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Dans la peau de Bill ou Slévich (épisodes 1 à 7)

Publié le 22 juillet 2010 par Sophielucide

PREAMBULE :

A la demande générale de tous mes pseudos disparus, j’ai nommé : solucide, davidovich, lamusegirl, rrosesélavy, moutonnoir, menfou et une poignée d’autres dont le nom m’échappe à l’heure où j’écris, voici le feuilleton de l’été publié précédemment sur le site Le Plum’Art en 21 épisodes, l’hiver dernier.

Après Les retraités du Plumart, et On a tiré sur Slévich, il est de mon devoir de rappeler les fondamentaux chers à Desproges :

« Ce texte est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec la réalité est à imputer à cette dernière. Toute coïncidence ou ressemblance avec des personnages réels n’est ni fortuite ni involontaire.

Je ne dis pas « ami lecteur » : on n’a pas gardé les Écritures ensemble.

DANS LA PEAU DE BILL OU SLEVICH….

  1. Pollution nocturne.

J’émergeais  à peine de ma mélancolie bihebdomadaire, ce vague sentiment gluant que je domptais par la rêverie qui m’absorbait, quand on frappa à ma porte. Il était tard pour une visite, je pensai immédiatement à une descente de police. Un voisin m’aurait donnée, en loucedé, c’était comme ça que ça se passait maintenant. J’allais cacher mes produits illicites dans le four, époussetais la table basse constellée de cendres parmi les miettes de tabac  quand les martèlements sur la porte se firent plus insistants. Mais toujours pas de « Police ! Ouvrez ! » comme dans les feuilletons télé.

Le judas semblait obstrué par un index et je finis par ouvrir à la troisième injonction.

«  Surprise ! » entonnèrent en chœur trois inconnues en investissant d’office mon appartement.

Eberluée, je les suivis dans le corridor, un vague pressentiment commençant doucement d’étreindre ma gorge. Je tentai de l’évacuer par une petite toux que je voulais discrète mais qui fit se retourner les trois femmes.

Ça c’est la toux du fumeur ! J’ai une méthode infaillible pour faire cesser ce vice : les gants de boxe !   sortit la plus âgée des trois, une petite femme avenante  d’une cinquantaine d’années.

- LBK ?????? Mais ! Qu’est-ce…Quoi….Comment ?

Son rire communicatif reprit de plus belle, accompagné cette fois par un rire de grelot

Et moi ? Et moi ?  Fit la plus jeune des trois, une jeune fille au teint de pêche et  à la silhouette frêle ;

-   Picoti ???????

Moi, je ne te pose pas la question, bien sûr ! Tu auras reconnu ma chevelure vénitienne, mes beaux yeux verts et mon corps de poétesse…

Oh non ! Maria  Vitavi en personne !  Je m’ébrouais mentalement ; ce n’était pas possible, j’étais à mon tour victime d’un de ces maudits cauchemars plumartiens  qui semblaient se répandre d’un membre à l’autre depuis la réouverture du site ;

J’étais là, debout, les bras ballants, incapable de sortir le moindre mot ou esquisser un geste. Le trio continuait de rire en se lançant des œillades qui me laissaient de plus en plus perplexe. Nullement gênées par une réaction somme toute prévisible, elles prirent place sur le canapé ; LBK sortit de sa besace une bouteille de cidre tandis que Picoti prenait la parole :

Nous comprenons ta réaction ; moi-même si on m’avait dit que je foulerai le sol français pour la première fois aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru. Mais voilà, on a besoin de toi !

-   Oui, c’est ça ; ma Picote a raison ; depuis que tu es mon Zorro, je te vois différemment. Mais c’est normal, nous sommes un peu complémentaires…

-   Hein ! Arrêtez vos délires, ok ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Je pige que dalle !

-   Oh, c’est drôle ! tu parles comme tu écris !

-   La ferme ! Bon Picoti, je t’écoute ; de quoi  s’agit-il ?

-   Tu es la seule capable de ramener Bill au Plumart ; d’ailleurs c’est toi qui l’y as conduit, pas vrai ?

-   Non, mais je rêve ! Vous avez fait tout ce chemin pour ça ? Mais je le connais pas ce mec ! Qu’est ce vous imaginiez ?

