Magazine Journal intime

Cap sur paradis… (épisode 2)

Publié le 28 juillet 2010 par Anaïs Valente

capparadis.jpgDeuxième épisode du mini-roman chick lit écrit par bibi et paru dans le Summer Flair 2009 (un an déjà, que le Tampax vite hein ma bonne Dame).  Publié avec l’aimable autorisation de l’équipe de Flair, afin que vous, mes lectrices de pas la Gelbique, puissiez enfin en profiter… Keskon dit ?  Merci Flair.  A suivre durant six semaines sur ce blog…  Bonne lecture.

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Premier épisode à lire ici.

Lauranne nous abandonne ensuite « entre célibataires », histoire que nous fassions connaissance.  Tandis que le bateau quitte définitivement le port, à grands renforts de bruits de sirène, nous entamons tant bien que mal quelques discussions.  Je m’oriente discrètement, tel un python face à une souris bien dodue, vers Fredo.  Pas de temps à perdre.  Mais dès qu’il ouvre la bouche, je n’ai qu’une seule envie : m’enfuir au triple galop.  Son machisme n’a d’égal que la petitesse de sa cervelle, et ses questions, uniquement orientées sur mes capacités culinaires et domestiques, me laissent présager un avenir radieux à ses côtés.  Courage, fuis, ma petite Chloé.  Je me réfugie auprès de Marc, qui semble tellement heureux de ma présence qu’il n’en finit pas de se présenter.  En l’espace de cinq minutes à peine, je sais tout de sa vie professionnelle (une réussite totale), de sa fortune (à sept chiffres et héritée de papa), de sa demeure (une maison de maître cossue dans le quartier bruxellois le plus chic), de sa voiture (rouge et clinquante) et de sa vie amoureuse (seul drame de son existence, largué sept fois, malgré ses innombrables qualités, c’est à n’y rien comprendre et blablabli et blablabla…).

Epuisée par ce monologue inintéressant, je tente en vain de me rapprocher des autres célibataires, qui sont tous plongés dans des conversations animées, bien loin de nous.  Je prétexte alors un besoin pressant et je m’éclipse en douceur, déjà épuisée par ces « mondanités » auxquelles je ne suis pas habituée.

Ravie d’échapper enfin à Marc et à sa réussite, j’arrache mon étiquette nominative, histoire de retrouver un peu d’anonymat, et je me précipite sur le pont inférieur, totalement désert.  Enfin, je respire.  Enfin, je revis.  Exit la drague aussi lourde que le Titanic.  Exit les regards langoureux et bovins.  Exit les conversations forcées et vides de sens.  Des dizaines de transats alignés comme de braves petits soldats attendent sagement le retour des passagers, qui semblent tous avoir déserté les lieux, sans doute plus attirés par l’odeur des cuisines que par un splendide coucher de soleil.  Celui-ci s’approche en effet lentement de l’horizon et le spectacle est totalement magique.  Je sors le lecteur MP3 que j’ai eu la lumineuse idée d’emporter avec moi, j’enfonce les écouteurs dans mes oreilles et je laisse Britney Spears prendre possession de mon corps.  Oui, j’ai des goûts de chiotte en matière de musique, et j’assume pleinement.  Car, être sur le pont d’un bateau, seule, à mater un splendide coucher de soleil, avec Womanizer dans les tympans, c’est un bonheur unique et absolu.  Tellement absolu que je me laisse conquérir par une soudaine envie de danser.  D’abord, seuls mes pieds battent la cadence.  Rapidement suivis par mes bras.  Puis par mon corps tout entier. Et je danse.  Je danse.  Je danse.  Je me déhanche tant que je peux, profitant de ce moment incroyable qui me ferait presque oublier les raisons de ma présence sur ce rafiot : trouver l’amour.

J’en suis à tourbillonner sur les dernières notes de la chanson lorsqu’un bruit attire mon attention.  Une sorte de raclement de gorge.  Je tourne la tête et découvre qu’un individu a osé venir troubler MON délire perso et poser son postérieur sur MES transats à moi.  Le culot monstre.  Je me pétrifie et lui lance un regard noir (le genre de regard qui signifie clairement « ça c’est mon espace, là-bas c’est ton espace, je n’envahis pas ton espace, tu n’envahis pas mon espace », à la manière de Patrick Swayze dans Dirty Dancing, version agressive), auquel il répond, un grand sourire aux lèvres et l’œil goguenard :

« Bonsoir, surtout ne vous arrêtez pas pour moi, j’adore vous regarder danser, vous êtes si… amusante ».

« … »

Comme je reste muette et immobile, méditant sur le sens du mot ‘amusante’, il persiste, toujours souriant :

« Continuez, c’est si chouette de vous voir vous déhancher, toute seule.  Au fait, vous voyagez donc seule, à moins que votre mari ne vous attende déjà au restaurant ? »

Sortant de ma torpeur, je bégaie enfin :

« Euh… oui… enfin non...  Euh…  Je veux dire, oui, je voyage seule, et non, mon mari ne m’attend pas.  En fait, je ne suis pas mariée… Je suis là pour… pour… Enfin bref, je voyage seule, oui.  »

Mais pourquoi je lui raconte tout ça ?   En quoi ça le regarde, d’ailleurs, que je sois mariée ou pas ?  Je ne suis pas ici pour me faire draguer.  Enfin, si, mais uniquement par les participants à ma croisière pour célibataires, et pas par un inconnu un peu trop curieux et moqueur à mon goût.

« Moi aussi je voyage seul, je suis journaliste pour un magazine consacré aux voyages et je réalise un reportage sur les croisières, d’où ma présence ici, vous l’aurez compris. J’imagine que si vous êtes seule, c’est que vous voyagez aussi pour le travail ? »

« En fait, non, pas tout à fait… »

« Oh ».

Silence.

Une mouche passe.

Deux mouches passent.

Il prend un air penseur, puis ajoute, l’air intrigué :

« Ne me dites pas que vous faites partie de cette bande de célibataires venus pour trouver l’amour, tout de même ? »

Je me sens rougir jusqu’à la pointe sud du lobe d’oreille, et je balbutie un presqu’inintelligible « ben si ».

Il part alors dans un éclat de rire qui n’en finit pas de ne pas finir… Il rit tant que son corps en tressaute violemment et que ses bras partent ridiculement dans tous les sens.  Ses yeux se fixent sur les miens sans plus les quitter, tandis qu’il rit encore et encore.  Même si je me surprends à trouver un charme fou à son regard moqueur, ma susceptibilité en prend un fameux coup et je tourne illico les talons, espérant qu’à rire ainsi il en avale de travers un énorme chewing-gum et qu’aucun secouriste ou médecin du bateau ne connaisse la manœuvre de Heimlich.  Ce serait bien fait.

Derrière moi, je l’entends continuer à rire.  Je me tourne et lui jette un dernier regard, que je tente de rendre le plus noir possible.  Ses yeux sont toujours braqués sur moi, tandis qu’il esquisse un dernier sourire en précisant :

« Au fait, je m’appelle Renaud ».

Je me drape dans un silence hautain et quitte les lieux, bien décidée à ne plus jamais croiser le chemin de cet oiseau moqueur durant le reste de mon voyage.

(Suite mercredi prochain)


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