Magazine Journal intime

Sous le manteau

Publié le 26 mars 2010 par Thywanek
J’entends les fumées noires parmi lesquelles luit, carat de pourpre oxyde, un cri entre deux roches, dans les sous-sols du ciel. C’est ainsi qu’il peut-être et que je le sais. Ainsi également qu’il est rare à entendre. Apparat minuscule enchâssé dans le vacarme. Semblant d’éclat dont la surface n’est qu’un phare qui s’éclaire en dedans, hésitant entre le sort insignifiant d’un grain de quartz commun pris dans la masse d’un pavé, et l’élévation dans les airs pour attirer d’autres yeux, d’autres écoutes, d’autres de ce même monde, qu’il arpente en explorateur indécis, gagné par la vaine usure, perdu par la foi enfantine. Qu’il mesure aux infinis passés et à ceux qui viennent, pleins de bouches balbutiantes, de regards étonnés de le voir arriver. De nous voir arriver. Et moi aussi peut-être.
Il va, il vient, il passe. Transparence timide dans la foire des conciliabules. Il allait, venait, passait, absence inévitable. Il transpirera les morts comme des objets mués en inutilité par les duretés des corps impassibles. Et de sa ligne agile il avance son maigre curseur parmi les phrases que forment sans savoir les humains dans les rues. Volte face du palpable des heurtements, des embrassades, des fermetures hermétiques et du soi seul obscène.
Il est méconnaissable. Décalque de muraille. Indigent. Sans adresse. Il habite au buffet de la gare. Contre l’offense des monuments funéraires nul n’a servi de son trajet qu’ayant disparu et persistant sans trace dans la formation des apprentis vivants au moment où ils vont arrimer au sérieux leur esquif anxieux. Pour que soit l’incertain jusqu’au bord de tout perdre. Je le suis ce manteau qui le couvre et sa hanche emportée comme un mécanisme de locomotive. Son taxi qui l’attend pour un tour de manège. Son poing souvent serré sur les rênes de son souffle.
Je bois les alcools des temps où il n’est rien. Où son ultime apparence est une disparition. Où il fleure la banalité de quelqu’un qui guette l’heure de son train. L’heure d’un départ maîtrisé par les curieuses manies de la nécessité. Qu’elle est longue, sublimement longue, la marée, à remplir le hall de verre où tout résonne comme les désordres emmêlées de mille horlogers défoulés. Il boit les longs traits des verres qu’il commande et les eaux du silence qu’il invente noient le heurt incessant des tribulations fossiles.
A destination, il se lève, quitte son palais, et redevient cet incapable de n’être que ce pas qui cherche à raconter, pour franchir au milieu des jours, les nuits nues de soleil qu’on attife de bimbeloterie.
J’entends comme il bruisse, éponge aux yeux gonflés. Comptant dans son greffier ses titres de noblesse insoluble et ses appels sans suite au règne des douleurs absoutes.
Tout est encore un animal, l’ai-je su penser, un animal que nous flétrissons. Un animal au miroir avili. Un animal que nous tuons. Que nous ouvrons. Que nous découpons. Que nous dévorons. Que nous broyons. Que nous attachons. Que nous torturons. Que nous tenons en laisse. Que nous caressons. Que nous achetons. Que nous adorons. Dont nous avons même fait des dieux et des maîtres.
Humain maudit de chair aérienne et prisonnier de sa lourde carcasse, il s’entête en spirale autour de son fluide caillou vers les environnements et en entraîne les matières indifférentes au centre de son usine à retourner le vide. Cela sans profession. Simplement pour tenir. Serait-ce qu’à un éclaircissement. Parfois. Parce que tout est noir. Qu’il faut trancher, sinon, pour voir du rouge. Le cœur. Ou saigner.
Il sait des choses que les pires assassins ignorent. Il comprend ce que l’amour oublie. A ses fenêtres, s’il en a, ou appuyé n’importe où, contemplant le spectacle, il ne regarde rien. Il écoute. La plainte des murs éternels. La ronde des affairements. Le musée de l’histoire tout autour se dressant, et toujours rien. Une étincelle dans le cosmos. Et demain contre une autre. Et de toute façon les vœux irrésolus des championnats pourris. Des vices combattants. Par l’unique pouvoir des mâchoires dégueulasses qui font ventre et envie et savent amuser, et la plainte, et la ronde.