-   Taratata, coupa LBK, tes écrits parlent pour toi, et tu en sais plus que ce que tu nous as laissé entendre…

-   Bon, écoutez, je suis contente de vous voir, vraiment, mais je ne comprends toujours pas. En quoi le retour de Bill, en admettant que je le retrouve, changerait quoi que ce soit à la destinée du Plumart, hein ? Il fait ce qu’il veut, il reviendra de lui-même, ou pas, je ne comprends pas…

-   Fais pas ta jalouse ! Si c’est toi qui avais disparu, on entreprendrait les mêmes recherches, va pas croire

-   Jalouse ? M’enfin, c’est n’importe quoi ! Vous vous néovérisez ou quoi ?

-   Toujours aussi rapide ! tu as mis le doigt sur le problème !

-   Alors là, c’est niet ! Je ne dérangerai pas Bill pour un refoulé !

-   Ah ! Tu t’es trahie ! ça veut dire que tu sais où il est ! Ahahhaha ! on t’a bien eue !

-   Mais non ! Pas du tout ! Je sais rien de ce type !

-   Alors ce qu’on disait de toi était vrai ? Tu n’as vraiment pas de cœur ? Sa disparition te laisse de marbre ? Je n’y crois pas une seconde ! Tu es si sensible sous tes airs revêches…

-   Mes airs revêches ? Et quoi encore ? D’abord c’est faux, j’suis pas revêche !

-   Elle est revêche, elle est revêche…

-   Mais qu’est-ce qu’elle a la poétesse ? Une défaillance ?

-   Quelle heure est-il ? Mon Dieu, ses médicaments ! Vite un verre d’eau, après on pourra plus la tenir….

-   Bon, les amies, c’est pas que j’m’ennuie mais vous faites un peu chier quand même. Vous pouvez dormir ici si vous savez pas où aller, moi je vais me coucher. Salut !

Dans le silence qui suivit, un faible reniflement fit écho à la déglutition de Maria, avalant la poignée de médocs multicolores reposant au creux de la main de LBK.

Je savais qu’on pouvait pas compter sur elle ! C’est rien qu’une égoïste, maugréa Picoti en séchant la larme pointant au bout de son petit nez mutin.

-   Ah c’est comme ça ? Je suis une égoïste ? Alors dis-moi la vérité Picoti, c’est vraiment pour Bill que tu as entrepris ce long périple ? Allez, courage !

Cette fois, la petite se moucha bruyamment et laissa aller tout le chagrin qui faisait secouer son corps juvénile.

Slé….Slé…Slé…. C’est Slévich….. Hoqueta-t-elle avant qu’un long sanglot ne l’empêche de poursuivre.

-   Quoi Slévich ? Il est arrivé quelque chose à mon frère ? Mais parlez bon sang !

Pour toute réponse, je n’eus droit qu’à trois paires d’yeux me fixant sans la moindre trace de compassion à mon égard. C’était terrible à voir.

2.Une disparition bien étrange .


Ce qui devait arriver arriva. Avec tout ce boucan…Mon colocataire fit son entrée, les cheveux ébouriffés, les yeux encore rougis, vêtu d’un long tee- shirt informe  tombant sur ses jambes un peu maigres.

-   Je dérange ? Excuse-moi, j’viens juste prendre un verre d’eau,  il fait chaud ici, non ? Ou c’est ta beuh…J’suis déshydraté

-   Au contraire, tu tombes à pic. Je ne fais pas les présentations…

-   TOF’ !!!!!!!!!!!! s’exclamèrent les trois femmes ; Comme ça fait plaisir !

-   Ah c’est vous ? Déjà ! Je ne vous attendais que demain…

-   Quoi ? Tu savais ? Et tu ne m’as rien dit ?

-   Justement, j’allais le faire et puis je me suis laissé embarquer dans ce poème, tu sais ce que c’est… T’es pas contente ? C’est génial, non ?

-   Mouais….Revenons à Slévich, qu’est-ce qu’il a ?

-   Ah oui, Slévich….Euh, comment te dire ? Tu veux pas que je te roule un joint d’abord ? C’est délicat…

Je commençais à me sentir à bout, alors je l’ai laissé faire. Les filles semblaient soulagées maintenant. Elles se tenaient aux aguets, suivaient avec curiosité chacun des gestes de Tof’. Elles semblaient se délecter d’avance de la façon dont le jeune homme allait se tirer de cette gageure de m’affronter. J’en avais un peu marre de tous ces préjugés mais avais-je d’autre choix que faire front, une fois encore ? Je pris le cône parfait élaboré par Tof’, l’allumai, tirai une longue bouffée en attendant que mon comparse se jette enfin à l’eau.

