Magazine Journal intime

# 21 — “LA VIE COMMENCE À 6o ANS”

Publié le 25 juin 2010 par Didier T.
Faisant fi, n’est-ce pas, de mon insurmontable timidité (qui culmine à une altitude telle qu’à mon âge je n’ai encore jamais osé montrer mon king-kong à kiki (euh, pardon... mon kiki à quiconque (sauf à l’abbé Morisset, dans l’arrière-salle du patronage de Ker Biniou (mais faut dire qu’il avait beaucoup insisté, m’sieur l’abbé (et aussi que les poches de sa soutane étaient remplies de Malabar Tutti Frutti (nom d’un chat de nom d’un chat, chai cru voir pacher une grandabouch’mol (mais voui mais voui, chai bien vu pacher une grandabouch’mol))))) et viens par ici, toi, là) merde il en manque encore une, ah oui j’la vois, hop, cravatée comme une Tatouze, le compte est bon), le récit d’aujourd’hui sera donc une ‘Histoire à peu près Vraie’ à flanquer la honte à Pierre Bellemare, une ‘Histoire à peu près Vraie’ qui m’est naguère arrivée à moi-même personnellement, que je vais donc relater céans et sans détour, malgré que ma planquitude incoercible de bernique replié à l’abri des ‘berniques killers’ devra en, comme on dit, souffrir (mais, dans Son infinie mansuétude, le Seigneur ne nous a-t-Il point envoyé sur Terre pour morfler toute la sainte journée à cause que paraît-il par un beau jour de l’an 33 le Fils se serait fâcheusement désolidarisé du Père et du Saint-Esprit pour finir bêtement cloué tel un pin’s de Depeche Mode sur la liquette d’un boutonneux du début des années ’8o tout désespéré à l’idée de ne pouvoir commettre pire que les ponques dans le genre “et que j’te coule mon bronze sur le tableau de bord ‘ronce de noyer’ de la Béhème à papa qui bosse dur pour conserver sa place de sous-privilégié dans le monde moderne”? (soit dit en passant et vu que quand j’ai pompé j’ai l’habitude de rendre à César, le terme de ‘sous-privilégié’ est une invention d’un des plus puissants ‘story-teller’ du XXè siècle, monsieur John Wilson (1917-1993), plus connu sous le nom d’Anthony Burgess, un vrai phare narratif pour moi ce gars qui a écrit des phrases genre ‘de nos jours, l’État connaît l’adresse de tous les rouquins’ —de Burgess vous pouvez (re)lire ‘orange mécanique’ bien sûr, mais aussi ‘le testament de l’orange’, ‘Rome sous la pluie’, ‘la folle semence’, ‘les puissances des ténèbres’, pfff, ‘ferraille à vendre’, ‘dernières nouvelles du monde’, à peu près tout son tatalogue, ‘le royaume des mécréants’, ‘du miel pour les ours’, ouais, y’a rien à jeter, ‘le docteur est malade’, ‘petit Wilson et Dieu le père’, ‘you’ve had your time’, ‘la symphonie Napoléon’, ‘l’homme de Nazareth’, ‘pianistes’... pour ma part j’ai lu et relu et rerelu la moindre ligne dispo de ce type qui savait vivre et écrire et je vous invite à agir de même, surtout que Georges Belmont son traducteur attitré assurait autant que Bob Dylan à l’harmonica pour retranscrire les fulgurances de ce feuquigne angliche qui sortait en zineterviouve des phrases genre “que deux nonnes se fassent violer au fin-fond de Devonshire et aussitôt mon téléphone sonne et j’entends: M. Burgess, ne vous sentez-vous pas un peu coupable?”, grand bonhomme, et avec une trogne, un regard, une dignité, une attitude... mais rendus où qu’on en est telle une vieille 4L qui vient de traverser tout le pays, possible qu’en cours de cette première phrase épurée-jambon certains d’entre-vous ont perdu plein de trucs sur la route sans même s’en rendre compte, ceux-là ont donc exceptionnellement le droit de la relire sans encourir les foudres du ‘Ministère de la langue française et des analphabètes réjouis, indignegènes de la République qui barbotent dans leur propre jus à température comme qui dirait ambiante’ —je crois qu’il est temps de poser un point, là. Hein?... comment ça, “confus”? Rôôôô, feignasse... si t’es pas content, retourne devant ta télé comater devant ‘des chefs et des litres’ —consôôônne, vôôôyèèèèèèl’, bzzzzzzzzzz... faites tourner.
Alors, c’est pas l’tout mais... vu qu’aujourd’hui je ne sais pas pourquoi je me sens particulièrement enclin à prendre toutes les tangentes possibles avant même d’avoir décapsulé la première mousse de la journée, viendons z’en quand même t’au fait, amis de la poésie, sinon c’est à craindre on ne s’en sortira que les pieds devant, ce qui serait prématuré au vu de la vie qui augmente, n’est-ce pas.

