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Head TV III

Publié le 15 avril 2010 par Dirrtyfrank
Head TV III

Le téléphone sonne et Olivier stresse de ne pas pouvoir répondre assez vite – il ne sait jamais trop où peut bien se cacher le combiné, manque de pratique évidente. Quelqu’un proche de lui se dévoue pour prendre l’appel. Il est transporté par les paroles empruntées de la charmante demoiselle au bout du fil. Il ne reste que 24 secondes avant qu’ ça coupe. ‘N'oublie pas de faire un énorme bisou à Olivier. Il me manque trop. Tu sais, c’est vraiment dur au Château avec tous ces mecs qui ne pensent qu’à t’éliminer. Je chanterai pour lui samedi soir. Tu verras, ça me portera chance. Au revoir, au rev…’. Cette courte conversation, plutôt anodine, démarra pourtant sur des considérations purement artistiques ‘Je sais, j'ai été mauvaise au prime hier. Ne m'en veux pas’. Mais non Léonore, tu as été formidable, tu as été fantastique. Un vrai rayon de soleil dans ma morne grisaille. C'est vrai que tu chantes faux mais ce n'est pas un critère éliminatoire. Appelle quand tu veux, ta mère n’est jamais loin pour répondre à ma place. Le téléphone sonne à nouveau. Olivier est sur le grill. Il doit répondre à une question pour que son meilleur pote devienne millionnaire à sa place, un argent dont il ne verra jamais la couleur. Une question à 4 options laisse son pote à quelques balbutiements du paradis sur Terre. Il ne verra sûrement jamais la fabuleuse villa que son ancien collègue ira se faire construire sur une île du Pacifique Sud. Peut-être la même île où se rassemblent chaque année toutes les tentations du monde. Des histoires de cul qu’Olivier ne regarde que d’un œil, une main sur sa télécommande quand l’autre reste énergiquement occupée. Il profite allègrement des histoires grivoises voire sordides qui viennent ponctuer ses longs mois d’été où la climatisation fait défaut dans son appartement minable. Cette même chaleur qui embrase les plateaux des actualités lorsque les avis divergent sur le diamètre de la mortadelle au Conseil Européen. Finalement, ce n’était que de la bouffe pratique qui permettait de se faire des plateaux-repas et de ne pas rater une miette de perdition intellectuelle des survivants de pacotille d’une île sous surveillance. L’agressivité du Conseil du Soir n’est pas chose nouvelle pour Olivier, les règlements de compte sont toujours on ne peut plus clairs et les gens se crachent dessus, de façon barbare, sans autre forme de procès. Cela ne fait que pimenter l’heure du dîner. La digestion de ce trop plein d’émotions est difficile, certains en souffrent plus que d’autres. Cela embarrasse peut-être les quelques ministres endormis dans l’hémicycle d’arriver à atteindre leur bouton pour voter. Une démocratie pleine d’énergie et de bienveillance dans les tribunes feutrées du Palais Bourbon. Encore un vote qui n’allait pas vraiment bouleverser l’existence bien morne d’Olivier.

Tous les sentiments se mélangent dans une frénésie indescriptible. Le zapping fait office de réprimande, de couperet fatidique. C’est le seul pouvoir qu’Olivier s’octroie dans un monde où il se sent comme un poisson dans un bocal.

Un meurtre vient de se dérouler sur une route parfumée du Sud de la France. Une policière bien montée et à l’accent marseillais prononcé prend l’affaire à bras le corps. Sur fond d’ IAM, sa Peugeot déboule sur le lieu du crime. Le soleil tape fort…surtout sur le système. Ambiance nerveuse quand CSI débarquent pour mettre de l’ordre dans les dossiers...et dans les empreintes digitales. Un vrai exploit de déstabilisation qui finit par une grosse claque dans les rangs de l’équipe sur le coup. En plein dans la lucarne. L’équipe est sur un petit nuage (sans dopage) après tant d’années de disette de victoires à l’échelle nationale. La coupe, dont personne n’a jamais entendu parler, vient de s’élever vers un ciel sur le point de craquer. Le bulletin météo ne peut être plus clair, même en 5 minutes top chrono, animation et images 3D comprises. Une salve de klaxons dans la rue vient mettre un peu de réalité dans ce grand cirque foutraque. Olivier ferme nerveusement la fenêtre. Rien à faire d’une réalité quelque peu agressive. Et fermer la fenêtre était surtout l’assurance de ne laisser aucune entrée possible dans la station Orchid. Son petit cocon à lui, rien qu’à lui. 4 8 15 16 23 42.

Ils nous ont compris. Les discours sont tellement émouvants de nos jours. De vrais pamphlets contre l’injustice. Olivier sait qu’on s’occupe de son avenir. Il ne s’agit que d’une question de temps. Ils l’affirmaient tous. ‘ Nous allons relancer en priorité l’économie et le pouvoir d’achat ’. On pouvait penser qu’ils s’économisaient pas mal en ne promettant que des choses impossibles ou déjà en chantier. Qu’à cela ne tienne, Olivier est bonne pâte et tombe facilement sous le charme des lendemains qui chantent, de préférence avec William Leymergie, increvable lève-tôt depuis des années. Peu importe leurs couleurs politiques, les mots s’enchaînent de façon structurée et jouissive. A la ferme, c’est une autre histoire de mots, boueux ceux-là. Le retour à la nature est une bonne chose, le manque de barrières est une autre histoire. La vulgarité n’est pas le fort d’Olivier. Peut-être qu’avoir des amis à Central Perk pouvait l’aider à clarifier sa perception de l’amitié ? Une Confession Intime ferait-elle l’affaire? Ou une escapade à New York ferait-elle l’affaire ? L’échappatoire n’est qu’une illusion orchestrée par d’autres et totalement acceptée par Olivier. Alors, ils oublient en regardant les films populaires qui passent de façon régulière. Olivier, comme la plupart des français, connaissaient les dialogues par cœur. Une façon de répéter une partition trop connue de tous, usée jusqu’à sa substance humoristique. Culture populaire contre culture inexistante. Plus belle la vie.

Une vraie petite famille, ce milieu de la télévision. Les récompenses pleuvaient chaque année sur ces dinosaures qui n’ont pas bougé depuis des années – ils ont quand même bougé de cases horaire en fonction du mercato. Mais Olivier avait trouvé les personnes qui lui correspondaient et sur lesquelles il pouvait compter tous les jours. Le vieillissement n’avait pas de prise sur eux, une vraie cure de non vieillissement pour notre spectateur assidu. Aucune envie de faire entrer l’accusé, tout le monde avait sa place dans cette boite en circuit fermé. Il est temps que le Cinq à Sept devient un Sept à Huit, décharné de tout désir subversif. Tout avait une raison d’être. Et comme dans toute famille, il y avait des frictions mais tout s’arrangeait dans le best of des mondes. Un vrai régal d’absurdité et d’automutilation. Idiot mais tellement salvateur.


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