Magazine Journal intime

Rentrée politique

Publié le 12 septembre 2010 par Alainlecomte

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En matière politique, le livre de la rentrée est incontestablement le brûlot du couple Pinçon (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot) paru sous le titre « Le Président des riches », même si, très vraisemblablement, ce livre n’aura pas la couverture médiatique d’un Houellebecq. (Cela me rappelle la parution du pamphlet de Badiou, « De quoi Sarkozy est-il le nom », d’abord dissimulé dans le fond des librairies, puis devant le succès du bouche à oreille, mis en avant au point que toute la presse avait du en parler). Les « Pinçon » sont des sociologues spécialistes de la haute bourgeoisie. Jusqu’à présent discrets et écrivant sur le mode scientifique, voilà qu’ils vendent la mèche et se mettent à tout dire sur cette invraisemblable oligarchie qui nous gouverne. La lutte de classes existe et nous l’avons rencontrée disent-ils (et la journaliste du Nouvel Observateur frissonne : un livre « quasi-marxiste » - vous vous rendez compte ?). Mais si autrefois, ladite lutte était en évidence chez les prolétaires en ordre de bataille, la classe rivale se dissimulant sous les verres fumés de la bienséance, aujourd’hui, c’est l’inverse, la conscience de classe c’est la haute bourgeoisie qui la manifeste au plus haut point. Ils sont prêts de gagner la guerre et ils le savent, mais il faut pour cela avancer dans l’ordre et savoir tout mobiliser à leur compte : l’Etat, les lois, bien sûr, mais aussi la télévision, et surtout les réseaux sociaux. Qui ne prête pas une attention soutenue et quotidienne à tous les mini-forfaits et turpitudes commis en haut lieu trouvera dans ce livre un captivant résumé des chapitres précédents. Les Pinçon ont pris la plume dès le 6 mai 2007, révoltés d’abord par la fameuse nuit du Fouquet’s, et ne l’ont plus quittée. Ils ont collectionné les articles de presse, les témoignages et les interviews. En les lisant, on s’aperçoit qu’on oublie. On oublie tout le temps. Mais eux, les héros du CAC 40, ils n’oublient pas. Si nous, médiocres contribuables, remplissons nos feuilles d’impôt en suivant scrupuleusement les consignes, eux savent s’entourer des juristes qui conviennent pour dissimuler au fisc l’essentiel de leur fortune. Le bouclier fiscal ? pas la meilleure solution, ont l’air de dire les Pinçon, même si c’est un beau cadeau au plan des symboles (d’ailleurs, « bouclier » dit bien son côté guerrier, comme le dit Sarko : « un bouclier qui laisse passer des flèches, ce n’est plus vraiment un bouclier »…). Si le manque à gagner de l’Etat n’est « que » de 600 millions d’euros (et non trois milliards), c’est bien parce que tous les ayant droits ne se déclarent pas. S’ils se déclaraient… ils devraient montrer patte blanche et s’expliquer sur des revenus curieusement absents. Mais ne boudons pas notre plaisir, il est là et bien là, ce bouclier, et ceux qui en bénéficient ne s’en plaignent pas. On oublie que « non seulement, Nicolas Sarkozy fait passer le seuil du bouclier de 60% à 50% à compter du 1er janvier 2008, mais, cerise sur le gâteau, il ajoute, au total des retenues à prendre en compte, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) qui sont des cotisations sociales et non des impôts. Autrement dit, les 48% de ménages non imposables sur le revenu se voient prélever à la source, sur leur fiche de salaire, ces deux contributions sociales qui, pour les revenus élevés, contribuent à l’activation du bouclier fiscal ». Ainsi les premières mesures prises par Sarkozy au lendemain de son élection, qui ne fut pas vraiment une surprise (les réseaux s’étant activé au mieux et les financements ayant afflué), furent pour remercier la caste qui l’avait porté au pouvoir (les Pinçon énumèrent le cortège des légions d’honneur attribuées dès le 14 juillet suivant). Ne devrait-on pas dire plutôt juste faire ce pour quoi on l’avait amené là ?
Le livre des deux sociologues dépèce par le menu le petit monde où s’intriquent le politique et le financier, un petit monde qui vit ensemble, mange ensemble, s’amuse ensemble. On apprend par exemple l’existence de ce lieu unique : la villa Montmorency , quartier du XVIème arrondissement réquisitionné par l’oligarchie, ville dans la ville mais ville privée, quasi commune libre (l’envers d’un Christiania !) pour laquelle l’impôt foncier est également intégré au bouclier fiscal. Les millions d’euros sont distribués aux amis (Tapie entre autres ) en toute impunité alors que dans le même temps, on parle de faire entrer les indemnités d’accident du travail dans les revenus sujets à impôts.

On sort de la lecture de ce livre avec la conviction que loin de se cacher, le luxe et la fortune s’étalent, non par inconscience mais en tant qu’arme de provocation, afin qu’en chaque occasion où cela est possible, le couteau soit bien remué dans la plaie, pour que le citoyen modeste sache « qu’ils sont les vainqueurs », « qu’ils ont gagné la partie » et qu’il n’y a rien à attendre désormais des vieilles lunes qui régnaient au temps des grands mouvements sociaux. 

Pas d’espoir alors ? Les auteurs veulent encore croire à l’action solidaire des gens modestes. Ils disent écrire pour nous ouvrir les yeux, ce qui manque, c’est le savoir. Quand prendrons-nous véritablement conscience de ce fossé énorme qui existe aujourd’hui entre une classe sociale d’un effectif très restreint et le reste de la population ? Les auteurs nous invitent à nous promener dans les « beaux quartiers ». Ils nous invitent aussi à valoriser la dimension festive des rassemblements populaires, seule susceptible de donner un peu de cet esprit de corps, de ce lien social qui n’a jamais fait défaut chez les habitants de Neuilly ou de Passy.

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Et en ce jour de mort de Claude Chabrol, on ne peut évidemment faire autrement que penser aux portraits qu’il nous a donnés de ces milieux finement décortiqués par les époux Pinçon.

(photos Médiapart et première.fr)


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