# 21 — “LA VIE COMMENCE À 6o ANS”

À la fin des années ’7o, alors que je devais être sur le point de quitter les jupes de l’abbé Morisset pour rentrer à la grande nécole avec un peu d’avance sur le gros du troupeau question ‘expériences sensitives pas de mon âge’, un jour que je stationnais chez mes grands’parents dans la cuisine avec les deux vieux j’entendis ma Mamie soupirer:
— "Ah là là, fait pas bon vieillir..."
Faut dire que ma Mamie c’était le genre “crevée à peine levée”, du moins à l’époque où je l’ai pratiquée (en tout bien, tout honneur —cela devrait aller sans dire). C’était au temps jadis où l’on pouvait me croiser en adorable ‘Robin des Chats’ tout pétillant, ce genre de teddy boy au sourire angélique qui adore injecter en douce une ou deux gouttes de Superglue dans les Rubikcubes des plus petits que soi, “trop mignon, ce gamin”, c’est donc sans penser à mal qu’à ma chère Mamie qui se plaignait des effets de l’âge en se contrefoutant des effets de serre sauf dans son potager, j’ai répondu comme ça m’est venu:
— “Pourtant, Tino Rossi dit: ‘la vie commence à 6o ans’...”

“La vie commence à 6o ans”, vous connaissez ce monument du Patrimoine Musical Intergalactique? Moi oui, ah ça. Cette chanson, quand j’étais minot combien de fois je me la suis cognée chez Mamie avec l’électrophone à fond les ballons comme si c’était du Jimi Hendrix, c’est incomptable combien de fois dans mon enfance j’ai encaissé “la vie commence à 6o ans” de Tino Rossi avec cette mielodie effrayante, pour un môme de dix ans c’est de la maltraitance caractérisée, l’abbé Morisset pouvait aller se rhabiller en comparaison de cette foutue chanson, une forme de harcèlement moral à répétition, torture chinoise, un traumatimse dont on ressort soit tueur en série soit centriste européiste, j’aimais mille fois mieux quand Papi écoutait Fernand Raynaud, “allo tonton, pourquoi tu tousses?”, mais chez les grands’parents on entendait mille fois plus Tino que Fernand, hélàs, vu que le Papi était plus souvent à fabriquer de la farine dans son moulin qu’à se les rouler dans sa production à la maison. Tiens, pendant qu’on y est, vu que dans mon enfance-modèle j’ai trop subi cette merveilleuse chanson, hé bien, je ne vois pas de raisons pour que les autres n’en bénéficient pas à leur tour, au moins une fois —for your eyes only, et les pervers que ça brancherait doivent pouvoir télécharger le truc sur tinternette, déloger dans les tréfonds du numérique un pot eud’casse Tino Rossi Live 1979 inecloudigne ‘la vie commence à 6o ans’, de quoi pourrir un moral de ouineur. On va donc se contenter des paroles, je ne suis pas sadique à ce point... mais attention, je vous préviens, c’est de la haute poésie, “la vie commence à 6o ans”. Konsstrukt vous aime bien profond.

