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Pickpocket IV

Publié le 26 mars 2010 par Dirrtyfrank
Pickpocket IV

Le réveil fut plutôt nauséeux. Forcément, cinq minutes après avoir trouvé le sommeil, c’est un peu difficile. Un bruit strident et absolument terrifiant le tira de son lit en deux temps trois mouvements. Bien qu’un peu embué, Lulu ne put échapper à ce mélange de cris et de bruits d’objets que l’on maltraite furieusement et qui s'écrasent au sol. Lulu mit un peu de temps à pouvoir discerner quelque chose dans le noir, il ne comprenait rien à ce qui se passait. Une chose était sûre. Ce bruit effrayant venait de son propre appartement. Ce n’était pas un bruit venant de la rue, ni d’un couloir du bâtiment où souvent, les junkies et les jeunes du quartier aimaient foutre le bordel en pleine nuit. Ce n'était pas non plus le bruit du local poubelle qui se trouvait juste derrière sa cuisine.

Cela devenait plus précis avec sa vision qui se frayait un chemin dans le noir. Le sac de la vieille était tombé de la chaise avec un bruit hors du commun qui lui glaça le sang. Des personnes avaient crié alors que le sac s’était cassait la gueule de moins de 60 centimètres. Un frisson parcourut son corps fébrile qui pensait encore être dans les bras de Morphée. Lulu prit le sac et son courage à deux mains pour tenter d’élucider cette énigme ou, dans le meilleur des cas, comprendre qu’il s’agissait d’un fragment de cauchemar échappé de son cerveau fatigué. Il lui fallait élucider ce mystère tout droit sorti d’une série B comme un grand garçon. Et ce n’était pas un bout de cuir noir râpé qui allait lui foutre les jetons. Il fallait savoir d'où venaient ces bruits d’humains désespérés. Sans vraiment se casser la tête, le doute s’estompa. Lulu était maintenant absolument certain que le bruit venait du sac qu'il avait volé le jour même. Il ne put se l'expliquer mais il comprit tout de suite de quoi il retournait. Il n'avait pas besoin de vérifier ce qu'il y avait à l’intérieur. De toute façon, il savait qu'il ne contenait rien, en tout cas, rien de visible.

Cette Femme, très vieille, ce grand habit noir, ce sourire malin et vengeur, ce grand sac 'vide' et en même temps chargé d'une puanteur infâme et ce sentiment de culpabilité qu’il ressentait depuis son agression. Lulu était en train de déterrer ses vieilles peurs, ses phobies d'enfant agité de même que ses douleurs d'homme fatigué. Il savait de quoi il retournait mais ne voulait pas s’en convaincre. Tout semblait maintenant évident alors qu'il était en présence de quelque chose d'absolument incroyable. Dans un premier temps, Lulu ne voulut même pas essayer de sonder ses premières impressions. Il était en état de choc. Non, non, non et non. Il était hors de question d'ouvrir le sac. Il ne savait que trop bien ce qu'il contenait et ce qu’il ne pouvait voir. Il ne pouvait se résoudre à accepter ce que des milliers d'années d'histoire avaient voulu élucider sans vraiment pouvoir donner de véritables explications. Il était sur le point de lever le voile sur le mensonge le plus mystérieux du monde. L'histoire était en train de s'écrire dans un appart' miteux de Belleville à Paris, en présence d'un voleur à la petite semaine.

Lulu reprit lentement ses esprits. Il tenta de faire un habile état des lieux intellectuel. Il s'agissait donc bien d'une femme. Lulu aimait souvent parler de sexe faible. Quelle énorme connerie…On dit souvent que les femmes ont toujours le dernier mot. Ça, par contre, il ne subsistait plus aucun doute. Et pas de faucille, pas très pratique dans les transports en commun pour être honnête. Et oubliez le coup du squelette, la petite Vieille en avait encore dans le soutien-gorge. Toutes les idées reçues et les lieux communs s’entrechoquaient pour laisser une trace de vérité de cet homme qui n’avait pas fini le lycée. Lulu savait maintenant qu'il avait entre ses mains le dernier souffle de ce qu'il restait de chacun d'entre nous quand plus rien n’existe. Cette simple pensée aurait donné quelques sueurs froides à n'importe lequel d'entre nous. Lulu ne faisait pas exception, quand même un peu. L'habitude de s'immiscer dans la vie des gens l’aurait-il poussé irrémédiablement à vouloir s'immiscer dans leur mort ? Il était soudain devenu le propriétaire de l'objet symbolique qui représentait le passage vers le pays des ombres. Un grand choc culturel pour les pauvres mortels que nous sommes: plus besoin de préparer sa petite pièce pour la barque nous emmenant vers l'autre rive. Un ticket de métro était amplement suffisant. Les temps changent ou peut-être n'ont-ils jamais vraiment changé? L'imagination des êtres humains a toujours voulu embellir une réalité apparemment bien triste. Il fallait l'admettre dorénavant. Quand nos beaux jours sont définitivement derrière nous, notre âme est littéralement stockée et transportée dans un vieux sac pourri et dégueulasse, poussiéreux et amoché, dans le métro (ou pire) par une Vieille sans style, qui ne fait même pas vraiment peur.

