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Scènes printanières...

Publié le 05 avril 2010 par Araucaria
Obernai - Printemps en Alsace par Pixanne
Photo trouvée sur le net
Parce que je lis souvent à contre-courant aujourd'hui je vous invite à remonter le temps, et à partir en promenade avec Fritz Kobus par une magnifique journée printanière, dans cette Belle et Chère Alsace que j'aime...
Je me demande qui lis encore Erckmann-Chatrian en ce début de 21ème siècle, sinon "un rat de bibliothèque" dans mon genre, nous sommes tellement sollicités par les nouvelles plumes que nous oublions les classiques et les textes au charme désuet... c'est dommage. J'ai pris bien plus de plaisir à lire cet ancien roman que j'en ai souvent avec des auteurs contemporains célèbres mais qui ne savent pas vraiment écrire. Bien sûr "l'Ami Fritz"  écrit en 1864, ne pourra pas ravir les lecteurs en mal d'érotisme, de sensualité, voire plus. Rien de bien osé dans ce texte, tout est même très chaste au contraire, mais ce livre est très pétillant et il ravit l'âme.
"A la Steinbach, près du grand moulin, ils rencontrèrent un baptême qui se rendait à l'église Saint-Blaise : le petit poupon rose sur l'oreiller blanc, la sage-femme, fière avec son grand bonnet de dentelle, et les autres gais comme des pinsons; - à Hôneim, une paire de vieux qui célébraient la cinquantaine dans un pré; ils dansaient au milieu de tout le village; le ménétrier, debout sur une tonne, soufflait dans sa clarinette, ses grosses joues rouges gonflées jusqu'aux oreilles, le nez pourpre et es yeux à fleur de tête; on riait, on trinquait; le vin, la bière, le kirschenwasser coulaient sur les tables; chacun battait la mesure; les deux vieux, les bras en l'air, valsaient la face riante; et les bambins, réunis autour d'eux,  poussaient des cris de joie qui montaient jusqu'au ciel. A Frankenthâl, une noce montait les marches de l'église, le garçon d'honneur en tête, la poitrine couverte d'un bouquet en pyramide, le chapeau garni de rubans de mille couleurs; puis les jeunes mariés tout attendris, les vieux papas riant dans leur barbe grise, les grosses mères épanouies de satisfaction.
C'était merveilleux de voir ces choses, et cela vous donnait à penser plus qu'on ne peut dire.
Ailleurs, de jeunes garçons et de jeunes filles de quinze à seize ans cueillaient des violettes le long des haies, au bord de la route; on voyait à leurs yeux luisants, qu'ils s'aimeraient plus tard. Ailleurs, c'était un conscrit que sa fiancée accompagnait sur la route, un petit paquet sous le bras; de lui, on les entendait qui se juraient l'un à l'autre de s'attendre. - Toujours, toujours, cette vieille histoire de l'amour, sous mille et mille formes différentes; on aurait dit que le diable lui-même s'en mêlait.
C'était justement cette saison du printemps où les coeurs s'éveillent, où tout renaît, où la vie s'embellit, où tout nous invite au bonheur, où le Ciel fait des promesses innombrables à ceux qui s'aiment! Partout Kobus rencontrait quelque spectacle de ce genre, pour lui rappeler Sûzel, et, chaque fois, il rougissait, il rêvait, il se grattait l'oreille et soupirait. Il se disait en lui-même : "Que les gens sont bêtes de se marier! Plus on voyage, plus on reconnaît que les trois quarts des hommes ont perdu la tête, et que dans chaque ville, cinq ou six vieux garçons ont seuls conservé le sens commun. Oui, c'est positif... la sagesse n'est pas à la portée de tout le monde, on doit se féliciter beaucoup d'être du petit nombre des élus."
Arrivaient-ils dans un village, tandis que Hâan s'occupait de sa perception, qu'il recevait l'argent du roi et délivrait des quittances, l'ami Fritz s'ennuyait; ses rêveries touchant la petite Sûzel augmentaient, et finalement pour se distraire, il sortait de l'auberge et descendait la grande rue, regardant à droite et à gauche les vieilles maisons avec leurs poutrelles sculptées, leurs escaliers extérieurs, leurs galeries de bois vermoulu, leurs pignons couverts de lierre, leurs petits jardins enclos de palissades, leurs basses-cours, et, derrière tout cela, les grands noyers, les hauts marronniers dont le feuillage éclatant moutonnait au-dessus des toits. L'air plein de lumière éblouissante, les petites ruelles où se promenaient des régiments de poules et de canards barbotant et caquetant, les petites fenêtres à vitres hexagones, ternies de poussière grises ou nacrées par la lune; les hirondelles, commençant leur nid de terre à l'angle des fenêtres, et filant comme des flèches à travers les rues; les enfants, tout blonds, tressant la corde de leur fouet; les vieilles, au fond des petites cuisines sombres, aux marches concassées, regardant d'un air de bienveillance; les filles, curieuses, se penchant aussi pour voir : tout passait devant ses yeux sans pouvoir le distraire.
Il allait, regardant et regardé, songeant toujours à Sûzel, à sa collerette, à son petit bonnet, à ses beaux cheveux, à ses bras dodus..."
ERCKMANN - CHATRIAN     L'Ami Fritz

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