Ce qu’il me révéla me laissa sans voix. Maria en profita pour souligner que même mon imagination débridée n’aurait pu élaborer un scénario aussi fantasque. Je lui lançai un regard noir qui sembla l’amuser. Je me demandais à présent si je n’avais pas sous-estimé sa capacité à me taper sur les nerfs. Elle faisait partie de cette catégorie de personnes, particulièrement attachantes mais foncièrement crispantes ….

Tof’ ! Enfin, c’est pas sérieux ! Tu ne peux pas me dire ça ! Pas toi !

-   Ecoute, si je me trompe ce sera tant mieux. Mais Zack partage mon point de vue, et d’autres aussi…

-   Oui Zack, bien sûr ! Il ne manquait plus que lui, tiens ! Mais comme par hasard, il n’est pas là

-   Il enquête de son côté, avec Blab’

-   Pas con comme idée, il nous prépare un remake de l’enquête à quatre pattes ?

-   Tu as tort de prendre ça par-dessus la jambe, c’est sérieux cette fois !

-   Sérieux ? Laisse-moi rigoler ! Tout ça pour une misérable pièce de théâtre ? Allons !

-   Moi, j’appelle ça un affront ! Tu n’avais pas le droit ! Maintenant faut que tu répares ! s’immisça Picoti, ragaillardie par la présence de son fidèle ami.

-   Attendez ! Ha ha ! Votre théorie ne tient pas la route car le titre qui a inspiré la pièce n’est pas de moi ! donc j’vois vraiment pas ce que je viens faire dans cette histoire…

-   S’il te plait, ne sois pas de mauvaise foi. Qui a écrit ce truc ?

-   Moi, mais…

-   Oui, le titre est de Bill et c’est justement pour ça que tu dois le retrouver et partir avec lui à la recherche de Slévich

-   Mais tu comprends pas ? L’humanité a besoin de lui ! Est-ce que je suis la seule ici à croire en son génie ? Oui, génie ! Parfaitement ! Et si vous ne l’avez pas remarqué c’est bien triste pour vous…

-   Personne ne nie ça, alors mollo !

-   Non, tu sais, personne a osé te le dire, mais cette fois tu es allée trop loin.

-   Mais vous êtes tous tombés sur la tête ! Je le connais un peu quand même, il a plus d’humour que vous ne pensez…

-   Oui, de l’humour ! Sauf que ta pièce est pas drôle !

-   Dans ce cas, je la supprime et on en parle plus ! C’est simple comme bonjour ! J’efface la pièce, je suis même prête à m’excuser s’il le faut et Slévich réapparaîtra…

-   AH ? C’est vrai qu’on n’avait pas pensé à ça….

Evidemment, j’eus  beau supprimer le texte du Plumart, de mon blog et même de mes documents, le téléphone de Slévich continuait à sonner dans le vide et les mails envoyés me revinrent avec la mention « do not exist »

J’ai une idée !, lança Picoti décidément moins fragile que je ne l’avais supposé, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

Elle dégusta un instant les regards suspendus à ses lèvres et dans un petit rire, poursuivit :

Qui, après Slévich manie la plume avec dextérité ?

…..

Le maître de la prose ami du maître de la poésie ?

…..

Le roi du polar ?

Et tous de répondre d’une même voix : EIFEILO !

3.Kénamilaquoi ?

«  Non, désolé mais je ne peux rien pour vous les amis. »

Ça c’est la voix enrouée d’Eifeilo, qu’on vient d’extirper d’un sommeil lourd qu’il s’apprête à retrouver pas plus tard que tout de suite. Il a commencé par rire des élucubrations de Picoti, a taquiné gentiment Maria à son habitude mais nous a confié qu’il n’était pas en état. Ni physique, ni psychologique. Sa seule consolation : son roman qu’il tenait maintenant et qu’il ne lâcherait à aucun prix. L’image que renvoyait la webcam n’était pas pour mettre en valeur un visage fatigué même si ses yeux brillaient comme du papier carbone.  J’ai pas fermé l’œil depuis trois jours. J’ai plus que deux semaines avant de rendre mon manuscrit. Et puis qu’est-ce que je peux faire ? Pas grand-chose, tout au plus raconter l’histoire quand vous en aurez dénoué le fil ; vous m’en voulez pas trop ? Faut qu’je vous laisse à présent…  Il n’entendit pas le cri du cœur de Picoti : la suiiiiiiiiiiiiiiiiiiite ! , la caméra lança un dernier éclair et l’écran se noircit, à l’image du petit nuage chargé suspendu au dessus de chacune de nos têtes.

