Magazine Journal intime

J'ai fait demi-tour

Publié le 08 décembre 2007 par Anaïs Valente
Le billet qui précède, j’aurai mis du temps à le publier.  Des mois.  Pourtant il était prêt.  Avec une illu magnifique.  J’attendais sans doute le moment opportun.  Pas facile d’avouer ce qu’on est.  
Et régulièrement, lorsque je me demandais ce que j’allais publier le lendemain, cherchant dans mon stock, je repensais à « j’aurais dû faire demi-tour ».  J’y pensais, puis j’oubliais.  C’est le type de billet qui peut être publié n’importe quand, car il ne dépend pas de l’actualité.  Les SDF sont toujours d’actualité.  Alors je reportais.
Et avant-hier, j’ai su que c’était le bon moment.
Avant-hier, j’étais en ville, avec un amie.  Il pleuvait.  Le déluge.  Une ambiance sinistre.  Une envie de rester sous la couette, d’hiberner, comme toujours.  Mais nous allions chercher un cadeau pour une troisième amie, dans une parfumerie.  Et puis j’avais envie de m’offrir un nouveau GSM pour mon birthday (ce qui ne serait pas du luxe, mon ancêtre ne m’autorisant plus à parler qu’une minute maxi avant déchargement total).  Et puis j’avais envie d’un tiramisu spéculoos avec un ice tea pêche, confortablement installée, doucement lovée dans la chaleur des lieux.
Et puis, juste avant de pénétrer dans le strass et les odeurs de la parfumerie, je l’ai vue.  Elle semblait toute petite, repliée sur le trottoir.  Elle tenait un grand carton sur lequel elle avait inscrit « aidez-moi à manger » suivi d’un long texte que je n’ai pas lu, pour éviter de m’arrêter trop longuement, pour ne pas faire montre de curiosité malsaine.  Elle avait un drôle de bonnet sur la tête, en laine claire.  Un bonnet qui ne suffisait pas à camoufler la beauté de ses traits.  Une femme superbe.  Jeune.  Trop jeune.  Belle.  Des yeux noirs de biche effarouchée.  Une attitude pas encore totalement résignée.  Une femme d’une classe folle, malgré sa situation.
Je suis passée, et j’ai su.  J’ai su que j’allais enfin pouvoir me racheter.  Oublier le précédent, que j’avais toisé.  Ignoré.  On a beau dire, mais ce n’est pas si facile, d’y penser puis d’oublier.
J’ai donc fait demi-tour, après ma courte escapade dans la parfumerie.  J’avais préparé ma piécette.  Je l’ai tendue vers le bol qu’elle avais mis à disposition.  Mais elle a immédiatement tendu la main.  J’ai croisé son regard lorsqu’elle m’a remerciée.  Elle m’a souhaité une bonne journée.  J’ai répondu par un « bon courage », d’une voix chevrotante et ridicule.  Pour un peu, j’aurais eu la larme à l’œil.  
Bien sûr, je n’ai pas fondamentalement changé.  Je suis toujours emplie d’a aprioris face aux SDF qui pullulent, en troupeaux, vieux, moches, armés de leurs bières dès l’aube, mal rasés, pas lavés, cradingues.  J’ai toujours cette pensée non charitable « ils n’ont qu’à aller bosser, au lieu de picoler ».  Je ne serai jamais la nouvelle Mère Térésa.  C’est clair.
C’est la beauté et la jeunesse qui m’ont attendrie.  La « normalité » qui ne peut se trouver ainsi sur le sol, à mendier.  L’injustice.
Cette rencontre de juin dernier m’a fait réaliser combien il était bon de temps en temps d’ouvrir ses yeux et son cœur.  De temps en temps.  D’y penser, puis d’y penser.  Et d’agir.  De temps en temps.

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