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Montaigne inconstant - 1532 -1592

Publié le 11 juillet 2010 par Ckankonvaou
Montaigne inconstant - 1532 -1592Sceptique dans qui monde qui s'ouvre, Michel Eyquem de Montaigne est sans doute le dernier des humanistes de la Renaissance. Son oeuvre unique est à la fois intimiste et critique, tant elle soulève de questions sur le spectacle de son siècle.
Dans sa tour bibliothèque
Montaigne a trente-huit ans lorsqu'il décide d'abondonner ses charges publiques et de se retirer dans son château. Il va pouvoir enfin se consacrer à ses Essais. Nous sommes en 1571.
Assis à son bureau, au sommet du pigeonnier qu'il a fait aménager en bibliothèque, ilsonge à sa jeunesse. Il se revoit enfant, courant dans la cour du château familial. Son père, selon les principes d'une éducation très moderne, avait voulu que l'enfant aprenne le latin sans effort, comme une langue vivante : précepteur et gens du château, tous sont contraints  à ne parler que le latin devant l'enfant. Il se souvient de la surprise des autres élèves à son arrivée au collège de Bordeaux devant un garçon qui ne parlait que la langue de Cicéron ! Puis il y eut ses études de droit, ses débuts de magistrat au parlement de Bordeaux, sa rencontre avec son ami Etienne de la Boétie, mort à l'âge de trente-trois ans, son mariage avec Françoise de la Chassaigne, ses six filles, toutes mortes en bas âge sauf sa petite Eléonor. Il songe à son père disparu l'année précédente. Tous ces fantômes sont là lorsqu'il commence l'écriture des Essais.
"C'est moi que je peins"
Toute l'entreprise des Essais repose sur ce principe inaugural : Montaigne sera l'objet de son livre. Oser parler de soi est une révolution mentale. Cette posture marque la naissance de l'humanisme (mettre l'homme et non Dieu au centre de l'univers). Mais attention au contresens : individualisme n'est pas narcissisme. Montaigne n'adopte pas une posture avantageuse. Son moi n'est pas souverain. Certes, il écrit sur lui et pour lui ("Je suis moi-même la matière de mon livre"), mais non pour servir sa gloire et obtenir la "faveur du monde". Au contraire. Il s'agit de mettre son âme et sa vie à nu : "Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention ni artivice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif."
Physiquement, il se dépeint sous des traits banals,, il est petit (il en fait manifestement un complexe). Psychologiquement, il se décrit comme inconstant et velléitaire. C'est d'ailleurs selon lui l'un des traits de la nature humaine, affirmé dès le premier essai : "C'est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et univorme " (Essais, I,1). Il y reviendra à plusieurs reprises. Dans "L'inconstance de nos actions" (II,1), il écrit : "Chaque jour nouvelle fantaisie, et se meuvent nos humeurs avec les mouvements du temps." C'est donc le poids des influences et des contraintes qui détermine nos actions bien plus que notre volonté ("Nous n'allons pas : on nous emporte", "Nous flottons entre divers avis, nous ne voulons rien librement, rien absolument, rien constamment").
Une volonté défaillante et un esprit inconstant, voilà comment Montaigne se dépeint et dépeint l'humanité en général. Les circonstances nous font changer d'avis... Seul ne change pas notre sentiment d'avoir toujours raison ! A travers ses propres faiblesses, Montaigne veut dépeindre l'homme en général. D'où la célèbre formule : "Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition." En se dépeignant sans concession, il cherche à dévoiler la nature humaine. Le projet consiste donc à partir de soi - ce que l'on connait le mieux et le moins bien à la fois - pour scruter l'âme humaine. Cela suppose une bonne dose d'humilité, d'autocritique, d'autodénigrement et d'autodérision ("Au plus élevé trône du monde, ne sommes assis que sur notre cul") Bien avant Sigmund Freud, il fait de l'auto-analyse. Bien avant les thérapies cognives (l'horreur ndlr), il s'interroge sur ses propres représentations et ses conditionnements mentaux. La réflexivité (capacité de distanciation vis-à-vis de soi) est aujourd'hui à la mode, Montaigne la pratiquait déjà. Il y a plus de quatre siècles. On le voit, il y a en germe chez Montaigne bien des idées fortes redécouvertes plus tard par les sciences humaines.
Les leçons des Essais
Des Essais, on retient en général le message humaniste, une conception interrogative et ouverte du savoir ("Que sais-je ?"), un projet éducatif ("Mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine"), une vision lucide et pessimiste de la nature humaine, de l'inconstance de nos actions et de nos pensées.
Il y a également l'hyme à la tolérance. De ce point de vue, Montaigne représente le parfait chic type. Lui qui vit une époque agitée par les querelles de religion se comporte en sage. Il a fait graver sur une poutre de sa bibliothèque cette sentence : "A tout discours, s'oppose un discours de force égale" Les vérités contraires s'opposent et font couler le sang. En Amérique, alors qu'au nom de Dieu on extermine sans scrupule les Indiens, lui prend leur défense : "Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie." ("Des cannibales") Anthropologue avant l'heure,, il a compris combien nos valeurs et nos jugements sont relatifs à notre milieu. En matière pénale, il sera l'un des rares de son époque à s'opposer à la torture.
On peut y lire aussi sa philosophie du bonheur. Elle se résume dit-il, à un art de mourir ("Que philosophier, c'est apprendre à mourir"). Sur ce point il ne se distingue guère des philosophes antiues dont il est nourri : une pincée de stoïcisme, une autre d'Epicure. Stoïcien, il l'est par son refus de la vanité et son courage d'affronter la mort en face : épicurien, par son goût des choses simples et le culte de l'amitié. Sceptique aussi par son sens aigu de la relativité des pensées. Ce n'est pas là quil a le plus innové.
Critiques
Mais ce serait trahir l'esprit de Montaigne que de ne lui porter que des louagnes. Beaucoup de ses idées -sur le mariage par exemple- ont vieilli. Sa prose est souvent alambiquée, la construction tortueuse et les développement ennuyeux. André Comte Sponville prévient : la lecture des Essais est difficile, parfois rebutante". Charles Dantzig est plus brutal : "Pour tout dire, il m'emmerde" (in Dictionnaire égoïste de la littérature française).
La critique la plus grave, la plus acerbe et la plus juste vient de Nicolas de Malebranche (1638-1715). Méfiez-vous de Montaigne, nous dit l'auteur de De la recherche de la vérité, l'homme est plaisant, modeste, ouvert, il a des idées généreuses ; on lui pardonne donc tout. Et on se laisse bercer par une pensée attrayante mais décousue et sans cohérence. "Ces Essais ne sont q'un tissu de traits d'histoire, de petits contes, de distiques et d'apophtegmes." Montaigne le reconnaît d'ailleurs volontiers : "Mon style et mon esprit vont vagabondant de même." Les lecteurs des Essais savent combien il est difficile de suivre les propos de l'auteur tant s'y trouve de glissements de sens, d'approximations. Mais c'est justement le propre d'un nouveau genre - l'essai. Montaigne a inventé une façon d'écrire et de penser où il se livre sans fard (comme les confidences que l'on fait à un ami). C'est une intelligence en acte qui admet ses propres failles... Décidemment, on lui pardonnera tout !
Jean-François Dortierin Cinq siècles de pensée françaiseCollection et Edition "Sciences Humaines"
La prochaine fois nous parlerons de DESCARTES
a moins que l'actualité, les médias, l'internet nous en empêchent !

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