complètement vide. Pas une poche intérieure, pas un recoin caché par un bout de tissu, pas un seul double-fond, RIEN. Lulu ressentit tout d'abord de la colère, du ressentiment puis de l'abattement. Le plus beau coup de sa carrière réduit à néant. Il ne pouvait l'accepter. Il retourna sa main experte, encore et encore au fond du sac, ratissa vraiment large et ce qu'il attrapa ne fut que de la poussière. Il retourna le sac, le fit tourner dans l’air, le jeta par terre, le balança contre le mausolée de la famille Monbutin (quelle ironie en fin de compte). Ça sentait le renfermé à l’intérieur comme à l’extérieur. Mais dans un cimetière on ne s’étonne pas de ce genre de choses. Lulu en avait la nausée, il avait des relents du steak tartare de ce midi. La viande froide n’avait rien de bon dans ce genre de situation incompréhensible. Il était difficile de s’avouer vaincu, de se laisser abattre. Il devait tout de même sortir gagnant de cette histoire. Le sac en lui-même devait valoir une fortune. Il fallait juste trouver un bon spécialiste en maroquinerie ancienne et il allait sûrement en tirer un petit paquet d'euros. Après quelques minutes à observer les tombes autour de lui, plongée dans ses pensées les plus sombres, il se décida à rentrer chez lui. Direction, son 18 m² à Belleville avec le sentiment du travail pas vraiment bien fait, mais quand même.

Tout était calme chez Lulu. Pas un bruit. Il désirait plus que tout un repos bien mérité après toutes ces émotions et se glissa rapidement entre les draps, les yeux rivés au plafond. Finalement, il n'en avait pas bavé plus que d'habitude mais un détail le gênait. Plus que ça, ce détail le hantait. Ce n'était qu'un sarcasme, un pincement particulier de la bouche. Mais il devait y avoir une explication. Personne sur cette Terre ne pourrait sourire à la vue d’un couillon qui vient de vous arracher votre sac en quelques secondes. Ce n'était pas normal. En même temps, elle savait que son sac pourri était vide mais quand même, on n’est jamais totalement reconnaissant envers une personne qui vous agresse physiquement. Bien sûr, on en voyait des choses pas normales de nos jours. Et en traînant dans le métro, Lulu ne s'étonnait plus de rien. Mais une vieille dame qui sourit alors que son sac se fait dérober sous ses yeux, il faut bien avouer que cela reste quelque peu flippant.

Lulu se perdait peu à peu dans le labyrinthe de ses émotions. Il se questionnait sur ce monde qui ne tournait plus rond et alla jusqu’à se perdre dans des élucubrations qui ne tenaient plus vraiment debout. Ses yeux se fermaient jusqu'à ce petit moment où l'on oublie son corps qui s'engourdit petit à petit. Ses yeux se fermèrent et sa respiration se fit plus posée. Le sommeil était à la porte et Lulu avait laissé les clefs à sa disposition.


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