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Mammifères et tubes séminifères

Publié le 16 avril 2010 par Kranzler

fau

(je viens de retrouver ça, qui date de mon mémorable été marseillais d’il y a trois ans)

Elle : Basset Griffon Vendéen, 17 ans, intelligente et parfois insupportable, établie depuis peu à Marseille avec son maître.

Lui : Son maître, moins intelligent mais également insupportable.

- Est-ce que nous n'avons pas déjà dit que le milieu du lit t'est interdit ? Tu peux prendre le côté droit, oui. Ou à la rigueur le gauche si tu veux. Mais le centre, non.

- Et bien déplace-moi alors. Il est tard. Je suis vautrée. Et je suis si vieille.

- Tu crois vraiment m'attendrir ?

- Le croire ? Comment ne pas le croire ? Je te regarde de mes gros ronds yeux couleur noisette et je sais bien que tu ne diras rien.

- Pas ce numéro, s'il te plaît. Je ne suis pas d'humeur. Et quand tu ouvres la bouche trop près de moi tu sens le pâté de foie. E - coeu - rant.

- Et le tabac à pipe dans le cendrier froid, ça n'est é - coeu - rant, comme tu dis ? Et l'Eau Sauvage de Christian Dior qui me fait éternuer ? Et d'abord, quelle heure est-il ?

- Trois heures du matin. Environ.

- Tu rentres seulement maintenant ? Une fois de plus tu étais donc sorti ?

- Je ne pense pas te devoir de compte. Et ne roule pas sur le dos. Tu vas encore tomber du lit et te trouver ridicule.

- Ridicule, moi. Je voudrais bien voir.

- Parfaitement, ridicule.

- Je t'aime quand même. Apparemment ce soir tu rentres seul ? Pas la moindre petite conquête ? Ca doit être vexant, non ?

- Pas du tout ! Mais non ! J'étais sorti ... simplement pour sortir.

- Si tu le dis. A la base, je suis quand même un animal qui a du flair. Et je pense que tu aurais bien voulu ramener quelqu'un à la maison, si tu veux tout savoir.

- Pas nécessairement. Si l'occasion s'était présentée, je ne dis pas. Mais ce soir il n'y avait que du second choix, et donc aucune raison particulière d'insister.

- Du second choix ? C'est peut-être ce que les autres pensent de toi aussi. Tu as peut-être encore une certaine allure mais l'âge approche. Le dernier qui a dormi ici, en tout cas, je l'aimais bien.

- Forcément. Quelqu'un qui t'offre des os. Qui te donne à manger quand j'ai le dos tourné. Qui te dis que tu es la plus belle.

- Il sait parler à une femme, lui.

- Sans doute parce qu'il en a une. Il n'a pas beaucoup de mérite, tu sais. Et d'ailleurs ça me déplaît que tu lui obéisses plus qu'à moi. Tu ne le connais pas depuis deux mois.

- Tu enrages, hein ?

- Non. Tu es une veille chienne qui a longtemps été malheureuse et tu sais bien que je te permets tout. Pour compenser.

- Tu auras un autre chien quand je ne serai plus là ?

- Je ne crois pas que j'en ai très envie. Aucun ne soutiendra la comparaison. Tu me manqueras très fort, je m'y prépare. Je sais qu'un matin je me réveillerai et que tu ne seras plus là. Dans un an. Ou demain.

- On aura bien rigolé, tout de même. Tu te rappelles cet hiver quand on est allé à Tanger en bateau avec les chats ? Et le jour où j'ai failli mordre cette idiote qui t'énervait à la Librairie ?

- Oui. Que des beaux jours. Ils te manqent, les chats ?

- Parfois. Surtout Socrate. Pluton, lui, était inabordable. Vos divorces, vos séparations, c'est quelque chose pour nous les enfants.

- Mais tu sais qu'ils vont bien. Tu le sais, n'est-ce pas ?

- Oui, je sais. Mais ça ne me dit pas si tu prendras un autre chien.

- Dors, ma fille. Pour le moment tu es là. C'est tout ce qui compte.

- D'accord. Bonne nuit. Dis moi seulement si on reverra celui qui m'offre des os.

- J'en ai bien peur ...

(C’était il y a trois ans, Fau est toujours avec moi, j’ai récupéré les chats, viré le distributeur d’os, déménagé, voyagé, etc..., avant de finalement me fixer dans cette vaste poubelle qu’est Berlin )


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