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Sudoku : le mot croisé des analphabètes

Publié le 30 avril 2010 par Thebadcamels

Sudoku : le mot croisé des analphabètes

crédit photo : Greencolander

Dans les couloirs du métropolitain, la frénésie des animaux de trait qui se bousculent pour attraper un quotidien gratuit a toujours eu tendance à me surprendre.

 
Mais ce n’est pas pour la subtile analyse biologique de René le Banquier interrogé de bon matin pour un micro-trottoir «Spécial petite vérole» que cette lecture est prisée. Mais plutôt pour sa page de sudoku.
Bien entendu, tout le monde connaît aujourd’hui cet art délicat consistant à remplir une grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Véritable sport cérébral, au même titre que le bridge, Pierrot le Fou ou les échecs, il prend une place de plus en plus importante dans les porte-revues, amphis et bureaux de nos contemporains.
Nul doute que cette activité permet, combinée avec une haute dose d’Activia et sous le contrôle médical du docteur Kawashima, de développer des réflexes mémoriels importants. Le sudoku, c’est le retour de la gymnastique nord-coréenne, une sorte de brossage de dents intellectuel dont on ne peut jamais faire l’économie. Et de fait, cela fonctionne. Des études démontrent même que la pratique assidue pourrait diminuer le risque de démence et de fragilité mentale.
Il est temps de s’allumer une Dunhill et de la savourer en pensant à tous ces exercices qui nous permettront de remplir nos Pampers sereinement quand nous aurons atteint l’age de 103 ans.
Certains l’érigent au rang de Merveille du Monde moderne, au même titre que Nicolas Hulot (qui hulule pour l’éternité ici) ou La Roue de la Fortune.
Personne ne semble se rendre compte qu’il est terriblement réducteur et stupide de pratiquer cette activité. Un jeu de chiffres, qui ne repose que sur de l’observation, de la concentration et la répétition à l’infini de situations connues à l’avance. Le mot croisé des analphabètes en somme. Au delà d’être d’un intérêt fort limité en lui-même, il détourne surtout les potentiels cruciverbistes d’un vrai défi de la pensée, et le nombre de grilles se réduit comme peau de chagrin.

En conséquence, plus de jeux de mots tels que «Rédhibitoire pour les chasseurs de cerveaux» qui donne «Oligophrénie» (pathologie développée par le joueur de sudoku) ou « La mie chaude hier » conduisant à «jouvencelle» (très Gérard de Villiers). Sale temps pour les verbicrucistes.

De manière plus générale, le succès rencontré par le sudoku est emblématique de la victoire du chiffre sur la pensée.
Fini, le temps où un mot d’esprit foudroyait l’impudent qui avait eu le verbe un peu trop haut. Il s’agit désormais de faire triompher la statistique sur le style dans une recherche effrénée d’une prétendue vérité scientifique. La culture est devenue inutile, réduite aux Inrocks et à l’ignoble Télérama, et on préférera élire un technocrate avec les poches pleines de fiches chiffrées qu’un honnête citoyen sentant bon le vin d’Anjou et le tabac brun de la trempe du regretté Philippe Seguin.
Allez, mes chers chiens-loups, plus un mot sur cette pratique asiatique ni belle, ni hype et surtout pas vintage, car comme le rappelait ce chef de meute qu’était la Rochefoucauld, «Il faut être économe de son mépris étant donné le nombre de nécessiteux».
ABC, allié objectif de Daniel Craig dans sa lutte contre le Chiffre.


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