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(6) De l'art de la confession

Publié le 22 juillet 2010 par Luisagallerini

En attendant que quelqu'un vînt lui ouvrir, elle s'amusa à traduire l'affichette griffonnée à la main, qui avait été punaisée sur la porte : "Ce jour, la fermera exceptionnellement ses portes à 15h pour inventaire. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée." Marie se retint pour ne pas manifester son désespoir autrement qu'en serrant très fort les mâchoires. Malgré l'impatience qui la dévorait, elle décida, après quelques secondes de complète hébétude, de ne pas se laisser abattre. Elle allait tirer profit de cette fin d'après-midi pour visiter le musée.

(6) De l'art de la confession
Sans hésiter, elle se dirigea à grands pas vers la section égyptienne. Émerveillée, elle rejoignit la foule massée dans l'immense galerie des sculptures. Un buste colossal de Ramsès II siégeait au milieu de la salle, stoïque face à l'indiscipline de ses sujets. Des flashs crépitaient sans discontinuer, burinant le marbre et le grès, le granit et le quartz

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, martelant les stèles séculaires et blessant les statues millénaires. Dans une cage de verre, une stryge

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atterrée toisait les touristes irrespectueux. Personne ne révérait plus les dieux égyptiens, prisonniers de leurs effigies et ravalés au rang d'œuvres d'art. Divinités comme pharaons, leurs représentations étaient palpées sans qu'aucune voix ne s'élevât, et raillées sans que le ciel n'éclatât sous leur colère. Aucune offrande n'était déposée à leurs pieds ni aucune formule invocatoire déclamée en leur honneur. Quel était donc le rôle des gardiens du musée, prostrés comme leurs aïeuls de pierre ? Leur inertie stupéfiait Marie.

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Alors qu'elle s'éloignait d'un groupe de japonais qui tâtaient sans ménagement une stèle partiellement effacée par l'usure, elle fut bousculée par un couple de français dont l'homme enlaça sur-le-champ une statue de la déesse Sekhmet. Ne savait-il pas que Sekhmet, la guerrière au visage de lionne, était la déesse de la destruction, double complémentaire de la douce Bastet, représentée par une femme au visage de chatte ? La femme, visiblement aux anges, gloussait en photographiant son compagnon, qui inévitablement, avait plaqué ses deux paumes sur les seins ronds de la déesse en granit noir. Marie s'attendait à ce que le sol s'éventrât sous ses pieds pour laisser place à un cruel félin qui ne ferait qu'une bouchée du blasphémateur. Pourtant, le temps ne s'arrêta pas, la ronde infernale des humains non plus, et bien que révoltée, elle reprit sa visite en acceptant la terrible vérité. On pouvait impunément profaner les antiquités du musée et les êtres divins qui s'y terraient, car il n'y avait entre ces murs aucun désert où fuir ni aucune tombe où s'isoler pour l'éternité.

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L'extravagance et la démesure des trésors amassés dans la grande galerie était saisissante. Elle contempla longuement la statue d'Ankhrekhu

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, au regard sage, et la colossale tête en granit attribuée à Aménophis III. En hommage au gouverneur Inhouretnakhet et à sa femme Houi

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, une stèle funéraire attira son attention. Elle provenait de Naga ed-Der et datait probablement de la première période intermédiaire. Un dénommé Sydney L. Bernstein en avait fait don fait au musée au début du siècle.

L'extrait suivant était affiché :

Une offrande invocatoire pour le gouverneur, porteur du sceau du roi, ami unique, et prêtre lecteur, et vénéré devant le grand dieu, seigneur du ciel, Inhouretnakhet, qui dit :
"J'ai donné du pain à l'affamé, et des vêtements à celui qui était nu.
J'ai transporté celui qui n'avait pas de barque dans ma propre embarcation.
J'ai acheté 100 bœufs grâce à ce que j'ai accompli moi-même."

Il s'agissait d'une confession positive classique, " j'ai fait ceci de bien ", avec une liste de bonnes actions. Souvent, suivait une confession négative, " je n'ai pas fait ceci de mal ". En relisant les paroles d'Inhouretnakhet, elle réalisa à quel point cette tradition lui rappelait la confession catholique. Enfant, elle s'était confessée une fois, avant sa première communion, auprès du curé de la paroisse, un vieil homme sec et voûté, et elle s'en souvenait comme si c'était hier.

Dans l'étroit confessionnal, elle était restée muette comme une carpe, en gigotant comme un ver, tant elle était mal à l'aise. Elle entendait encore le souffle rugueux du curé, elle voyait ses pupilles noires dans l'interstice de la cabine, ses lèvres épaisses et retroussées, son rictus méditatif et son pied droit qui s'agitait sous la soutane élimée. Qu'aurait-elle dû avouer ? Paralysée par la peur, la bouche sèche et la mémoire vide, elle n'avait pas desserré les dents, ce qui bien sûr, n'avait pas été bien vu. Elle avait dû réciter un chapelet entier de prières. De ce jour, ses camarades de catéchisme l'avaient mise à l'écart, car Dieu seul savait ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter un tel châtiment.

Un quart d'heure plus tard, elle quittait le musée. Quand elle poussa la porte de sa chambre d'hôtel, elle fut assaillie par une odeur pestilentielle. Pour ouvrir les fenêtres, auxquelles une âme mal intentionnée avait retiré les poignées, elle dut appliquer les mains sur une épaisse couche de poussière. À bout de bras, elle parvint à pousser la vitre vers le haut. Le ronflement des voitures s'engouffra aussitôt, suivi d'un filet d'air frais. Marie, qui respirait à nouveau, s'allongea sur le lit.

L' amulette au creux de la main, elle ferma les yeux, épuisée. Doucement, une vague de chaleur s'empara d'elle, escaladant son dos en tourbillons légers. La chambre, dont le chauffage était tout au plus décoratif, était devenue glaciale avec la tombée de la nuit, et c'est avec délice qu'elle accueillit la langue de feu qui irradia ses membres engourdis. Les joues écarlates, elle repoussa le couvre-lit qui l'étouffait et ôta son pull en laine. Le temps était décidément imprévisible de ce côté-ci de la Manche. Alors qu'elle grelottait, quelques minutes auparavant, les pieds comme des glaçons et les doigts ankylosés, elle était à présent étendue sur les draps comme sur une plage en plein été. Plus la chaleur s'insinuait dans sa chair offerte, forçait les pores moites de sa peau assouplie et déliait ses muscles noués, plus ses yeux papillotaient de plaisir. La lumière valsait au-dessus d'elle, jonglant avec les fissures qui ondulaient comme des serpents.

Elle s'endormit la tête appuyée au papier peint crasseux. Lorsqu'elle s'éveilla, le lendemain matin, elle était en tenue d'Ève.

Mais que diable s'est-il passé pendant la nuit ?... Suite au prochain épisode !

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