Je profitais de cet intermède silencieux pour penser à une parade quelconque qui me délivrerait de cette culpabilité que je m’infligeais assez pour ne pas avoir à  endosser ce jugement sans appel de mes petits camarades. Quoi ? J’avais commis une pièce qui visait uniquement à divertir la galerie et mon seul tort  était d’en avoir piqué le titre à Bill. «  On a tiré sur Slévich avec une arme à feu de calibre 3.1415 » Qu’est-ce qu’il y avait de méchant là dedans ? J’avais beau  chercher, je ne voyais pas. Je pensais même avoir réussi à faire sourire mon frère, en pleine période de correction de son recueil de poèmes. Non ! S’il avait disparu, je n’y étais pour rien, qu’ils se mettent tous cette idée simple dans le crâne et basta !

Mais quand je relevai la tête, j’eus à nouveau droit au même regard accusateur sous des sourcils froncés.  C’est LBK qui, cette fois leva le doigt et murmura : Euh…je peux ? Je sais bien que je ne fais pas partie du sérail, mais je crois avoir ma petite idée là-dessus, mais vous ne  voulez vraiment pas goûter de mon cidre ? Vous m’en direz des nouvelles, il est fait avec les pommes du jardin de ma mère….

Nous avons échangé un regard affligé mais c’était servi de bon cœur et avec un peu de chance, on changerait de sujet….

- Moi, j’peux pas. Avec les médicaments, tu comprends…, s’excusa Maria

-   Ah du cidre ! C’est comme le Champomy, non ? Un truc pour faire la fête, s’enjoua Picoti

-   Excuse-moi, LBK, c’est pas contre toi, mais j’peux pas, ça me rappelle trop de mauvais souvenirs de mon grand’père normand, et puis j’bois jamais d’alcool, enchaîna Tof’

-   Tu crois pas qu’on devrait le mettre un peu au frais ? suggérais-je benoîtement.

-   Allez ! Pas de chichis ! Du cidre pour tout le monde ! De la part de mon nounours, fit LBK, en extirpant de la poche de son ciré une vieille peluche borgne.

Le  breuvage était infect, nous l’avions bu les yeux fermés, un rien dégoûtés par son aspect trouble où flottaient des particules brunâtres ….

- Ah ! Les produits du terroir, on a beau dire mais c’est tout d’même aut’ chose.

-   Etonnant, oui … sourit Tof’ pour masquer sa grimace

-   Tiens, c’est bizarre, j’croyais que ça pétillait le cidre…s’étonna Picoti

-   C’est fort ! On dirait du Calva… s’inquiéta Maria

-   Alors ? Ta petite idée ?

-   Hé, hé ? Vous voyez vraiment pas ? Si Marie-Louve était là, je suis sûre qu’elle comprendrait, elle. Bon, j’vous dis alors ? Vous allez pas vous moquer ? Vous savez que vous m’impressionnez tous les trois….

-   Allez, te fais pas prier ! Tu nous balances l’idée et après on va se coucher..

-   Hey ! J’suis pas fatiguée, moi, j’suis en plein décalage horaire

-   T’inquiètes, ma Picote, si tu veux on écrira à quatre mains…

-   Euh, j’dors où au fait ?

-   Bon, laissez LBK s’exprimer ! intervint Tof’ en maître des lieux ; il ne s’agirait pas qu’elle conserve de nous cette image déplorable…

-   Le kénamilateur, susurra-t-elle avant de nous offrir un sourire de contentement.

-   Hein ?

-   Quoi ?

-   Pardon ?

-   Ahhahhaaa ! Vous avez déjà tous oublié ? Mais pas moi ! Mais oui, c’est le kénamilateur qu’a kénamilé nos deux amis perdus…

-   Oh la la ! Bonjour l’illumination !

-   Bon, sur ce, au pieu ! demain est un autre jour…

-   Pensez-y cette nuit ! Vous verrez ! Le kénamilateur….

-   Ouais, c’est ça….

4.Pas de stratégie, une boucherie !

J’avais prêté ma chambre aux filles et rejoint Tof’ dans la sienne. Il nous arrivait parfois de partager son grand lit, on bavardait en se passant une cigarette, fourrée ou non, on rigolait, on parlait surtout de nos enfances qui ne nous avaient jamais vraiment quittées, il nous arrivait même de pleurer aussi mais peut-être  dans le seul but de nous consoler mutuellement. J’étais crevée, plus nerveusement que physiquement d’ailleurs. Cette venue inopinée bouleversait mes petites habitudes que je m’appliquais consciencieusement à suivre à la lettre, sans en déroger. Chacun se débrouille comme il peut, non ?