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La jeunesse est pressée
Elle a ses problèmes et ses soucis
Nous les avions aussi
L'existence est une affaire de patience
Où chaque âge a ses plaisirs
Où il faut savoir vieillir
Avec le sourire

La vie commence à soixante ans
Quand on la connaît mieux qu'avant
Et que l'on a appris par cœur
Tous les raccourcis du bonheur
La vie commence à soixante ans
Quand on peut prendre enfin le temps
De répondre aux questions qu'on pose
De s'approcher plus près des choses

Les filles sont compliquées de nos jours
Elles le seront toujours
Toutes celles que j'ai connues dans le temps
M'en ont fait voir autant
Puis un jour un jour vient le grand amour
On fait le chemin à deux
Et la tendresse peu à peu
Nous rend plus heureux
Car

La vie commence à soixante ans
Quand on la connaît mieux qu'avant
Et que l'on a appris par cœur
Tous les raccourcis du bonheur
La vie commence à soixante ans
Quand on peut prendre enfin le temps
De répondre aux questions qu'on pose
De regarder plus près les choses

La vie commence à soixante ans
Quand on se réveille en chantant
Avec une voix toute neuve
Et un moral à toute épreuve
Quand on a encore tout à faire
Gratter ses roses, être grand-père
Chaque instant est un commencement
La vie commence à soixante ans

