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Publié le 18 septembre 2010 par Saucrates

Réflexion une (le 17 septembre 2010)
La remise en cause de la médecine du travail par le gouvernement français


Un article du Monde traite des modifications législatives concernant la médecine du travail (ou plutôt la santé au travail) que le gouvernement et la majorité parlementaire tente de glisser dans le projet de loi sur les retraites.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/09/16/les-medecins-du-travail-craignent-d-etre-places-sous-la-tutelle-des-patrons_1411968_3234.html
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/09/17/on-revient-a-la-medecine-du-travail-instituee-par-petain_1412430_3224.html
Cet article est à lire car il n'est pas neutre. Premièrement, il correspond à la volonté régulière et manifeste du gouvernement de dépénaliser l'action patronale, initialement en matière de droit des affaires mais aussi en matière de droit du travail, volonté qui avait déjà pris la forme d'une réécriture du code du travail. L'objectif des amendements parlementaires déposés (mais rédigés par le lobbying patronal et par les cabinets ministériels), que Le Monde décrit comme particulièrement techniques, prévoient ainsi par exemple que les missions des médecins du travail soient placés sous l'autorité de l'employeur. Il faut entendre un médecin du travail en parler car ils défendent avec véhémence leurs actions et leurs règles de déontologie.
Le médecin du travail est déjà considéré dans les entreprises par certains salariés comme un auxiliaire de l'employeur ; les informations qu'il collecte étant en effet archivées dans le dossier médical du patient et pouvant être ressorties quelques années plus tard au cours d'un nouvel entretien. D'une certaine manière, le médecin du travail est le praticien qui connaît le mieux une personne, mieux que le médecin traitant par exemple.
Mais malgré tout, le service de médecine du travail repose sur l'indépendance des médecins du travail vis-à-vis des employeurs, salariés par des organismes paritaires (sauf dans le cas des grandes entreprises qui peuvent organiser leur propre système de médecine du travail) au sein desquels les représentants des salariés disposent de pouvoirs de contrôle étendus. Les employeurs ont ainsi une obligation d'adhérer à un service de médecine du travail (ou de l'assurer eux-mêmes). Enfin, le médecin du travail est l'interlocuteur privilégié des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (Chs-ct) dans les entreprises.
Actuellement, les employeurs sont responsables de la santé de leurs salariés. Le travail est ainsi considéré comme une activité qui ne doit pas influer (négativement s'entend) sur la santé du travailleur, qui ne doit pas la dégrader. Le code pénal soumet ainsi à des peines de fortes amendes et à des peines de prison le fait de mettre en danger par négligence ou par faute la vie de leurs salariés, de les blesser ou de les tuer (homicide involontaire).
Il y a aussi et surtout une invraisemblance, une aberration dans les arguments présentés par la majorité parlementaire et par le gouvernement, d'essence libérale il ne faut pas l'oublier. Il leur semble ainsi nécessaire de réformer la médecine du travail et son positionnement en raison de la progression des maladies professionnelles dans les entreprises ; ce qui est aberrant pour plusieurs raisons.
Premièrement, cela reviendrait à changer le thermomètre d'un malade sous prétexte que le thermomètre mesurerait une augmentation de la température de ce dernier. D'une certaine façon, cela revient à changer un instrument qui mesure trop bien l'évolution des maladies professionnelles et des manquements des employeurs. Même si la médecine du travail ne sert pas uniquement à mesurer les maladies professionnelles mais aussi à protéger la santé des travailleurs. La reconnaissance des maladies professionnelles dépendant de la Caisse d'Assurance Maladie mais les médecins du travail ayant une grande importance dans leur déclaration par les salariés et dans leur dépistage, cela ressemble néanmoins très fortement à une volonté libérale de détruire un instrument fonctionnant trop bien. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la reconnaissance des maladies professionnelles entraîne des coûts financiers pour les entreprises, en terme d'indemnisation des salariés malades ou de leurs ayant-droits en cas de décès, en terme de prise en charge des remboursements de frais de maladie, et enfin en terme de hausse des cotisations d'accident du travail et de maladie professionnelle (AT-MP). Des médecins du travail aux ordres des employeurs permettraient de diminuer le nombre de reconnaissance de maladies professionnelles et donc les coûts financiers supportés par ces derniers.
Deuxièmement, la progression des maladies professionnelles dans le monde du travail est surtout la conséquence d'une meilleure connaissance des risques encourus par les salariés dans leur activité professionnelle, et par les avancées obtenues grâce à la judiciarisation des relations de travail auprès des tribunaux français, intégrées ensuite et étendues à tous les autres salariés qui peuvent être concernés par ces maladies et qui sont soumis à ces mêmes risques. La médecine du travail est justement responsable pour une part de la progression apparente des maladies professionnelles diagnostiquées et déclarées. Il y en avait tout autant auparavant, sauf que les salariés en mourraient sans que la relation avec l'activité professionnelle ne soit diagnostiquée.
Enfin, dernièrement, il est particulièrement osé d'accuser les médecins du travail d'être responsables de l'aggravation des maladies professionnelles, alors que celles-ci sont causées par la dégradation des conditions de travail dues justement à la culture de la rentabilité des employeurs, à l'absence de prise de mesures correctives par ces derniers, malgré les demandes des médecins du travail. Un certain nombre de nouvelles pathologies sont ainsi directement en lien avec les évolutions des méthodes de travail et surtout avec l'évolution des méthodes managériales, comme les troubles musculo-squelettiques ou les risques psycho-sociaux (souffrance au travail, harcellement moral ...).
La médecine du travail n'est pas responsable de la dégradation des conditions de travail dans les entreprises et à la montée des maladies professionnelles chez les salariés. Bien au contraire, plutôt que de se voir placer sous l'autorité des chefs d'entreprises, la médecine du travail a besoin d'une évolution législative de ses moyens d'actions pour pouvoir influer plus nettement sur les conditions de travail des salariés et imposer des actions pour protéger leur santé. C'est l'inverse de ce que le gouvernement français veut aujourd'hui faire passer en douce dans le texte de la réforme des retraites.
Saucratès
Note précédente :
http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/05/25/la-securite-sociale-et-les-retraites-en-france-3.html


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