-   – Ça n’a pas l’air de te plaire, cette nouvelle mission…Moi qui pensais que cela t’amuserait…

-    - M’amuser ? Tu me prends pour Sherlock Holmes ou quoi ? La seule chose qui m’amuse, et encore, c’est écrire…Tu vois, je voyais les filles, un peu comme des personnages, les découvrir là devant moi, en chair et en os, si semblables  à ce que j’avais pu imaginer, et bien, oui, c’est vrai, j’avoue que ça me met un peu mal à l’aise…

-   – Mais pourquoi ? Elles sont sympas, non ?

-   – Oui, super sympas…

-   – Je te sens ironique, là….Qu’est-ce qui te gène vraiment ?

-   – Peut-être la réciprocité du truc, justement. Mais laisse tomber, c’est pas grave…Dis-moi plutôt ce que tu n’as pas dit et qui te brûle la langue depuis un moment..

-   – On ne peut décidément rien te cacher, c’est un peu effrayant… Je vais me mettre à penser, moi aussi que tu es une sorcière…une gentille sorcière !

-   – Continue comme ça et tu vas voir. Non, allez je commence à te connaître alors allons-y gaiement, plus rien ne peut m’étonner après ce que je viens d’entendre

-   – Ben je pense qu’on devrait appeler la cavalerie à l’aide, faut tout tenter non ?

-   – Tu crois pas que c’est un peu dangereux pour tes enfants ?

-   – Ah ! tu vois, tu y as pensé aussi ! Non, tu sais ça m’a toujours fait marrer qu’on considère LostChild complètement démuni, naïf, presque neuneu

-   – Pas du tout ! Tu te trompes ! D’ailleurs c’est mon préféré mais c’est vrai qu’il sera pas forcément à la hauteur ….

-   – Sauf qu’il ne sera pas seul ! On crée deux fronts, tu vois… A droite, l’armée des Child, à gauche la tienne, t’en as combien maintenant, une bonne dizaine, non ?

-   – Oui, à peu près…Oui je vois, avec une prise en tenaille… Why not, faut y réfléchir. Mais pourquoi n’en as-tu pas parlé ? Après tout c’est pas plus débile que le kénamilateur…

-   – Slévich perdu dans le grand désert blanc, c’est pas si invraisemblable. Tu l’aurais renvoyé  à la page blanche…

-   – Mais pourquoi vous entêtez-vous à me mettre ça sur le dos, c’est pénible !

-   – Il faut bien admettre qu’il s’est effacé au fur et à mesure que tu postais les scènes de ta pièce. Souviens-toi, à la fin, on ne voyait plus que l’image de son avatar ; plus de textes, plus rien ! C’est sur ta page que ça s’est produit, tu peux pas nier

-   – Et si j’écrivais une nouvelle pièce ?

-   – «  On n’a pas tiré sur Slévich… ? »  Mmm, j’sais pas pourquoi mais j’y crois pas.. Si au moins on savait s’il utilisait un autre pseudo, Sacavers, c’est pas lui ?

-   – ça m’étonnerait ! Il n’a jamais versé dans ce genre de vulgarité. Moi, je crois plutôt qu’il est parti dans un coin perdu sans accès internet et qu’il écrit, tout simplement

-   – C’est pas son genre de ne pas au moins nous rassurer. En général, lorsqu’il s’absente, il nous en fait part et on le laisse bosser en paix. Non, là y’a autre chose. De plus grave.

-   – Dans ce cas, il est à craindre que nos armées ne servent à rien, il pourrait très bien mal le prendre…Je sais pas, vraiment, c’est une histoire de fou…

-   – Et si on se tournait vers la science ? Peut-être Slévich est-il  tout simplement coincé dans une sorte de vide, un trou noir, j’ai déjà entendu parler de ce genre de phénomène, tu sais, l’espace-temps replié sur lui-même. Faudrait en parler à un physicien….Mais au fait !….

-   – Même pas en rêve ! Pourquoi pas l’homme invisible, tant qu’on y est ! Non, j’y crois pas…

-   – Tu as tort, ça existe, même Einstein en a parlé…

-   – Moi, j’suis pas Einstein, donc je peux rien faire pour vous, et puis je l’aurais senti s’il était arrivé quelque chose à Slévich…

-   – Tu veux toujours pas me dire pourquoi vous vous êtes autoproclamés frère et sœur ? C’est peut-être une grille de lecture possible…Aucune piste ne peut être négligée..

-   – C’est pas que je veux pas c’est que je ne sais pas…Il y a des évidences qui ne s’expliquent pas…

-   – Mouais … j’connais mes classiques quand même, j’ai lu Musil….

