Magazine Journal intime

Moines et militaires

Publié le 21 septembre 2010 par Alainlecomte

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Dominique Hasselmann avait raison , « Des hommes et des dieux », le film de Xavier Beauvois, est un très grand film, sur lequel passe un souffle d’humanité immense, un film que tout le monde devrait voir. Le réalisateur a tourné au Maroc mais les paysages sont sensiblement les mêmes que ceux d’Algérie. Je connais un peu ce pays pour y avoir été coopérant civil à la fin des années soixante-dix (pendant deux ans). Je me souviens des routes sur les haut-plateaux, du côté de Tiaret, semblables à celle où l’on voit, dans le film, des files de voitures arrêtées par le dernier attentat sanglant : les corps égorgés s’échelonnent sur les bas-côtés pendant que les militaires kakis indiquent, d’un geste du canon de leur mitraillette, aux conducteurs venus en sens inverse de circuler. La petite église, les locaux pauvres qui renferment les quelques chambres des moines respirent le recueillement et l’humilité. Je lis sur un blog fort intéressant que les deux survivants ont élu domicile dans un monastère semblable, au Maroc, à Midelt. La photo montre exactement le même genre d’église.
Je ne suis pas croyant, mais j’ai été terriblement ému quand, survolés par un puissant hélicoptère venu les intimider, les moines se regroupent pour un cantique en tentant de chanter plus fort encore que le bruit des pales. Qui de l’esprit ou de la force brutale gagnera ? on sait hélas que dans l’histoire, c’est la force brutale qui gagne. Mais à long terme ? On peut prendre des paris… on ne le saura jamais. La foi, c’est peut-être justement ça : être quand même prêt à parier pour l’esprit. Xavier Beauvois met en place les images, aménage le récit avec grand art : à la fin tout culmine vers un dernier moment de joie intense avant l’apocalypse. Cette fois, ce n’est plus un cantique qui fait monter les larmes aux yeux : c’est le Lac des Cygnes, mais peu importe que la musique soit sacrée ou profane, on comprend que la dignité humaine dépasse les oppositions factices.
En plus d’être si plein d’humanité, le film est habile (dans une bonne acception du mot) car il nous laisse sur nos questions, reste seulement suggestif quant aux responsabilités. Bien sûr, le wali insiste pour qu’ils partent, mais le GIA est une menace réelle. Bien sûr, les islamistes sont d’odieux assassins (on les voit égorger les travailleurs croates d’un chantier), mais les militaires n’inspirent guère confiance.
C’est si l’on cherche un peu sur « la toile » qu’on va rencontrer des témoignages, des reportages qui vont nous permettre de nous faire une idée plus précise. Le film ne montre pas (il n’en a pas le temps) qui sont vraiment ces religieux. Qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? pourquoi ont-ils choisi de venir ici ? Il existe un document où l’on peut voir parler le vrai « frère Christian » (admirablement joué dans le film par Lambert Wilson). Il s’y montre non seulement homme de foi mais aussi analyste politique. Du reste il fait partie de ceux qui ont soutenu l’initiative de la communauté de San Egidio, qui réussit, en plein dans les années les plus sombres, à réunir toute l’opposition algérienne, du vieux FLN au FIS, sur une plateforme commune qui aurait pu parvenir à une cessation des hostilités bien plus tôt qu’il n’en a été. Cela n’était pas du goût du régime en place. Le film ne raconte pas tout cela parce qu’il a un autre but, on ne saurait le reprocher à Xavier Beauvois.


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