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Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet

Publié le 16 mai 2010 par Angèle Paoli

Chroniques de femmes - EDITO/SOMMAIRE

LE GRAND PRIX SCHILLER REMIS À PHILIPPE JACCOTTET LE 13 MAI 2010
en préambule aux Journées littéraires de Soleure


PHILIPPE JACCOTTET

Image, G.AdC


UN PUR MOMENT DE GRÂCE

Chronique de Laurence Verrey


  Un regard grave, empreint de bienveillance. Regard d’un contemplatif, traversé encore d’enfance et d’étonnement, qui sait toute la fragilité d’exister, et abandonne parfois son inquiétude dans un sourire. Une voix ô combien ferme, dont l’autorité claire saisit d’emblée, venue rappeler dans un phrasé net, scandé avec force, l’exigence d’une vocation de poète à laquelle il répondit très tôt.

  Ce regard et cette voix, dans leur simplicité, Philippe Jaccottet les a offerts au public, jeudi 13 mai 2010, à Soleure, alors que lui était remis le Grand Prix Schiller couronnant l’œuvre d’une vie. En termes limpides, une parole vraie se donnait, racontait un cheminement, touchait l’auditeur, conscient de vivre un pur moment de grâce.

  « Sur quoi était venue […] cette révélation que la poésie pouvait être non pas même la quête, mais plus simplement l’accueil de certains signes venus du dehors, par surprise, mais reçus au plus profond de soi, comme les flèches de l’amour ; signes précieux entre tous, dès lors qu’ils semblaient donner à notre monde, et à notre vie dans ce monde, contre tout désespoir, une espèce de sens… »

  Trois orateurs de marque – après les allocutions de bienvenue – ont fait l’éloge de cette « œuvre qui est tout entière la quête d’une voix juste, celle que l’homme d’aujourd’hui réclame, parfois à son insu. »

  Pierre Chappuis, poète romand, annonçait la perspective : « Nous voici, lecteurs de Philippe Jaccottet, d’emblée sur un chemin de crête tracé en toute indépendance des courants et des modes. […] Comptait seul le pari de ne rechercher que le vrai. » Il invitait à découvrir tel « accord renoué au cœur du désarroi, lucidement » ou tel « équilibre à rechercher patiemment, sans à-coups », que cette poésie met en lumière.

  Fabio Pusterla, poète tessinois et traducteur de Jaccottet en italien, a relevé l’impact en Italie de cette œuvre, qui instaurait le renouveau, une remise en confiance dans la pratique de la poésie. Car « la voix de Jaccottet s’élevait de manière absolument neuve et différente : n’oubliant à aucun moment le désastre, mais ne voulant pas non plus y céder et ne se résignant jamais à en subir les conséquences pourtant déclarées inéluctables. »

  Andreas Isenschmid, critique littéraire et traducteur de Philippe Jaccottet en allemand, invitait à la lecture : « … et parce que chacun de ses mots est doté d’une valeur intrinsèque, on se surprend à lire à haute voix, comme ce pourrait être le cas avec Hölderlin. Et peut-être qu’en lisant ainsi, lentement, en respirant, on s’approche un tout petit peu d’une manière de vivre dont Jaccottet dit qu’elle est presque impossible aujourd’hui, et pourtant la seule où "l’écrit naisse naturellement". »

  En parcourant Le Combat inégal,* superbe ouvrage publié aux Editions La Dogana, à l’occasion de la remise du Grand Prix Schiller 2010 à Jaccottet, on est saisi par la résonance profonde en soi d’une poésie tout entière vouée à l’écoute patiente du monde visible et de son versant invisible, et qui est un appel à rester debout. « Le combat inégal », c’est aussi le titre d’un poème écrit dans les années 1950, et dont le poète élargit le thème à tout son discours du 13 mai, tout en en affinant le sens :

  « Une affaire moins de combat que de balance, cette fois, la chose est claire. Comme ne l’est que trop le fait que vous ne couronnez pas ici un vainqueur, venu proclamer, comme il le voudrait bien, la toute-puissance de la poésie. »

  Qui a eu le privilège de partager ces instants d’extrême intensité à Soleure, d’éprouver une heure durant la belle présence du poète, n’a de cesse de renouer avec toute une œuvre d’éveil et de responsabilité, parce qu’elle restitue un sens à notre marche. Lecteurs émus, nous accompagnons de notre pensée l’homme qui « se fraie un chemin dans la venue de la nuit », espérant, pour notre bonheur, que vivent en lui

  « peut-être quelque part une ou deux réserves de paroles qu’il rêverait lumineuses ».

Laurence Verrey
D.R. Texte Laurence Verrey
pour Terres de femmes


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   * Le livre : Le Combat inégal, Editions La Dogana, 2010, ouvrage en trois langues, réunit non seulement tous les textes lus par les divers intervenants lors de la cérémonie du 13 mai 2010 à Soleure, mais également deux aquarelles d’Anne-Marie Jaccottet, le poème de Philippe Jaccottet : Le combat inégal, en reproduction manuscrite, un inédit : Le retour du troupeau, et un CD enregistré en janvier 2010, de proses et poèmes lus par l’auteur.


NOTE D’AP : Laurence Verrey, écrivain, est membre du Conseil de la Fondation Schiller et du jury du Grand Prix Schiller depuis 2008.



■ Philippe Jaccottet
sur Terres de femmes

→ Accepter ne se peut
→ [Encore des fleurs | Flowers again ?]
→ [Sois tranquille, cela viendra !]
→ Tout à la fin de la nuit
→ Toute fleur qui s'ouvre
→ 3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
→ Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
→ Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
→ 26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
→ 20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas

■ Laurence Verrey
sur Terres de femmes

→ Nous changeons à tout moment de lumière
→ Ton pas déjà me quitte
Vous nommerez le jour (note de lecture d'Annette Luciani)

■ Voir aussi ▼

le site de la Fondation Schiller



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