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Psychose d'époque

Publié le 30 avril 2010 par Jlk

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Devoirs d’école, ou le scalpel grinçant de Jakob Arjouni

Le père est prof. La mère déprime. Paulo le fils aîné milite dans les rangs d’Amnesty international. Martina la fille s’est tirée de la maison à Milan avec un jeune tatoué, après sa tentative de suicide. Cela se passe en Allemagne d’aujourd’hui mais, avec quelques variations du point de vue des références historico-politiques (où la mauvaise conscience post-nazie pèse évidemment très lourd), cet inferno de chambre pourrait très bien se situer dans n’importe quel pays occidental hautement développé.

La scène d’exposition se passe dans la classe de Joachim Linde, prof du genre plutôt moderne, ouvert d’esprit juste ce qu’il faut, vaguement taraudé par sa libido depuis qu’Ingrid lui impose chambre à part, et s’efforçant d’éviter les affrontements trop violents avec Pablo à la table familiale. En revanche, voici qu’un conflit d’une violence extrême éclate dans le dernier cours de la semaine, où il a proposé à ses élèves une réflexion collective sur le thèmes de leur perception actuelle des conséquences du IIIe Reich. Alors que Sonia Kaufmann se lance dans une diatribe véhément où elle affirme que l’Allemagne est restée nazie, son camarade Oliver la traite de sale gauchiste avant de lui balancer, pour rire dira-t-il, la phrase qui tue : à savoir que si les grands-parents de Sonia avaient été gazés, celle-ci ne serait pas là pour proférer de telles inepties. Du coup, c’est l’explosion, que le prof s’efforce de calmer. Or ce n’est que le premier coup qu’il encaisse à l’orée d’un week-end qui va lui en réserver de plus rudes, jusqu’à le pousser au fond du trou. Accusé de harcèlement sexuel par sa fille qui est parvenue à retourner sa femme contre lui, taxé de lâcheté idéologique par son fils en raison du « fascisme » israélien, le pauvre Linde est finalement convoqué devant ses collègues du lycée Schiller pour s’expliquer, sous peine d’en être expulsé.

Telles sont les grandes lignes de ce petit roman très percutant, de Jakob Arjouni, dont on se rappelle notamment Magic Hoffmann (Fayard, 1997), qui excelle à dégager les implications des conflits idéologiques ou politiques dans les relations quotidiennes, familiales ou privées, avec autant de féroce précision dans l’observation des personnages que de nuances sensibles dans leur approche. Le portrait de Joachim Linde, au premier rang, est le plus travaillé, qui rend admirablement le mélange de bonne volonté et de mauvaise foi occasionnelle, de courage et de lassitude, de faiblesse et de soudaine vigueur sous l’effet de la révolte liée à l’injustice qu’il subit, de ce personnage finalement très attachant, qui constate sans trop le comprendre le fiasco de son couple et de son quatuor familial, jusqu’au dénouement qui reste ouvert, entre mince espoir et dernier coup du sort.   

Jakob Arjouni. Devoirs d’école. Traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger. Christian Bourgois, 150p.     


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