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Délit de faciès

Publié le 08 octobre 2010 par Jlk

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Récits de l'étrange pays, 3.
Il m’a paru évident, lorsque la Cheffe du service des prothèses de la Top Clinique m’a appris que mon traitement ne pourrait se poursuivre avec le Dr Selim, après que j’eus insisté sur le fait que je tenais précisément aux soins de ce spécialiste, que l’argument selon lequel le Dr Selim avait trouvé un nouveau job, plus satisfaisant pour lui, cachait autre chose qu’on ne voulait pas me dire - et je me suis dit alors qu’il y avait toujours eu, décidément, autre chose avec le Dr Selim.
M’étant ensuite adressé au responsable des Ressources Humaines de la Top Clinique, suavement glacial comme la plupart des responsables de RH, je m’entendis d’abord confirmer la version selon laquelle le Dr Selim s’en était allé de son plein gré, ce qui me paraissait peu crédible après ce que le Dr Selim m’avait dit de son peu de chance de trouver le moindre emploi hors de la Top Clinique, puis, constatant mon insistance et se doutant que je savais autre chose à propos du Dr Selim, le responsable des ressources humaines de la Top Clinique convint en soupirant qu’il avait été prié par la DG de se séparer de ce spécialiste pourtant éminent, sans doute le meilleur que l’établissement avait employé jusque-là dans le domaine des prothèses modulées.
Sans me vanter, et les assistantes du Dr Selim me l’ont fait remarquer d’ailleurs à plusieurs reprises, non sans me laisser entendre qu’il y avait peut être autre chose dans l’intérêt que me portait le spécialiste, je crois pouvoir dire que j’étais devenu le client préféré du Dr Selim, et presque son ami, jusqu’au jour où ma carrière de ténor extra m’avait associé à une longue tournée en Australie et au Japon, marquant l’interruption provisoire de mon traitement.
Si le Dr Selim m’appréciait plus que ses autres clients, m’avait-il dit, c’était à cause d’un certain humour à froid qui m’avait fait lui remarquer, un jour, qu’il lui manquait juste la barbe islamiste classique pour représenter le sosie absolu d’un des hommes le plus recherchés de l’époque, en la personne du terroriste Abu Musad Al-Zarkawi. Déjà intéressé par les complications particulières que lui imposaient la préparation de ma prothèse modulée, le Dr Selim avait apprécié le fait qu’un artiste lyrique classique, partageant avec lui le goût des chansons de Johnny Cash et de la poésie arabe, puisse s’accommoder des soins d’un quasi sosie du redoutable Al-Zarkawi sans regimber, alors que maints clients prétextaient autre chose quand ils découvraient à quel type de spécialistes des prothèses modulées ils avaient été confiés, pour lui préférer un de ses collègues.
Même sans barbe, et même roulant en Volkswagen blanche, m’avait confié le Dr Selim, ma vie est pourrie à chaque frontière et dans les gares, je ne vous raconte pas, sur les places de nos villes et partout où les nouveaux plans de sécurité permettent à n’importe quel agent de m’interpeller, de m’arrêter et de me fouiller, a priori convaincu que mon badge de la Top Clinique cache autre chose.
Bref, et pour tout dire, je ne saurais nier qu’il y ait effectivement autre chose entre le Dr Selim et moi, qui motive finalement mon désir vif de le retrouver, et non seulement pour la maintenance de ma prothèse. De fait, sa sœur Aïcha, l’adorable Aïcha, la divine Aïcha ne me cédera qu’avec l’assentiment de son frère aîné, seul représentant survivant de leur famille massacrée lors des événements qu’on sait...
Image: Philip Seelen


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