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En rangeant ma bibliothèque

Publié le 28 août 2010 par Jlk

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À La Désirade, ce samedi 28 août. – Ranger sa bibliothèque est une épreuve à la fois tuante et roborative, pour diverses raisons que je vais tenter de démêler après avoir reclassé les quelques 2000 volumes du seul domaine français (les auteurs romands ou francophones sont ailleurs) qui s’étage en trente rayons verticaux dans l’escalier très raide de la Désirade, dont les plus élevés ne s’atteignent que par le pont-levis que j’ai fait installer, sur lequel glisse un escabeau aux oscillations vertigineuses. Atteindre Marcel Aymé ou Louis Aragon relève donc de la prise de risque, selon le cliché langagierl au goût du jour...
Or, reclassant ces précieux volumes, rescapés de moult déménagements et autres allégements successifs, et représentant néanmoins quarante ans et des poussières d’uns passion continue, j’ai été ému une fois de plus d’y retrouver, le long de ce chemin de lecture, des espèces de stèles dont les noms sériés ici par ordre alphabétique me rappellent autant d’époques et donc d’âges personnels, du Rimbaud de mes seize ans suivi du René Char et du Jean Genet de mes dix-huit ans - premiers instituteurs de mon école poétique buissonnière amorcée à treize quatorze ans par une frénésie de mémorisation de Verlaine, Baudelaire et Torugo, entre tant d’autres…
Je revois donc défiler, debout sur mon pont-levis qu’une énorme pierre de rivière tient en place, la littérature française d’Aragon à Zola, tout en repérant les « massifs » singularisés des œuvres aimées au point d’être collectionnées, à commencer par Aymé précisément, dont Pierre Gripari m’a fait une première liste des titres à lire absolument (Uranus, Maison basse, Le confort intellectuel, etc) sur un banc du Jardin des Plantes, en mai 1974…
Primeur du style

Cependant, jouxtant Marcel Aymé, Audiberti n’occupe pas moins de place, que j’ai découvert grâce à un ami de notre vingtaine, qui me fit aussi découvrir Henri Calet en même temps que je découvrais Charles-Albert Cingria le magnifique, classé tout seul ailleurs, comme Proust (au salon spécial qui lui est réservé en nos cabinets) et Céline (dans un autre recoin encore). Dans la foulée, je me dis alors que ces auteurs, souvent méconnus aujourd’hui, ont en commun un grand style absolument original, qu’il se rattache à la ligne claire de la langue française pour Marcel Aymé ou Paul Morand, ou qu’il buissonne dans la profusion baroque avec Audiberti, Cingria ou Cendrars, autre passion de jeunesse.
Audiberti que je reprends ces jours, et notamment dans ses proses inouïes de La Nâ et de Talent, pas loin du fulgurant Traité du style d’Aragon, c’est à la fois le génie poétique et les abrupts d’une pensée charnelle, si j’ose dire. C’est le cœur et la tripe au soleil noir du Midi, avec Monorail aussi dans le registre plus émotionnel des personnages, en attendant le dernier journal si fraternel de Dimanche m’attend…
Mais qui lit encore Jacques Audiberti par les temps qui courent ? C’est la question que je me pose une fois de plus en passant de rayon en rayon dont les noms m’enchantent entre tous, de Paul Morand à Pierre Jean Jouve ou de l’affreux Léon Bloy (comme le jugeait Léautaud) à l’affreux Paul Léautaud (comme le jugeait Bloy), en passant par Henri Calet, Léon-Paul Fargue, Raymond Guérin, Marcel Jouhandeau ou enfin Alexandre Vialatte ? Qui lit encore ces merveilleux écrivains de la première moitié du XXe siècle dont je vérifie tous les trois jours qu’ils n’ont pas pris plus de rides que les touts grands, à savoir Proust, Morand et Céline ?
Ma bibliothèque française, sauf en volumes de La Pléiade que je collectionne, est assez pauvre en classiques du XXe siècle, comme on dit, de Malraux à Claude Simon ou de Montherlant à Sartre. J’en excepte le sulfureux Jean Genet (comme on dit encore) dont la phrase sublime et l’érotisme transgressif ont réjoui mes dix-huit ans, Julien Green dont je n’ai lu que quelques-uns des nombreux titres que je possède (le fameux Adrienne Mesurat, notamment, François Mauriac, assez présent lui aussi et notamment aimé pour Génitrix et Le sagouin, l’étincelant duo de Colette et Cocteau, Albert Camus et naturellement Georges Bernanos.
Pour les contemporains, je crois avoir presque tout de Le Clézio, dont Le Procès verbal a aussi passionné mes vingt ans, ou de Patrick Modiano, que j’ai suivi fidèlement en tant que critique littéraire, mais les gens de ma génération ont sûrement gardé bien plus de titres du Nouveau Roman ou des Modernes que ce n’est mon cas, sauf pour forcément Duras et la Sarraute des Fruits d’or et d’Enfance, le Butor essayiste et Philippe Sollers redécouvert récemment. Par double affinité, littéraire et amicale, j’ai à peu près tout aussi de l’œuvre d’Alain Gerber, et tout aussi de Michel del Castillo et de Louis Calaferte, mais tout ça se passe assez en marge du chic intellectuel et littéraire, donc ça me va…
(À suivre…)


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