Magazine Journal intime

Sotigui Kouyaté

Publié le 22 avril 2010 par Stella

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“Il y a TA vérité, il y a MA vérité et il y a LA vérité”, m’avait-il expliqué en me montrant un magnifique masque Mossi ou Bobo, je ne sais plus, un long visage surmonté d’un papillon aux ailes déployées sur lequel était juché un grand oiseau à la tête pensive. “Tu vois, la vérité semble fragile, pourtant elle soutient sans faiblir le poids d’une vie”. Je m’en souviens comme si c’était hier et pourtant, dix ans se sont écoulés depuis ma première rencontre avec Sotigui Kouyaté, dans sa maison des Lilas. Des moments magiques qui ne se reproduiront plus jamais : il est mort samedi dernier, 17 avril 2010, des suites d’une longue maladie pulmonaire. Il avait 73 ans.

Ce jour-là, nous nous étions longuement entretenus sur sa carrière de comédien, et en particulier son rôle dans Le Mahabharata, mis en scène par Peter Brook. J’étais fascinée par sa fragilité apparente et sa force intérieure qui me semblait capable de renverser des montagnes. Au milieu de l’après-midi, nous étions partis chercher son jeune fils à l’école. En rentrant, notre conversation avait repris, agrémentée des rires d’enfants, avec du thé et des gâteaux.

Sotigui Kouyaté était né à Bamako,avant que sa famille n’émigre à Ouagadougou, où il avait grandi et fait quelques études. Griot de tradition, il s’était d’abord lancé dans le football, dans le basket mais avait finalement dû se faire fonctionnaire pour nourrir sa famille. Conteur de talent, passionné par le théâtre, il avait monté sa propre compagnie en 1966. Entre 1968 et 1983, il tourne dans quelques films, dont le plus connu est peut-être Black Mic-Mac, de Thomas Gilou. Mais le début de sa célébrité date de 1985, lorsqu’il commence à partager l’étonnante expérience du Mahâbhârata, mis en scène par Peter Brook, 120 000 strophes écrites à l’origine en sanscrit, le texte de base de la mythologie hindoue. Sotigui Kouyaté a dû demander un congé sans solde à son administration pour venir jouer à Paris, congé prolongé d’année en année jusqu’à ce que la scène l’emporte pour de bon.

Sotigui était habité, hanté même par ses rôles. Sa silhouette dégingandée, ses dreadlocks de rasta et son visage émacié frappaient le spectateur. Il savait tordre le coeur aussi bien que susciter l’enthousiasme ou provoquer l’hilarité. Les chanceux qui l’ont vu au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, le fief de son ami Peter Brook, connaissent cette présence extraordinaire, de talent à la fois modeste et ébouriffant.

Il aimait vivre très entouré. Son épouse, Esther, ses enfants et ses petits-enfants l’adoraient et tout ce monde allait et venait joyeusement dans la maison fleurie des Lilas. Il y recevait même les journalistes… par chance ! J’ai eu l’occasion de rencontrer son fils Hassane, lui aussi comédien et conteur. Je lui adresse mes très sincères condoléances. Ainsi qu’à Dani, metteur en scène de théâtre et de cinéma.

Cher Sotigui, que la terre du Burkina Faso, où tu seras bientôt enseveli, te soit légère.


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