Magazine Journal intime

Au secours, M. Chatel !

Publié le 01 mai 2010 par Anned

ou le scandale de la "vuelta olimpica" au lycée Jean Mermoz de Buenos Aires

Quatre fois que je suis témoin de cette tradition argentine, et je n’ai toujours pas perçu où se logeait l’esprit olympique dans le déroulement de cette porcherie.

En novembre, à quelques semaines du bac (on est dans l’hémisphère sud) les Terminale interrompent les cours par surprise en début d’après-midi. Ils font irruption dans les couloirs armés de substances alimentaires diverses du style ketchup et œufs, et salissent tout et tout le monde. Ensuite, accompagnés de leurs petits copains à partir de la Troisième, la horde sort du lycée et rejoint le parc public limitrophe récemment remis à neuf par la municipalité de Buenos Aires. Là les attend un genre de bauge artificielle creusée par leurs soins et abondamment additionnée d’eau, où tout ce joli monde se roule et se couvre de boue comme autant de porcelets.

Un certain nombre de limites théoriques existent mais elles restent théoriques justement. Il semblerait que lors de la dernière édition, l’intérieur des salles de classe et les effets personnels des autres élèves et des professeurs n’aient pas souffert. C’est certainement un progrès. Pourtant, au soir, c’était au jet d’eau à haute pression que le personnel de service nettoyait les couloirs. Les résidus qui gisaient au pied des escaliers étaient éloquents. La cour, elle, était si sale qu’on a dû employer la lance à incendie pour que les enfants du primaire puisse de nouveau y jouer à la marelle le lendemain.

Lorsque l’on plaint le personnel de service pour le surcroît de travail occasionné, les lycéens ne manquent pas de souligner qu’une partie des mensualités méthodiquement recouvrées auprès de chaque élève de Terminale depuis la rentrée du mois de mars est destinée à rémunérer les femmes de ménage. Réflexe de gosses de riches.

Mes enfants jurent n’avoir pas touché de leurs mains le moindre aliment. Ca ne me console pas pour autant de l’indécent gaspillage, dans un pays où on meurt de faim, et alors que chaque semaine plusieurs cartoneras, ces mères de famille des bidonvilles de Buenos Aires, sonnent à ma porte pour quêter de la nourriture. Et tous ces œufs écrasés par les gosses des beaux quartiers sur les trottoirs devant le lycée français… Imaginons le regard des petits enfants qui vivent à quelques kilomètres du lycée et dont les mères luttent chaque jour pour les nourrir, s’ils avaient été témoins de la scène.

L’introduction d’alcool au sein de l’établissement est interdite et vraisemblablement respectée. Cela n’empêche pas ceux qui le voulent de boire avant d’aller mettre le bazar dans les classes et après, pour aller se rouler dans la boue. Une jeune fille a d’ailleurs été évacuée en ambulance en raison de sa consommation excessive d’alcool. Bien sûr que le Proviseur veille personnellement à ce qu’aucun élève ivre ne franchisse le portail du lycée, mais il ne peut pas non plus faire souffler dans un éthylotest les cent cinquante jeunes surexcités qui se bousculent à la grille…

Quant aux galipettes dans la bouillasse, le problème, c’est qu’on s’y pousse à qui mieux, mieux, qu’on y jette littéralement les filles, les poids plume et les récalcitrants. Une année, écrasée dans la mêlée boueuse, une élève s’est arraché les ligaments du genou. A trois semaines du bac. Lors de la dernière édition, je n’ai pas quitté mon cellulaire de l’après-midi, de peur qu’on m’appelle pour me demander d’aller rejoindre l’un de mes enfants aux urgences d’un hôpital. Il semblerait que les dégâts n’aient pas dépassé une suture au genou ce jour-là. Qu’attend-on au plus haut niveau  pour interdire ce jeu de dingues? Qu’un des élèves finisse en fauteuil roulant ? Ou au cimetière ?