Il ne faisait maintenant aucun doute que la Mort, dont il avait croisé le chemin aujourd’hui, n'était pas seule pour accomplir ce sale boulot. Ce que voulait comprendre Lulu, c'est qu'en fait, il y avait des centaines voire des milliers de Morts qui s'étaient partagées le monde de façon méthodique. Il imaginait cette entreprise de grande envergure, cette armée de bourreaux, ce groupuscule structuré de fossoyeurs qui ramassaient mécaniquement les corps inanimés. Finalement, il ne s’agissait que du syndicat des éboueurs le plus secret et le plus puissant du monde. Ils sont parmi nous, et personne n’est au courant. Lulu pouvait lui aussi affirmer ‘Je vois des Morts partout’ mais il s’agissait d’une situation bien réelle. Il était maintenant convaincu qu'il avait croisé le chemin de la Responsable de l'est parisien, comme si il avait croisé son postier au coin de la rue. Et il s'était barré avec les dernières pauvres âmes qui y étaient passées ces dernières heures dans cette infime partie du monde. Ce devait être une sacrée petite entreprise, bien plus puissante que nos pauvres PFG nationales. Etrangement, Lulu ne ressentit aucune peur même si le sourire de la digne Représentante de l'au-delà le hanta jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Lulu ne put trouver le sommeil, faisant tourner inlassablement toutes les éventualités dans sa pauvre petite tête de moineau. Maintenant qu'il était en possession de ce sac, il pouvait lui aussi disposer d'un pouvoir potentiel énorme. Il pouvait faire pression sur l'Organisation pour participer aux grandes décisions de ce monde. Par exemple, devenir le grand responsable d'une zone prioritaire, une zone perpétuellement en guerre. Cela devait être classe même si le boulot devait être intensif, week-end compris. Sûr qu’il s’agissait d’un poste demandant de l’expérience. Il pouvait aussi espérer devenir une star du paranormal. Pas mal de thunes à ce faire dans les médias. Il suffisait juste de convoquer les grandes chaînes internationales : CNN, BBC, TF1, Telecinco, la chaîne du Vatican…Il y avait tout de même toujours le risque de finir entre les quatre murs d’un hôpital psychiatrique si il n'arrivait pas à se dépatouiller avec des preuves tangibles…

Finalement, Lulu réfléchit toute la nuit et ne trouva pas vraiment de solution idéale. Il avait beau penser à toutes les hypothèses intéressantes, il ne voyait pas vraiment d'intérêt à la possession de ce sac. Il fallait pourtant trouver un avantage de cette découverte incroyable. Il s'agissait vraiment d'une sale besogne. Une Instance Supérieure faisait mourir les gens et la pauvre Vieille n'était qu'un simple coursier de luxe. Lulu avait eu affaire avec le petit commis. Comme dans un réseau de narcotique, il avait seulement dépouillé le petit gars avec son shit et ses quelques pills frelatées. D'accord pour voler une infime partie de la vie de ses victimes, mais pas transporter la totalité de tout ce qu'il possédait. Ce n'était pas du tout son idéal de vie. Par contre, il en était certain. Notre Vieille Dame, notre bonne Vieille Faucheuse avait du se faire gravement engueuler d'avoir perdu bêtement une trentaine (voire plus) d’individus sur le chemin vers le Père Lachaise. Et Lulu en aurait mis sa main au feu, il y avait des mesures exceptionnelles pour que l’Instance Mort puisse récupérer son dû. L’Organisation devait avoir prévu ce genre d’incidents et devait savoir quoi faire dans ce genre de situation. Lulu allait donc s’improviser marchand d'âmes, proposant un échange du sac plutôt vide d’intérêt contre un autre, un peu plus moderne, rempli de billets. Ces gens-là devaient avoir un budget alloué aux conneries de leur petit personnel.


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