La vie commence à soixante ans
La la là là, lalalalaaaaaa ...>>>

Imaginez qu’à 1o ans vous entendez cette chanson des dizaines de fois à fond la caisse avec en baquegroune visuel votre Mamie chérie qui trempe sa gaine amincissante dans la cuisine sous le regard mi-accablé mi-goguenard du Papi qui s’efforce de lire son journal, pour un gamin c’est hypergore comme pèzetaque alors vous comprendrez pourquoi tant d’années plus tard je m’en rappelle trop bien, et encore vous n’avez pas la chance de profiter de la mielodie qui va avec, remerciez le ciel ou les enfers où crame Tino Rossi et ce n’est que Justice pour tant d’oreilles outragées —salauds de corses, voilà bien longtemps qu’on aurait dû couler l’île. Enfin bref, reprenons en synthétisant.
Donc suite au “fait pas bon vieillir” de ma Mamie chérie, au débotté j’ai dégainé ma citation de ce roucouleur corse qui la mettait en palpitations, mmhhh, mais j’avais beau être total raccord sur le sujet j’ai tout de suite capté à l’expression du visage de la vieille: mauvaise pioche. Qui eut pour résultat, comme disent les romanciers stylistiquement poussifs: "dardé sur l’enfant, l’œil de la grand’mère s’emplit subitement d’une bien étrange expression que le petit n’avait jusqu’à lors encore jamais perçue dans le regard de son aïeule bien-aimée". Voui. Remarque, en y réfléchissant, c’est normal. Aujourd’hui je comprends très bien qu’une bergère de 65 balais puisse se retrouver dépitée de se prendre dans le dentier un revers lifté de chez Tino Rossi par un moucheron qu’on torchait au sortir du popot il n’y a pas si longtemps. Sauf qu’à l’époque je n’ai pas du tout du tout compris que ma Mamie vénérée, qui aimait tant Tino Rossi, se mette à me matter de cet "œil rempli d’une bien étrange expression" avec un air aussi dégoûté, pauvre de moi, perplexité palpable d’une chère tête blonde qui venait pourtant de citer fort à propos son poète préféré (avec Marcel Dumont et Jack Lantier, pour les connaisseurs de l’underground seventies des mamies bretonnes —et sans doute normandes aussi, faudrait demander à François Morel). Bref, vu sa tronche, ayant manifestement commis une gaffe que je ne voyais pas laquelle, “la vie commence à 6o ans”, je suis sorti dans le jardin sans oser demander au Papi ce qui le faisait rigoler comme ça entre deux lampées de son coup de rouge qu’il en a sûrement profité de l’émotion de sa dulcinée pour reremplir son godet en loucedé —en tous cas, à sa place c’est ainsi que j’aurais agi, et d’ailleurs avec le recul je suis certain qu’il l’a fait plutôt deux fois qu’une, ce vieux matou débonnaire qui n’avait pas l’habitude de laisser glisser entre ses doigts les bonnes occasions de rajouter un petit rayon de soleil à 12° dans sa journée de meunier transpirant —tiens, un jour il faudra que je pense à vous raconter les exploits de mon Papi dans la DCA française en 194o, c’est pas mal, un vrai héros comme je les aime, aspèce de ficedeuput’ de céfran ripou j’te lèche tô mair, quôa, vô niqi tô mair chez Sorkô, bôtar de marde fôchiss, quôa, connar vô chier j’te coupe les couilles quôa... et farme ta guaule, bôtar, j’t’oncule to bite, j’te nik, yo, gros rociss ataï, un pô d’rôôôspect quôa, onculé.
Ce jour-là face à ma Mamie, disais-je avant d’être interrompu avec brio par une jeune victime du neocolonialisme qui après tout a bien le droit d’axprimer sa légitime révolte sur un mode citoyen dans une saine logique de ‘vivre ensemble’ avec les ficedeuput’ de céfran ripou dont les génitrices c’est bien normal sont léchées par les opprimés qui attendent toujours réparation, ce jour-là, le jour de ‘la vie commence à 6o ans’, déambulant perplexe dans les allées du jardin des grands’parents tel un Victor Hugo miniature dans un Guernesey loin de la mer, du haut de mes dix ans je me souviens m’être dit que ce n’est pas parce qu’on est fane de Tino Rossi qu’on est forcément d’accord avec tout ce qu’il raconte dans ses jolies chansons à mémères. Il y avait là une comme qui dirait “dichotomie” —mot dont j’ignorais encore l’existence au même titre que plein d’autres, “eschatologie”, “flexisécurité”, “adéquat”, “Pôle-Emploi”, “flachebaule”, “débandade”, sans compter les locutions genre “travailler plus pour gagner plus”, “retrait impossible, n’oubliez pas votre carte, merci”, “papiers du véhicule siou’plaît”, “c’est tout ce qui reste de la bouteille que tu viens d’ouvrir?”, “mais quand c’est que tu vas enfin te mettre à faire des choses sérieuses au lieu de passer ta vie à raconter des âneries qui te rapportent rien à part des emmerdes?”.
Au fil des années, il m’a bien fallu admettre que cette dichotomie dépassait le strict cas de Tino Rossi pour s’appliquer à tout ce qui ouvre son clapet sur Terre avec plus ou moins de pertinence dans le propos et d’élégance dans la manière —et c’est aussi à ce genre de ‘prise de conscience’ qu’on s’aperçoit pour sa pomme que si Tino Rossi dit vrai, hé bien, ça se rapproche salement le moment où elle va commencer, la vie. Et nul doute que le jour hélàs de moins en moins sciencefictionesque où sur mon gâteau d’anniversaire j’aurai à souffler six grosses bougies à la place de 6o petites, la mielleuse bande-son de l’évènement sera toute trouvée sans avoir eu à réfléchir —avec une petite pensée pour ma regrettée Mamie, forcément, et peut-être aussi pour l’abbé Morisset, qui s’il prêchait la Vérité pendant ses sermons n’est pas prêt de quitter la grille de son barbeuquiou éternel où j’irai le rejoindre dans plus très longtemps. Entre deux bronzages intégraux de l’intérieur on y poussera la chansonnette avec Tino Rossi, “pourquoi dire non maintenant, ahhh, ahhh... faut profiter tant qu’il est temps, ahhh, arrrrrgh!”
Mais on n’en n’est pas encore là, alors “buvons un coup nom de dieu la rirette, buvons un coup et buvons tant et plus, buvons un coup nom de dieu la rirette, buvons un coup... nous pisserons dru!”

Grand Architecte de l’Univers, tu ne me fais pas peur. Je suis toujours vivant et je me souviens... alors en mémoire de l’abbé Morisset, je t’emmerde —de face, de dos, de profil, sur l’auréole. Et le jour où on se verra, toi et moi, avant que je parte rôtir à l’étage inférieur pour les siècles des siècles y’aura deux-trois trucs qu’on devra clarifier entre-nous, en privé, à la régulière. Alors dans ton putain d’intérêt supérieur, je te le conseille si tu tiens à tes saintes dents: rends-moi immortel. Merci d’accuser réception. Amen, et bonjour chez toi.

***Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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