Magazine Humeur

Le bouffon et le parano

Publié le 04 novembre 2010 par Secondflore

"On va pas se prendre la tête", qu’ils disaient…

Hier, pour la première fois, j’ai pensé que la frontière était ténue.
Que la démocratie dans laquelle nous sommes nés et que nous pensions éternelle était une petite chose bien fragile quand elle est médiocre.

J’y ai pensé quand j’ai lu que Bockel, "ministre d’ouverture" (haha) préconisait le dépistage de la violence chez les gamins de trois ans. Ce titre du Monde, j’avais l’impression de lire une coupure de presse dans un livre d’histoire qui montrerait la montée progressive vers… (pas de nom, svp)

J’y ai pensé aussi, évidemment, avec ces histoires de journalistes espionnés et cambriolés. J’ai imaginé les rendez-vous secrets qu’ils devaient désormais donner à leurs sources, des appels masqués dans des cabines téléphoniques, des têtes qui regardent en arrière pour vérifier qu’on n’est pas suivi, des documents qui s’échangent sous le manteau, des gens ordinaires qui doivent maintenant faire attention. Tout ce qui a bercé notre imaginaire des régimes totalitaires pendant qu’on se savait croyait à l’abri.

Je me suis énervé en lisant des articles qui faisaient immanquablement référence aux années 30 et j’ai pensé qu’il faudrait peut-être écrire maintenant l’histoire possible de notre chute – lente, progressive, collective. Une histoire qui redonnerait leur figure éternelle à la folie du pouvoir, aux petits complices pas fiers, aux indécis silencieux, au corps électoral aveuglé, aux ambigus de tous poils, à ceux qui fuient les prises de tête, aux Lumières qui s’éteignent et aux hommes de l’ombre.
Une histoire où le personnage fort ne serait pas Nicolas S, mais toi, moi, et Claude G.

***

La surveillance des journalistes est directement piloté par l’Elysée, écrit le Canard Enchaîné. Ce n’est pas une surprise. Mais pour que le Canard l’écrive, c’est qu’il y a des gens qui ont parlé – et ça, c’est nouveau. Mediapart enfonce le clou et désigne Guéant, le chef d’orchestre, qui superviserait l’espionnage de ses troupes. Evidemment.
Plutôt que de me raser, ce matin, je me suis dit qu’il y a toujours eu des Guéant. Des hommes grisé par le pouvoir, heureux de l’ombre dans laquelle ils peuvent tirer manettes et ficelles, serviteurs de l’Etat tout heureux de se servir des outils de la puissance, hommes d’appareil, regardant avec dédain ceux qui se servent dans la caisse, pas jaloux de la lumière qu’attirent à eux des dirigeants qu’ils admirent et méprisent sans doute tour à tour. Des hommes de l’ordre qui n’en reçoivent que de très haut, avec une obsession – tenir l’Etat – et une passion : le renseignement.
Ah, ouvrir un courrier sous la censure, écouter en secret Carole Bouquet en 1985 ou Gérard Davet en 2010, ça doit être grisant, quand même.
D’autant qu’on peut le faire de façon presque légale. Après tout, la loi sur la sécurité des sources autorise des exceptions si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie. Des atteintes à la sûreté de l’Etat, par exemple.

Rien qu’à lire ça, on imagine aisément ce qui se passe dans n’importe quel Château.
Quand le type tout en haut, dans sa folie narcissique, confond l’Etat et Lui-même.
Quand l’homme de l’ombre nous expliquerait avec morgue que déstabiliser le maître en place revient à déstabiliser l’Etat.

Y a-t-il un contre-pouvoir à ce couple infernal ?
L’élection, peut-être. La rue, qui sait. La presse, quand elle travaille. Mais aussi, avec elle, tous ces exécutants de l’ombre qui opposent leurs états d’âme aux coups tordus de l’Etat, et qui en secret osent en parler.

Dans son édito d’Arrêt sur images, Schneidermann imaginait hier qu’avec ces fuites de la DCRI, il faudrait peut-être espionner ceux qui espionnent, pour être sûr. Il concluait :
"Les régimes policiers sombrent immanquablement dans la bouffonerie ou la paranoia. Ou les deux. On y arrive."

On y arrive.


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