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Et donc la fin

Publié le 18 décembre 2007 par Anne Malherbe
Je sais, je vous ai fait attendre.
Mais il a fallu maîtriser un incendie (un bâton d'encens qui brûlait plus que de raison).
Ensuite il se trouve que j'ai perdu mon chemin entre le faubourg Saint-Martin et le faubourg Saint-Antoine.
Tout cela m'a donc pris un peu de temps.
Mais me voici de retour. Et cela tombe bien, car la fin risque d'être longue.

J'ai donc suivi la dame à talons hauts, qui voulait me mener vers l'escalier intérieur de l'hôtel.
Comme j'ai dit, l'hôtel est petit. En vrai, il ne faut pas plus d'une demi-minute pour le traverser de part en part, à condition qu'il n'y ait pas 100 personnes à qui faire la bise au passage.
En plus de ça, Olivier Robert nous avait déjà fait faire toute la visite des chambres et des oeuvres. Il ne me restait pas grand chose à voir ; ça devait aller très vite.
Mais c'était sans compter le fait que la dame était bavarde et qu'elle avait du temps à perdre.
J'ai donc refait la visite de A à Z. J’étais même obligée de m’attarder sur les photocopies, ce qui était un comble (pour toute précision concernant les photocopies, voir billet précédent)
En plus des photocopies, elle aimait aussi particulièrement les vidéos osées.
Mais les photocopies étaient son obsession.
Moi, je les avais à peine lues, et comme, lors de la première visite, j’étais passée très vite, je ne m’étais pas rendu-compte qu’il y avait autant de chambres conceptuelles.
Car là, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus que ça. Nous étions en effet en train de suivre un couloir entier dans lequel les photocopies régnaient.
En soi, ce n’était pas très grave, sauf que c’était d’un ennui mortel. Car, en plus, la dame avait atteint l’âge de la presbytie. Et là, j’ai soudain compris que ce qu’elle voulait, ce n’était pas me montrer quelque chose, mais que je lui lise toutes les feuilles de papier.
Alors je lui dis : « excusez-moi, j’ai très mal au pied, mes cuissardes sont toutes neuves, et il faut que je retrouve mes amis. »
« Attendez-donc, mais c’est passionnant, vous n’aimez pas les chats errants? ».
Aucun rapport avec les chats errants.
Jusque là, en effet, les photocopies parlaient plutôt de "propositions" — c'est-à-dire de choses qu'on n'ose pas appeler des oeuvres et qui ne sont généralement ni faites ni à faire.
Je lui demandai quand même: "Que voulez-vous dire, par "aimer"?"
—"Je veux dire, avez-vous déjà suivi leurs traces?"
— "Si mes souvenirs sont bons, cela m'est arrivé peu souvent".
— "Alors, voyez-vous, ces photocopies sont le lieu et l'occasion rêvés pour s'y mettre".
— "Je n'en doute pas ", répondis-je.
Mais il se trouve justement que ce qu'elle disait n'était totalement sans raison, car dans la pièce où nous étions, il y avait tout un tas de photocopies consacrées aux chats errants.
Vous allez me demander "c'est quoi ces histoires?" et vous n'aurez pas complètement tort, car je ne le sais pas moi-même.
Visiblement, Olivier Robert avait soigneusement évité de nous faire visiter cette salle, qu'il ne devait pas la trouver à la hauteur.
Mais le problème, c'est que la pièce suivante, c'était la même chose, et la suivante aussi.
Et puis nous étions visiblement très loin d'atteindre l'escalier central.
"A quoi ça rime?" lui demandais-je, un brin sur les nerfs
"A rien bien sûr"
Evidemment.
Toujours est-il que c'est à ce moment-là que je commençai à rêver de pot-au-feu et d'os à moëlle.
Ce qui peut s'expliquer par le fait que c'était l'heure de dîner, mais aussi que la moindre contrariété s'exprime chez moi par une envie de pot-au-feu.
A vrai dire, cette histoire de chats errants était sans queue ni tête. C'est pourquoi, à force de rêvasser aux chats errants et aux pots au feu, et de bâiller aux corneilles, j'ai compris finalement que tout cela n'était que diversion.
Car le vrai problème, outre les escarpins excessivement pointus de la dame (mais ça, ce n'était un problème que pour ma sérénité), c'était le plafond.
Car le plafond était couvert de traces bizarres.
Certes, des traces bizarres, les artistes en avaient mis un peu partout dans les chambres.
Mais là, au plafond, ce n'était pas des traces d'artiste.
Et contrairement à ce que vous pouvez imaginer, ce n'étaient pas des traces de chats non plus (car les chats de marchent pas au plafond).
C'étaient des sortes d'indications qui montraient un chemin. Et, effectivement, c'était bien le chemin que nous suivions depuis tout à l'heure, c'est-à-dire depuis que je ne reconnaissais plus rien à rien à l'exposition initiale.
Bon, j'ai donc fini par saisir que la dame ne voulait pas m'avouer le véritable but; mais le fait est que nous avons beaucoup tourné, et que je commençais sérieusement à penser que je devrais me contenter de mon malheureux White Russian, et tant pis pour le champagne.
Sauf qu'à force de disserter sur les chats errants, nous arrivâmes à l'escalier central. Escalier que visiblement plus personne n'emprunte, vu son état d'absolu délabrement, à part peut-être les femmes de chambre qui ont envie de batifoler avec les majordomes.
Parce que pour le coup, là, il y avait quelque chose d'inimaginable.
J'avais peine à lever les yeux vers le plafond, tant j'étais éblouie.
Une espèce de fresque zénithale (on fait de l'histoire de l'art, ou on n'en fait pas) qui se répandait aussi sur les murs, avec des motifs si ineffablement terribles, que n'importe qui, sauf moi (car les critiques d'art supportent tout, à l'exception des photocopies), se transformerait en statue de sel ou en pierre — selon que vous préférez la femme de Lot ou la Gorgone.
La peinture était entièrement rouge (bien sûr, me direz-vous). Mais d'un rouge tel que même les fresque de Pompéi y laisseraient leur latin.
La dame semblait ne rien voir. Elle était seulement en train de me raconter que cela faisait un bail qu'on n'avait pas vu de chats errants dans le coin.
A vrai dire, à ce moment-là, la migraine commençait à me vriller le crâne.
Du coup, je fis un aimable sourire: "Là, euh, excusez-moi, il faut vraiment que je retrouve mes amis".
— Mais oui bien sûr! Vos amis, ils sont juste là.
Elle ouvrit une porte, derrière laquelle c'était en effet l'espèce de cafétéria miséreuse dans laquelle on avait rendez-vous pour le champagne.
Heureusement, ma coupe m'attendait.

Et les os à moëlle, songez-vous, en imaginant, goguenards, que mon histoire est totalement foireuse? Eh bien, non, mon histoire n'est pas foireuse. Je les ai mangés ensuite; car après toutes ces émotions, j'avais grand faim. Et les témoins pourront témoigner.
Ok, ceux qui étaient avec moi ce soir-là argueront que je ne portais ni robe rouge ni cuissardes ... Mais si l'on ne peut plus rien inventer!

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