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Nebraska- Les nems mous de Zheng-Zheng Lee.

Publié le 12 novembre 2010 par Les Alluvions.com
On me pousse dans une cellule humide avec à l'intérieur, un banc fait de granit et une vitre sûrement blindée permettant de voir le va-et-vient des agents de police. Pour compagnon, un jeune homme très nerveux. Il a les symptômes du parfait pookie en manque de crack, ses fringues respirent l’ammoniaque et les vapeurs empestent la cellule. Il pique des huit, se gratte le dos puis se ronge les ongles en chouinant une prière afin qu'on le sorte de là. Je me pose sur le banc pour être aux premières loges de ce spectacle désopilant. Il a le regard triste, fuyard et ses pupilles sont très noires ; il remarque à peine ma présence tant son obsession d'interpeller un des geôlier est forte. Sa colère monte et atteint son apogée lorsqu'un flic passe devant nous sans même jeter un coup d’œil dans la cellule, Le pookie se met alors à hurler et à envoyer des coups de poing dans la porte blindée. Je sais que le manque rend fou, mais je ne peux m'empêcher de lui demander de fermer sa gueule. — T'es pas tout seul ici l'crackeur, alors chiale intérieurement, merci. Le malingre cesse son vacarme, se retourne vers moi, me lance un regard haineux, puis me saute à la gorge, ongles en avant. Dos au mur, je tente de me défendre en faisant barrage avec mon pied droit, mais il parvient à l'éviter et me griffe le cou de ses doigts dégueulasses.
-Enculé ! tu m'as m'refilé le tétanos ! Je pousse alors un cri de guerrier et le jette contre le pan vertical de granit. Revenant à l'attaque une dernière fois, je lui fait un ippon et le colle au sol cette fois-ci :
- Plus jamais les ongles mec ! Je n'ai pas fait de rappel de tétanos depuis quinze ans...Je le relâche enfin. Ce qu'il ne sait pas, c'est que de me retrouver sur le dos me rend fou et cela depuis tout jeune. Je me sens comme une tortue, impuissante, condamnée à attendre qu'un museau de chien la remette sur pattes. Le pauvre gars est en pleine crise paranoïde maintenant. Il délire, rit, pleure et se lamente :
- J'ai des crampes, appelle les gardiens, j'vais crever...
- Nooon mec ! C'est juste le manque de crack qui te ronge la poitrine ! Et comme chez les camés, celle-ci est reliée directement au cerveau ; si tout se passe bien, tu ne devrais pas tarder à perdre connaissance. Au moment ou je finis de le rassurer, deux flics pénètrent dans la cellule et le traînent à l'extérieur de la cage.
Le jeune homme a l'air d'une marionnette sans plus aucun fil, une feuille de coca sèche qu'un péruvien aurait laissé traîné dans une des poches de son pantalon pendant des semaines ; il est pénombre, ombre et l'abondante hémorragie nasale dont il est victime à cet instant ne présage rien de bon pour la suite.
Il est bientôt sept heures du matin. J'ai très soif et mon estomac tente un dernier appel au secours, il grogne longuement et se fout de savoir pourquoi il se sentirait dans l'obligation de taper dans les muscles et les graisses, alors que la veille, il digérait une pizza et s'envoyait du Chablis. Devant tant de bruit, une grosse black entrouvre la porte de ma cellule, vérifie pourquoi je ne réclame rien, fronce les sourcils et me tend un verre d'eau fraîche. C'est assez tendu, je n' ai plus envie de rire et je transpire d'impatience, alors le regard fixe et noir de sarcasmes je lui demande :
- Vous allez me garder longtemps ! ?

Tenez ! Buvez ! On viendra vous chercher et restez au fond de la cellule. Je bois le verre d'eau d'un trait, respire un peu l'air venant de l'extérieur puis, tout en lui redonnant le gobelet, j'aperçois Zheng traverser les bureaux pour se diriger vers celui du shérif. Il tient fermement un panier d'osier dans ses bras. Ca ne fait aucun doute, l'homme jaune vient témoigner. Son sourire est pincé, les Chinois s' adaptent rapidement aux changements de situations et ne perdent jamais la face. Lui, s'est collée une mimique d'hypocrite sur les lèvres. Une tête à être passé
Dans la matinée, deux hommes me sortent de la cellule et m'emmènent dans le bureau du shérif. La première chose qui m'interpelle, c'est l'odeur forte de nems grillés. Je ne dis rien, mais me voyant grimacer, le chef de poste ne peut s'empêcher de froncer les sourcils et me questionner à propos de ce rictus étrange :

- Qu'y a t-il ? Vous ne vous sentez pas bien ?

- Ça va shérif...Je ne peux m'empêcher de le taquiner un peu :

- La poêle à cramé shérif ? Les carottes des nems sont cuites ?

( silence douteux )... ? La poêle ? Asseyez-vous monsieur.....L'index droit sur une fiche, Il tente de décrypter mon nom : Monsieur Powdier ?

- Bordier...

- Bowdier ? Ok. Nous avons retrouvé un couteau sous votre lit. Que comptiez-vous en faire ?


- j'ai entendu un coup de feu à l'étage, alors je me suis armé d'un couteau trouvé dans un des tiroirs de la cuisine. ( ton ironique ) Je ne sais pas si vous connaissez un certain Mr Zheng ?
o
- Monsieur Lee, vous voulez dire ?
o
- C'est possible, réponds-je, appelons le Monsieur Zheng-Lee si vous le voulez bien. Il est le traiteur chinois de l'avenue de Neverton, vous le connaissez, Shérif ?

- Hmmm. Oui...Son magasin se trouve en face de chez vous... Ses galettes de riz sont assez bonnes d'ailleurs !

- Oui. Mais ses bières, dégueulasses ! Et son corps me fait légèrement penser à un nem mou qui aurait été façonné par un européen. Il m'a souvent dit qu'au-dessus de chez moi traînaient des vagabonds ; alors j'estime avoir le droit de me protéger Shérif !
o - C'est légitime Monsieur Powdier...Et cet hématome se trouvant sous votre oeil droit ?

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