-   – Ahhahaha !  Je doute que Slévich apprécie qu’on le compare à l’homme sans qualité !

-   -  Et Picoti, donc ! Tu dors ?

-   -

-   -  – Cette fille serait bien capable de s’endormir au milieu d’une phrase. Jamais vu ça….Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de dormir, je me demande… Faut à tout prix qu’Air Nama nous vienne en aide, elle s’y connaît en synchronicité, elle a même écrit une thèse là-dessus…Oui, c’est ça…Air Nama….mais où est-elle au fait?

5.Long is the road…

Le lendemain, une bonne odeur de café frais nous fit lever un à un pour nous rendre, telle une armée de somnambules vers la cuisine où s’affairait LBK. Elle faisait cuire de petites galettes qu’elle  glissait dans nos assiettes, tout en fredonnant un air du folklore breton .Elle maternait Picoti qui rechignait à avaler quoi que ce fût de si bon matin, la forçant à goûter au moins le chocolat chaud  préparé rien que pour elle.   Allez, pour me faire plaisir…Regarde, tu ne veux pas que Nounours soit triste quand même….

Picoti souffla mais s’exécuta tandis que Maria faisait son entrée, toute pimpante, vêtue d’une  jupe en cuir et d’un petit haut largement décolleté.  Tu couvriras ta gorge si tu sors, on annonce encore une belle journée de froid,  annonça LBK en lui faisant la bise. Puis, s’adressant à moi, elle agita son index :  Oh, non ! Ne me dis pas que tu fumes à jeun ! Ça va pas du tout ça, Nounours aime pas ça, hein Nounours ?  Elle préféra concentrer son attention sur l’incroyable appétit de Tof’ qui enfournait les galettes d’une seule bouchée. «  C’est bien mon petit, faut qu’tu te remplumes.. »

Quant Tof’ eut englouti la dernière galette, il nous fit part de l’hypothèse de la veille concernant Air Nama.

- Mais c’est vrai ça ! Elle a disparu elle aussi ! Et s’il s’agissait d’une gigantesque machination, hein ? Commença Picoti, toute étonnée qu’on ne la prenne pas au sérieux avant que le geste explicite de Maria ne l’incite à essuyer les cernes de chocolat autour de sa bouche.

-   Et s’ils avaient été enlevés ?

-   La théorie du complot, manquait plus que ça, tiens…

-   Non, sans blague ! On s’est mobilisés pour Slévich parce que sa disparition nous a semblée pour le moins spectaculaire mais les autres ?

-   Oui : Bill, et maintenant Air Nama

-   Et Vernon

-   Et Blab’ et Azi !

-   Non, eux ça compte pas, ils ont pas convolé ?

-   Hosannam !

-   C’est vrai que ça commence à faire….

Chacun se perdit dans une réflexion qui, si elle tournait en rond, commençait de me dégager de cette foutue culpabilité, ce que je pris soin de relever.  Et comme ce constat de lucidité retrouvée me mit de bonne humeur, je leur annonçai la nouvelle.

Je vous emmène !

-   Où ça ?

-   Voir Air Nama, c’est pas ce que vous voulez ? Je suis d’accord avec Tof’, elle pourra sans doute nous aider.

Je les laissais se moquer de ma caisse « de riche » ne collant, d’après eux, pas du tout avec ce que mes écrits suggéraient. Quoi ? Avais-je jamais tu ce plaisir incompris de conduire un bolide qui colle à la route mieux qu’un morceau de scotch, qui obéit mieux qu’un toutou, qui m’assure une parfaite sécurité même quand l’aiguille au compteur grimpait dangereusement ? Non ! Alors qu’on me laisse cette satisfaction ultime avant de me jeter en prison telle une malpropre sous prétexte que je ne suis pas en phase avec le discours écolo-bobo-ronronnant dont on nous rebattais les oreilles….

D’ailleurs, une fois installés, plus personne ne broncha et les deux heures de trajet au rythme de la voix géniale de Patti Smith  s’apparentèrent à un parcours de santé en ce qui me concerne. Pas eux ; à l’arrivée, je vis leurs tronches plus livides les unes que les autres et je surpris même LBK en train de se signer.

350 bornes en deux heures… tu conduis toujours comme ça ?

-   Comme quoi ?

-   Rien…

Air Nama était visiblement ravie de nous voir. A son habitude, elle entra immédiatement dans le vif du sujet, une fois qu’elle nous eut distribué les combinaisons à bulles qu’il nous fallut enfiler sans tarder.