Pour ce qui est des dégâts causés au parc rouvert au public en octobre 2008, j’ai été agréablement surprise de découvrir que la mairie de Buenos Aires verbalisait. Les gosses de riches se sont donc sans doute empressés de budgéter l’amende et de rallonger d’autant le montant de la cuota mensuelle exigée de leurs camarades… Ont-ils prévu le nettoyage du mur en face du lycée qui au soir de la vuelta était décoré de graffitis tous neufs qui ne laissaient aucun doute quant à leurs auteurs ?

La grande majorité des élèves est à la fois de nationalité argentine et de condition sociale (très) favorisée. Des enfants-rois élevés par des petites mucamas paraguayennes incapables de leur refuser quoique ce soit sous peine de se faire virer par les parents. Le lycée connaît de sérieux problèmes de discipline y compris dans les grandes classes, parce que ces parents prennent systématiquement la défense de leurs enfants. L’équipe de direction est prise à partie par tout le monde : les parents des fauteurs de trouble, ceux des quelques élèves qui veulent bosser, sans parler des profs français comme argentins dont les nerfs sont à vif !

J’aurais dû interdire à mes enfants de participer à cette porcherie. J’y ai pensé. J’ai préféré tenter de les convaincre de ne pas en être. Mais les adolescents détestent se singulariser, même s’ils sont persuadés que le chemin n’est pas le bon. Mes deux rejetons n’ont pas touché d’alcool, ce n’est déjà pas si mal, ils sont rentrés enduits de boue jusqu’aux tympans, mais sains et saufs. Pour le reste, je les ai sentis dépassés par les événements. « C’est pas moi qui fais les courses ! » m’étais-je entendu dire lorsque j’avais demandé s’il y aurait gaspillage de nourriture.

Je n’arrive pas à comprendre que l’administration du lycée laisse perdurer ce jeu idiot. Le lycée est franco-argentin, c’est-à-dire sous double tutelle administrative. Et la vuelta est une tradition (bourgeoise) argentine. J’étais sidérée l’autre jour par ce spot publicitaire où l’on voit des grands-parents qui s’en vont attendre leur petite fille à la sortie du lycée pour… lui casser un œuf sur la tête !

En mettant leurs enfants au lycée français, les Argentins ne crachent pas sur le cadeau que leur fait notre République du salaire de ses profs, expatriés comme résidents, au nom du rayonnement de notre langue et de notre culture. Ils pourraient avoir la décence de se plier à nos idéaux jusqu’au bout. Quand les parents de l’un de ces enfants-rois incontrôlables enverront le Proviseur en prison pour avoir laissé leur rejeton finir en fauteuil roulant un jour de vuelta, la culture et la langue françaises rayonneront certainement beaucoup plus fort dans les beaux quartiers de Buenos Aires !

Si je lance aujourd’hui ce billet-bouteille à la mer sur l’océan électronique de la Toile, c’est en désespoir de cause, en souhaitant qu’il parvienne sous les yeux de quelque personne d’influence, élu, haut fonctionnaire, journaliste... qui réussira ce que je ne suis pas parvenue à obtenir : la transformation de la vuelta en une vraie fête.

J’ai tout essayé, à commencer par faire part au Proviseur et à l’association de parents d’élèves de mon indignation. Tout le monde est d’accord sur le constat, mais personne ne passe aux actes.

On a mis fin au bizutage de milliers d’étudiants chaque année en France. On doit bien pouvoir faire tenir tranquilles cent cinquante élèves de Terminale à Buenos Aires ! Des établissements argentins y sont bien parvenus. Dans l’un d’eux, la directrice prend elle-même la tête d’une gigantesque bataille d’eau organisée dans la cour de l’établissement. Preuve qu’un peu de courage et d’imagination suffisent.

Mère de deux futurs bacheliers, il me reste à endurer une dernière tradition argentine : la nuit de la fiesta de egresados, la "fête des reçus". Je n’aimerais pas qu’on me rapporte que quasi ivre-morte, ma fille a embrassé à pleine bouche tous les garçons de la promo, comme je l’ai entendu raconter d’une lycéenne par ailleurs exemplaire.


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