Magazine Nouvelles

Décollage et racolage

Publié le 06 janvier 2008 par Laurent Matignon
Chapitre 1
Je ne me rappelle plus combien il y a eu de « nouvelles » depuis que j’ai écrit ces quelques lignes. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, je suis embarrassé. Cette fille là est tellement gentille. Certes, ce n’est pas une lumière, mais je dois avouer qu’elle a quelque chose qui a réussi à m’émouvoir. Je n’ai pas envie de lui faire du mal. En tout cas, pas de la même façon que d’habitude. Je ne me vois pas lui faire le coup du « je te trompe » cette fois ci. Il me faut pourtant m’en débarrasser. Sinon elle risquerait de devenir trop collante.

Je dois la voir dans quelques minutes. J’ai comme l’impression d’être impatient. Je trouve le temps long. Dangereux. C’est comme si j’avais besoin d’elle. Je dis « comme si », parce que c’est une sensation inédite pour moi.
Inédite et désagréable.
Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais aussi incroyable que cela puisse paraître, j’ai fui. Mieux que ça, même. J’ai quitté la ville. Parti. Envolé. Sans laisser d’adresse. J’ai tout plaqué, comme on dit.
Certes, je n’avais pas beaucoup d’attaches. On ne peut pas dire que cette vieille peau tout juste capable de se nourrir seule soit une mère à laquelle j’étais très lié. Plus de père. Heureusement. Ni frère ni sœur. Quelques amis, bien sûr. Comme tout le monde. Des gens à qui l’on fait semblant de se confier, et qui font semblant de nous connaître. Histoire de se retrouver autour d’un bon verre, et de vivre un moment où l’on a, reconnaissons-le, l’illusion éphémère de n’être plus tout à fait seul. Et puis, on a besoin d’être plusieurs pour nombre d’activités. Impossible de se faire une belote tout seul au coin du feu. Impossible en tout cas jusqu’à aujourd’hui.
Pas de boulot non plus. Je suis bien trop fainéant pour ça. Ne me demandez pas comment je fais pour vivre. Moi-même je ne le sais pas. Mais c’est un fait, je vis. Et quand je dis que je vis, je vis même plutôt bien. Vous voyez, pas du genre à végéter dans un 20 mètres carrés crasseux, non. Je n’ai pas une moquette en velours, mais juste de quoi être bien. Rectification : j’avais. Puisque je suis parti voilà quelques heures maintenant. Et que je ne compte pas revenir.
Je ne me demande pas où aller. J’avance, et ce fameux Hasard dont j’ai tant horreur fera le reste. Il paraît qu’on peut être guidé par le hasard. Certains appellent ça le Destin. Si cette chose existe, il est par définition impossible de l’éviter. Alors je verrai bien.
Première étape : je dois quitter la ville. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas pensé à prendre une carte, ou quelque chose dans le genre. Aucune importance, finalement. Le tout est de s’en aller. Direction la gare. C’est incroyable comme je me sens serein. Moi qui ne suis déjà pas du genre à courir - j’ai toujours préféré attendre quelques minutes le métro, plutôt que de dévaler l’escalier pour tenter d’attraper celui qui est sur le point de partir – je flâne, j’erre, comme si j’étais déjà loin, ailleurs, dans un nouvel univers, qui reste à découvrir. Je n’avais jamais remarqué à quel point les simples bâtiments, de chaque côté de la route, sont beaux. Sales, certes. Mais beau. Une vraie beauté, sans fard, un exemple pour bon nombre des jeunes (et moins jeunes) femmes, qui tentent vainement de dissimuler leurs fissures sous un crépi de mensonges. Les murs, eux, semblent se moquer les uns des autres. Et pratiquent l’auto-dérision avec humour. Celui-ci abrite une blessure de guerre sous un bandeau d’affiches publicitaires. Un autre a apprivoisé quelques pigeons qui ont habillé sa peau de cicatrices dont il est désormais fier.
Les autres humains ne semblent pas voir tout cela. Je suis le seul à le pouvoir. La ville a décidé de me retenir. Et, pour ce faire, elle est prête à tout. Mais ma décision est prise. Et je m’y tiendrai. Il n’est pas question de revenir en arrière.
Je ne sais de toute façon déjà plus ce que cette expression signifie.

Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog

Magazine