Quelle belle journée, n’est-ce pas ? Si ça vous dit, après déjeuner, nous pourrons faire une balade en raquettes.

6.Et Pi quoi encore ?

Je me sentais engoncée dans ce costume idiot qui crissait à chaque mouvement et n’avait même pas de poches où ranger mon paquet de clopes. Tout ce que j’espérais c’est qu’on ne croiserait personne,  aussi quand LBK sortit son appareil photo je lui défendis formellement de me shooter. Elle répondit par un « tss tss » et me fit remarquer que plus ça allait plus mon langage s’étiolait et qu’à ce rythme je rejoindrais plus tôt que je ne pensais le clan des disparus….

Il faut s’y faire, je sais, mais ça vient très vite, vous verrez ;  tenta de nous rassurer Air Nama. Elle avait préparé un buffet hallucinant où les mets rivalisaient d’inventivité.  Toutes sortes de tapas et autres enchiladas se partageaient la vedette, tout ça dans un festival de couleurs chatoyantes. C’était appétissant au diable et délicieux au goût.  Nous la bombardâmes de compliments qu’elle reçut avec modestie, se défendant d’être un cordon bleu, arguant du fait que cela n’était rien, un simple grignotage sans prétention….

Elle devint plus sérieuse en écoutant Tof’ lui faire un résumé de la situation, qui la passionna d’emblée. Elle  s’excusa et revint chargée d’un vieux grimoire qui semblait peser plus lourd qu’elle.  A notre surprise, elle le hissa au dessus de sa tête avant de le jeter sur la table où  le livre s’ouvrit comme par magie  page 31415.

Les enluminures ornant la page se reflétaient sur le visage d’Air Nama  qui sembla  un instant entrer en transe. Nous étions fascinés et attendions une lévitation ou autre miracle émanant du manuscrit quand elle s’écria : putain, fait chier, j’trouve pas

Tu cherches une formule ?Look at this, fit Maria en pointant le numéro, ça ne dit rien à personne ?

-   Trois virgule quatorze quinze ! C’est pi !

-   Pis que tu ne crois, où est Bill ?  demanda  Air Nama, d’un ton impérieux, j’ai besoin de mon rédac’ chef, débrouillez-vous ! J’veux rien savoir !

Alors que tout le monde cachait avec plus ou moins de réussite l’énorme déception face à cette chute en forme de molle pirouette un peu vaine, mon téléphone vibra et je dus percer cette foutue combinaison à effet sauna pour m’en emparer. Merde ! Mon agent !

Mais qu’est-ce que vous foutez bon dieu ! ça fait deux jours que je cherche à vous joindre et j’apprends par le plus grand des hasards que vous écrivez une merde innommable dans ce mag à la noix, vous vous foutez de qui ?

-  Euh, c’est-à-dire….

-   Taisez-vous et écoutez-moi ! Cessez immédiatement vos conneries, vous m’entendez ? J’attends toujours vos épreuves, vous déconnez là et après vous allez encore vous plaindre des éditeurs, vous commencez à me courir sur le haricot et j’le dis comme je pense !

-   Ne le prenez pas comme ça Davidovich

-   Arrêtez avec ce surnom idiot ! au boulot !

Je m’étais débarrassée de la combinaison à bulles pendant cette conversation humiliante ; ne me restait qu’à rédiger un mot d’excuse à mes camarades avant de m’éclipser. Avec un peu de chance, ils s’organiseraient et réussiraient à tirer de cet imbroglio une fable quelconque où se dégagerait un semblant de morale.

7.La famille, ça s’éparpille…


La semaine se passa tant bien que mal, entre deux coups de fil rageurs de ce sale Davidoff  qui marmonnait ses insultes le cigare à la bouche. Finalement je lui rendis les épreuves à temps, me jurant bien de changer d’agent à la première occasion ; j’aimais de moins en moins ses manières, sa propension  à dénigrer systématiquement mon style et mon humour. Qu’il aille au diable et rejoigne le troupeau des castrés ! Je me demandais tout de même ce que devenait Tof’, mon colocataire ainsi que le quatuor de filles sur les traces de Bill ou Slévich. Comme de bien entendu, je n’avais reçu aucune nouvelle d’eux,  qu’ils aillent au diable aussi, tiens ! Je tournais dans l’appart’ comme une lionne en cage, consultais régulièrement mes mails pour rien, écrivais des conneries à droite à gauche mais il fallait bien me rendre à l’évidence : tous ces cons me manquaient !