Il raconte. Il va jusqu’à frôler la plainte de sa paume et deviner la ronde lorsqu’elle a faim. Et si il apparaît on veut le reconnaître. On l’invite. On lui parle. On voudrait qu’il explique. On s’assemble. On se presse. Au mieux on se prend à espérer sans savoir, au pire, sans savoir, on se met à croire. S’il demeure il sera embaumé dans les encens dont on baigne les noms que l’on fait scintiller.
On ose peu pour lui. Il sait. Il fuit. Il suit l’humble prochain jusqu’à l’aplomb du précipice. Et un amour ça et là qui l’accompagne. Aux limites des consolations. Et quelques congénères qui essaiment sur des palissades des jets vifs d’aiguillons coléreux et désespérés. Piqûres électriques qui secouent dans les reins et redressent un rire complice. Nous pourrions alors nous satisfaire dans l’enclos de trois ou quatre mots tracés au dos blanc des pactes trahis. Mille fois trahis. Ecrits pour l’être.
Il en parle. Je perçois son murmure isolé dans le brouillard sonore. Je le suis, frère inconnu. Frère ignoré. Il était là déjà penché sur le berceau. Son regard entrant comme pour me dire qui j’étais. Non. Qui il se pourrait que je sois. Non. Qu’il se pourrait que je sois. Non. Ça ne disait rien. Je pense qu’il a dû simplement vouloir me rassurer. Que lui aussi il avait vu la mer, avant.
Il voyait la mer. Il n’était pas encore né. Presque rien ne l’était. Comme un sortilège de jade liquide. Un magma de mémoire, traîne de plis démultipliés, qu’un innocent voyage avait attaché à ses épaules. Ça n’empêche de rien devenir. C’est comme ça, c’est tout. Il était advenu. Et pour survivre tout devrait être d’une insupportable légèreté. D’un énigmatique détachement. Rêve, mais tu n’es qu’un souffle. Couronne ou guenille.
Il naissait du chant des vagues. Mais ça ne veut pas dire grand chose. Dés demain ce sera fini. Où dans quelques centaines de saisons. Alors ce que tu as chuchoté d’autres en chuchoterons peut-être encore. Dans ce même chant s’ils peuvent déjà l’entendre.
J’ai appris qu’il dors. Qu’on doit certains moments le laisser dormir. Périodes de menaces sur sa peau étrangère. Sur ses clartés indexées à des retours de fureurs. Et l’être en océan emporté dans l’orage. Et plus sourd que cet écho que d’aucuns croient tenir d’un dieu.
Je l’ai retrouvé, recroquevillé dans le coin d’un salon dans une maison désaffectée. Il émanait encore de lui, essence aux senteurs acides, la preuve songeuse d’une insistance.
Il n’y a pas de choix : l’animal fait toujours, dans certains cas, comme s’il n’avait jamais existé.
Pourtant ne pas se lasser, l’ai-je su me dire, même si les limailles de quelque incandescence n’en finissent jamais, pendant d’absurdes pans d’époques en tumultes, de tomber poudre froide à l’arrière de nos pas. Semant souvent ainsi une stérile ivraie.
C’est un point d’interrogation. Il ne dit pas son nom. Ni d’où vient ce qu’il est. Ni où il est parti.
Récemment je me suis installé dans un café, dans une gare. C’était n’importe où je crois me souvenir. Sur la banquette près de moi il y avait un manteau. Apparemment abandonné. J’ai questionné le garçon lorsque je lui ai confié ma commande. Il m’a succinctement décrit un homme qui était venu une ou deux heures plus tôt et qui sûrement avait dû l’oublier. Je lui ai demandé de me décrire l’homme en question. Je lui ai dit que je le connaissais et que je reconnaissais le manteau. J’ai demandé au garçon s’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que je le rapporte moi-même à son propriétaire. Le garçon a eu une expression désabusée et m’a répondu que non, ça ne posait pas de problème.
Depuis j’ai ce manteau chez moi.

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