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Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour

Publié le 21 avril 2010 par Angèle Paoli
Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour,
La Cabane, 2009.


C’ÉTAIT À TRUINAS, DANS LA DRÔME

    « Un petit récit exemplaire ». Ainsi peut-on définir La Douleur du retour, récit qu’Isabelle Baladine Howald a écrit en écho à Truinas, œuvre de Philippe Jaccottet. Dans Truinas (Éditions La Dogana, 2004), cet autre « petit récit exemplaire », le poète évoque la journée du 21 avril 2001. Jour de l’enterrement d’André du Bouchet, au surlendemain de sa mort. C’était à Truinas, dans la Drôme.

    Quelques années plus tard, bouleversée par la lecture de Truinas, Isabelle Baladine Howald se rend sur la tombe d’André du Bouchet, mettant ainsi ses pas dans les pas des deux poètes, le vivant et le mort.

    De ce déplacement dans le temps et dans l’espace, la visiteuse est profondément bouleversée. Quelque chose en elle a bougé, continue de bouger, de manière imprévue, au plus profond d’elle-même. « Je suis déplacée en moi-même, comme sous l’effet d’un souffle », écrit la narratrice. C’est à ces infimes « déplacements intérieurs », liés à la lecture de Truinas, que la narratrice ouvre la voie de sa mémoire jusqu’au déplacement ultime, celui de la douleur.

    Confrontée à un univers inconnu où rien ne lui parle, ni la couleur du ciel méditerranéen ni ses paysages, la visiteuse de Truinas au toponyme énigmatique tente d’accrocher son œil à des détails minuscules, porte en fer verrouillée, « carré d’herbe », « murets de pierres claires ». Tout est miniature, tout est dans l’économie, tout est minimal, jusque dans le nombre des visiteurs, clairsemés entre « les tombes éparses », jusque dans le « très léger renflement de la terre » ou dans « la brindille de ronce ramassée » mise à sécher, depuis, « dans le mince livre bleu », « petites feuilles dentelées ». Tout ce qu’elle perçoit du monde miniaturisé qui l’entoure est vu au travers du filtre du sfumato, lumière vaporeuse qui caresse les ifs ombreux, posés là depuis toujours. On songe, à lire ces lignes, aux paysages de Léonard de Vinci, dont la visiteuse, absorbée dans les dégradés de couleur et les effleurements de lumière, semble soudain faire partie. Le temps aussi s’immobilise, qui rejoint dans cet instant précis, l’éternité :

    « J’étais là où je devais être, à un instant parfait d’éternité, entrouverte sous mes yeux à l’intérieur d’un paysage comme si j’étais dans le tableau. »

     De cet instant vécu dans le suspens du jour restent « quelques cailloux », « quelques racines » cueillies le long d’un « petit chemin d’herbes ». Reste aussi le souvenir du « nom clos » de Truinas, qui dépose l’énigme de son paysage vocalique dans les profondeurs de la mémoire et sédimente, à l’insu de la narratrice, son secret.

     Reste « le petit livre » de Jaccottet, qui continue de faire entendre son chant « presque inaudible » et montre à celle qui l’écoute « comme une direction ». Le détachement à soi-même dans l’abandon à l’écriture et jusqu’à l’oubli de soi. Et, découverte inattendue, « en l’absence de tout repère familier », le déplacement vers l’exactitude :

    « J’étais déplacée vers l’exactitude dans le déplacement lui-même. »

     De ces infimes « déplacements intérieurs » qui agissent par vagues successives au plus intime de l’être, naît la douleur lancinante du retour au pays d’origine. D’où surgit le déplacement ultime, celui qui laisse entrevoir soudain « l’idée d’un dieu ». Une fois éloignée l’idée d’un dieu, une fois apaisée la douleur qui suffoque, les écarts s’estompent. Des ajustements internes surviennent peu à peu dans le tremblé du déplacement jusqu’à la presque adéquation dans le tableau.

    « Je fus au plus près, non effrayée ».

    Bel hommage à l’écriture et à ses cheminements secrets que ce petit opus qu’Isabelle Baladine Howald nous donne à méditer.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



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