Aussi, lorsque je découvris par hasard en lisant le journal local, qu’un groupe de rap se produisait le soir même à deux pas de chez moi, je n’hésitai pas.  J’avais un besoin vital de me défouler physiquement. Les mots, les mots, c’est bien joli mais vient le moment où le corps réclame son dû et je m’étais toujours tenue à son écoute, le plus docilement du monde.  Je fis donc à pieds  les quelques centaines de mètres qui me séparaient de la péniche ancrée au bord d’un affluent de je ne sais quel fleuve, toujours est-il que ça schlinguait et je me laissais guider par l’odeur de mazout de plus en plus prégnante au fur et à mesure de mon avancée.

J’eu la sensation un peu mitigée que les groupes faisant le pied de grue sur le trottoir se fendaient pour me laisser passer et je me demandai un instant si j’avais bien fait d’avaler ce truc, si ça se trouve il était périmé ou contrefait. Mais bon, j’assumais et continuais d’avancer vers ma destinée aussi incertaine soit-elle. Face à moi, à l’entrée de la péniche, un grand gaillard m’ouvrit grand les bras :

Enfin ! On ne t’espérait plus, tu sais ; laissez passer marraine

Vernon ! Mon grand Vernon ! Ça alors ! J’étais à deux doigts de chialer donc je me mis à le houspiller :

Et alors, filleul ! C’est comme ça que tu donnes de tes nouvelles ?

Il me prit par le bras, nous éloigna des oreilles indiscrètes pointant ici ou là  et me raconta un peu des déboires qui se multipliaient, des producteurs véreux qui les entubaient, enfin tout ce qui fait le quotidien des artistes tentant de sortir un tant soit peu la tête de l’eau saumâtre de l’anonymat. D’ailleurs, il n’avait pas bonne mine du tout, je le trouvais amaigri, les joues creuses, le regard soucieux. Lorsque je lui en fis la remarque, lui rappelant au passage que j’habitais à deux pas, il m’interrompit :

« - ça c’est autre chose.

-   Hosannam ?

-   Tout juste. Crois le si tu veux, mais elle m’a laissé tomber comme une vieille chaussette..

-   Merde, Vernon, tu déconnes ! Tu l’as battue ?

-   Mais t’es folle ! Jamais ! Tu me connais quand même y’a pas plus doux que moi, j’suis un agneau…

-   Ah ouais ? Tu t’es converti au bouddhisme ? Arrête, je te connais..

-   Ok, mais non, j’te jure ! ça allait même plutôt bien ces derniers temps…

-   Elle t’a dit quoi ?

-   Mais rien, justement ! Elle s’est juste évanouie dans la nature !

-   Il lui est peut-être arrivé quelque chose…

-   Ben c’est ce qui me fait peur mais qu’est-ce que j’peux faire ?

-   J’sais pas quoi faire

-   Ben voilà et comme par hasard ça arrive la veille de la tournée ! J’suis dans la merde …impossible d’appeler les flics, tu penses..

-   Ça !

-   C’est une bénédiction ta venue ! je sens que ça va déjà mieux. Toi tu sauras quoi faire…bon j’te laisse, on se voit tout à l’heure, faut que j’y aille là, ils m’attendent

-   Ok, à plus et merde !

-   Ouais

Je sortis mon poudrier pour vérifier le truc : mais qu’est-ce que j’avais, bordel de merde ? Pourquoi je déclenchais systématiquement la confession des gens ? Qu’est-ce qui leur faisait croire que je pouvais faire quoi que ce soit pour eux ? J’avais que ça à faire peut-être ? Et comme un malheur n’arrive jamais seul, mon téléphone sonna. Si seulement c’était l’autre enfoiré de Davidovich il n’aurait pas à le regretter, après tout chacun son tour… Ce bouc émissaire se devait de prendre le relai  de temps à autre, et encaisser à ma place toute cette violence engrangée.

Encore raté. Numéro masqué. En principe j’réponds jamais ; déjà que je rechigne à me servir de cette horreur ayant décrété du jour au lendemain que puisqu’on était joignable, on avait des comptes à rendre.   Allotéoù  avait purement et simplement remplacé le bonjour amical qu’on se lançait alors.

Solu, c’est toi ?

-   Qui est à l’appareil ?

-   Slévich, ton frère

-   Impossible ! Slévich ne m’appelle jamais ainsi. Qui êtes-vous ?

-   ……

-   Allo ?

-   Je me suis mal exprimé. Disons plutôt que j’appelle de sa part

-   Oui ?

-   Je vous rappelle. Tenez-vous à l’écoute….Bon concert…

-   Mais ?

à suivre……


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