Magazine Talents

Les Vanupieds (47)

Publié le 10 juin 2010 par Plume

Les Vanupieds (43) :     Les Vanupieds (44) :     Les Vanupieds (45) :   

Les Vanupieds (46) : là

A peine la porte se refermait-elle sur la fine silhouette de Sœur Mérédith que Mme Sanders s’exclamait, outrée :

« Mais enfin, avez-vous donc perdu la tête, mon ami ? Vous n’allez pas laisser cette gamine n’en faire qu’à son bon vouloir tout de même ? C’est tout à fait… »

Il l’interrompit d’un geste. Le sourire aux lèvres, le regard pétillant, il se renversa sur le dossier et croisa les bras sur son torse. Alors Mme Sanders se calma, édifiée par l’éclat particulièrement amusé de ses yeux.

« Vous venez d’avoir une idée lumineuse, vous !

-  Je n’ai pas l’intention de me laisser faire par cette… Voyons ? Comment s’appelle-t-elle déjà, cette fichue gosse ? L’avez-vous vue, ma mie ?

-  Oui. Quand Sœur Mérédith les a ramenés d’en ville. L’enfant a une balafre qui lui traverse le visage de la tempe à la lèvre opposée. C’est la seule chose qui m’a frappée. Parce que cela lui donnait un air… Comment dire ? Un… Un air sauvage… Oui c’est bien ça, un air très sauvage.

-  Hum… »

Sanders fronça les sourcils.

« Je ne doute pas de la clairvoyance de Sœur Mérédith. Déclara-t-il après une minute de silence qu’il avait passée, sembla-t-il, à réfléchir. Elle sait ce qu’elle dit. La môme à la balafre risque de nous causer des ennuis. J’aime briser les caractères. Je briserai celui de cette gosse, ma mie, aussi redoutable qu’il puisse apparaître aux yeux de la bonne sœur. Nous allons la mâter. »

Son regard étincela de plaisir et il se frotta les mains, satisfait.

« Cela va donner un peu de piment à la monotonie de la fondation. Et si la môme est vraiment aussi terrible, tant mieux ! Je prendrai davantage de plaisir à faire d’elle une loque humaine ! Ça promet d’être infiniment intéressant! »

Mme Sanders, radieuse, entoura son cou de ses bras potelés :

« Vous êtes épatant ! S’exclama-t-elle en riant. Je ne manquerai le spectacle pour rien au monde ! Comment allez-vous donc vous y prendre, très cher ?

-  Pour commencer, je crois que les deux plus jeunes doivent payer le séjour de leur sœur, non ? Alors… »

Sœur Mérédith poussa doucement la porte de la chambre et, émue, contempla longuement en silence l’enfant brune assise sur le lit, tournant la tête vers la fenêtre ouverte sur la cour de la fondation.

France lui dévoilait son profil long et fin dans les pâles rayons du soleil. Elle avait à cet instant dans ses grands yeux noirs une sorte de mélancolie qui abaissait tristement ses longs cils sur le brillant intense de sa prunelle, heurtée par les murs, inquiète d’Adam et d’Alissa, perdue dans le bleu du ciel… Sœur Mérédith joignit les mains avec ravissement. Que l’enfant était belle ainsi dans le scintillement du soleil ! Quand on ne voyait pas la balafre et qu’on la surprenait comme elle était et non comme elle savait si bien se montrer !

Sœur Mérédith s’avança sans bruit vers le lit où la fillette reposait depuis plusieurs jours. France ne l’entendit vraisemblablement pas car elle ne bougea pas. Alors la religieuse vit ce qu’elle contemplait avec tant d’attention par delà la fenêtre : Adam et Alissa était occupés là-bas près du hangar à arracher les mauvaises herbes dans le jardin des Sanders, tâche que l’intendant leur avait assignée une heure plus tôt et qu’ils accomplissaient avec ardeur, désireux de s’acquitter de leur devoir avant de retourner au plus vite auprès de leur sœur. Et France, furieuse d’être aussi impuissante, les regardait faire, surveillant le moindre de leurs mouvements et les alentours. Depuis qu’ils étaient à la fondation, elle ne les avait jamais quittés une seule seconde des yeux, comme si elle avait au fond du cœur la crainte tenace de se retrouver séparée d’eux.

Sœur Mérédith, submergée d’affection, approcha instinctivement sa main de ses longs cheveux bruns et les caressa doucement. France eut un violent sursaut et se rejeta aussitôt en arrière, le cœur battant à tout rompre. Quand elle la reconnut, ses sourcils noirs se froncèrent et elle darda sur elle un regard furibond :

« Ne recommencez jamais ça, vous entendez ? Jamais !

-  Pardonne-moi, France ! Je suis confuse, je ne voulais pas te faire peur ! Mais… Mais je n’ai pas pu m’empêcher de…

-  Ne recommencez pas, c’est tout ! Dit l’enfant sur un ton sec. Ce n’est pas la peine de vous excuser. »

Ses yeux, très sombres, ne se détendaient pas, dans cette étrange attitude de méfiance, de défense même, songea Sœur Mérédith, surprise. Elle lui sourit.

« Tu es toujours aussi crispée, France. Tu sais pourtant que je ne te veux aucun mal ! Ne veux-tu donc pas te détendre un peu en ma compagnie ? »

France plissa légèrement les paupières. Mais elle ne répondit pas, se contentant de croiser les bras et de l’observer en silence.

« Je sais que tu n’es pas une mauvaise petite, murmura la religieuse avec douceur, espérant ainsi l’amadouer. Pourquoi te montres-tu si glaciale envers moi ? Je ne cherche qu’à t’aider. Et j’aimerais gagner ta confiance. Me laisseras-tu une chance d’y parvenir ? »


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Plume 225 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine