Magazine Journal intime

Sept Jours sans visage

Publié le 21 décembre 2007 par Eric Mccomber
La première personne à m'avoir appelé McConcombre, c'était un collègue de maternelle du nom de Joe Scatelli. Un comique. Bien avant mon arrivée au secondaire, j'avais eu la joie d'ouïr de nombreuses modulations de ce même gag ineffable, dont Cocomber, McCocomb', McCornichon et McCorniche. Personne pour songer à McCon, mais à l'époque, l'expression n'avait pas franchi l'Atlantique, ou à tout le moins, le boulevard Industriel.
Entre temps, j'avais découvert (tard) que mes jointures étaient plus solides que la majorité des cartilages, et j'avais subi certaines transformations de mon tempérament. L’expérience avait fini par me faire associer passage-à-tabac et insultes-de-cancres, la seconde se produisant presque systématiquement en gambit du premier.
C'est donc avec un immense regret que je me retrouvai un matin à contempler la flaque pourpre qui se répandait sur le ciment sous le visage contorsionné de Gerry Maheux, en pleurs. Le pauvre bouseux en était à sa première semaine d'école à Montréal-Nord. J'avais réagi par réflexe, au son. Le ton moqueur, l’œil complaisant, la gestuelle… CLAP ! Je me tenais là, comme chaque fois (ça devait faire un an que je cassais des tronches), dégoûté, tremblant, terrorisé. J’avais vu tout de suite que je m'étais trompé sur son compte à la façon dont il s’était affaissé, tout son corps, du bassin aux épaules, exprimant défaite, reddition et stupeur. Bouleversé, je lui tendis la main. Il pleurnichait comme une fillette et la refusa. Ironiquement, alors que quelqu'un avait pour la première fois fait montre d'un certain degré d'habileté dans sa galéjade, ce fut la toute dernière fois qu'on me parla sur ce ton dans le Nord de l'île.
Sacré Gerry. Il avait fini par essayer de devenir mon ami. Je le fuyais. Il gardait de cette mésaventure une profonde marque sur le dessus du nez. Chaque fois qu’il s’assoyait près de moi, une angoisse honteuse m'agrippait le ventre. Hé, hé, hé, j'y repense et je le trouve désopilant, son trait ! Poétique, presque !… « Mou-comme-beurre ! »
La dernière fois que je suis allé le voir, en secondaire trois, je ne l'ai pas vu. Le cercueil était fermé. Gerry s'était donné un coup de .12 dans la bouche pendant le cours d'ajustage mécanique. L'angle de tir était foireux et les plombs avaient emporté le devant de sa tête, mais épargné son cerveau. Sa grotesque agonie aux urgences s’était étirée pendant une semaine.
Je repense à ça et je suis soulagé qu’il n'ait pas emporté sous terre la cicatrice que je lui avais infligé. J’aurais passé ma vie à y songer, chais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il était gentil, Gerry, avec son gros accent de Beauceron.
—© Éric McComber

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