Magazine Journal intime

Humour De Caissière : Interdit De Rigoler.

Publié le 04 décembre 2007 par Mélina Loupia
Quand je dis caissière, je ne fais que rapporter les dires de cette cliente dont je n'aurai vu que les bras et la fille. C'était l'été, ou le printemps. En tout cas, il faisait chaud et le soleil faisait loupe à travers les vitres déjà maculées d'empreintes grasses du sas de la galerie marchande. L'heure avançant dans la matinée, je me retrouve avec un rayon en travers de la figure et arbore bien malgré moi un rictus guilleret, me filant les larmes aux yeux. Une sorte de Barbie hôtesse de caisse. L'archétype du secteur agro-alimentaire. Je tentais la contorsion de gymnaste quand arrive une adolescente dont les bras débordent d'un petit marché listé. En fait, elle tient tout dans un bras, comme un nourrisson qu'on berce, l'autre étant occupé tantôt à relever la mèche volontairement rebelle, tantôt à répondre au téléphone. "Oué t'as raison, mais elle veut pas que j'aie le Bluetooth la daronne, elle fait chier. Mais bon, j'ai la carte bleue et le code, si elle me soule trop...Bonjour! -Bonjour, j'ai tout mon temps vous savez. -Moi non, je suis overbookée. Je fais pas les courses pour moi, mais pour ma reum, elle a pas que ça à foutre. -38€51 s'il vous plait, elle vous a aussi donnée la carte fidélité du magasin? -C'est celle-là là? -Oui, vous pouvez l'insérer. -Attends je te rappelle, je dois foutre la carte pour les points sinon elle va me tuer là. -Non, c'est pas dans mon contrat. Juste insérez la carte si vous êtes pressée. -Mais j'ai pas le code. -Pas besoin pour celle-là. -Putain vous m'avez stressée là. -Bon, maintenant, rassemblez-vous, celle-là, il faut le quarté dans l'ordre. -Hein? -Le code de la carte bancaire. -Putain la loose je m'en rappelle plus. -Rassemblez-vous. -Putain elle aurait pu me le noter. -Ou alors, peut-être le tatouer sous l'oreille du chien. -Hein? -Putain ça me dit code faux. -Alors peut-être vous ne l'avez pas tapée assez fort. -Qui? -La propriétaire de la carte bancaire. -C'est ma reum putain si je la tape, elle me tue. -Bon, appelez-la alors. -Non, elle va me tuer. -Mais si vous lui bloquez la carte, elle risque de le faire. Bon, concentration. Sinon, éventuellement, je vous garde les courses et vous retournez chez vous pour prendre des espèces? -Ah c'est bon je l'ai. -Parfait. -Putain les courses, c'est grave. -Je ne vous le fais pas dire. Au revoir, merci. -..." Alors que je riais encore, mais de bon cœur cette fois, en repensant à ce petit échange intergénérationnel et réfléchissait sur l'évolution de l'humour au travers des âges, je vois à 3 ilots de moi une furie faire des moulinets avec ses bras, éventant l'hôtesse d'accueil, repliée en bouclier derrière la chef de caisse, qui ne faisait qu'acquiescer poliment. Sur quoi, l'hystérique quadra se retourne et pointe en ma direction. Je me fais la réflexion qu'il est vilain de montrer du doigt quand la hiérarchie se déplace vers moi avec des bottes de 7 lieues. "Bon, là, t'as dépassé les bornes, c'est l'avertoch, je peux plus faire autrement. -Hein? Qu'est-ce que j'ai dit encore? -Mais t'es folle toi, la cliente qui vient de me foutre un tir, c'est la mère de la jeune que tu as harcelée tout à l'heure, figure-toi qu'elle veut porter plainte. -Attends, mais t'aurais entendu comment elle la traitait au téléphone sa mère, je sais pas laquelle des deux était plus virulente franchement. -On s'en fout, ça te regarde pas ça. -Ah non, une cliente qui parle au téléphone en me regardant, le combiné planqué dans la tignasse, je regrette hein. Mais soit. -En attendant, elle a rappliqué dare-dare, après que sa fille soit rentrée chez elle en bus, et en pleurs. -Ecoute, je ressors le ticket de caisse, j'ai juste un truc à vérifier là. -Ok. -Tu lis quelle heure sur le ticket? -10h24. -Il est quelle heure? -11h17. Donc, la jeunette, elle a pris le bus allez, vers la demie. Si sa mère vient d'arriver, ça veut dire qu'elle a mis 20 minutes pour rappliquer se plaindre ok? Donc 40 minutes entre la fille et la mère ok? -Oué, en gros c'est ça mais là, tu t'enfonces. -Je m'en fous, en attendant, elle avait envoyé sa fille faire les courses à sa place en prétextant qu'elle avait autre chose à foutre et visiblement, elle l'attendait chez elle et quand elle s'est radinée avec du rimmel plein les joues, elle a sauté dans sa caisse et elle a rappliquée au magasin. Là, elle a pris le temps de venir te cracher dessus. Tu noteras d'ailleurs qu'elle est restée à l'accueil au lieu de venir m'accuser en live. Alors qui harcèle qui? Qui a raison, qui a tort? Qui est qui? Marie-Ange Nardi? -Bon, pars en pause et arrête de sourire bêtement même si t'as gagné, je vais lui coller des points bonus pour qu'elle arrête d'aboyer." Alors, seulement après avoir pointé, fait couler mon café en poudre dans le gobelet en plastique, ôté ma stupide veste étriquée, dégrafé mon pantalon à pinces et m'être assise sur le bitume tiède, j'ai mis la tête face au soleil et j'ai ri. De bon cœur. Sur le parking, en pause, une hôtesse de caisse a le droit d'avoir de l'humour et d'en rire.

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