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En attendant…

Publié le 11 janvier 2008 par Frédéric Romano
Lui : Tu fais quoi dans la vie ?
Moi : Heu, c’est long à expliquer, je suis historien archiviste.
Lui : Ha ok, tu travailles dans une bibliothèque ?
Moi : Hum… heu… oui… c’est ça…

Monsieur, nous avons bien reçu votre dossier de sollicitation et nous vous remercions de l’attention que vous portez à notre société. Nous analysons en profondeur votre profil en le comparant à celui souhaité pour la fonction. Nous vous transmettrons dans les plus brefs délais notre décision sur la suite à donner à votre candidature“.

Ce genre de lettre, Romain en reçoit des dizaines chaque semaine. La plupart du temps, il termine de les lire avant d’arriver sur son pallier. Il a toujours ce même petit frémissement, cette petite excitation incontrôlée lorqu’il reçoit ce type de courrier. Romain souhaiterait changer de boulot. Il cherche, mais il n’est pas pressé. Romain est employé depuis six ans à la Société Anonyme pour la distribution de l’électricité. Il travaille seul dans un service qui ne compte qu’un seul collaborateur. Il s’occupe des archives et il saucissonne chaque jour le flux incessant de documents produits par cette monstrueuse entreprise. C’est un boulot qu’il n’aime pas plus que ça mais il le supporte. Ça lui paye son loyer et lui donne parfois l’occasion de se faire plaisir, c’est assez pour le rendre heureux. Il sait que tout cela est temporaire, il en est même persuadé. Depuis son étrange rencontre avec un réverbère, les ambitions les plus folles et des rêves autrefois insoupçonnés grandissent en lui. Il y pense souvent et les construit un peu plus chaque jour. Il s’en réchauffe le cœur les soirs d’hiver, à l’arrêt du bus, la tête enfoncée dans sa capuche.

Alors Romain ! Tu ne te sens pas trop seul là en-bas !?“. Aucun des autres employés qu’il côtoie ne voudrait être à sa place, Romain en est parfaitement conscient et il leur répond en souriant. Ce ne sont pas ses collègues après tout. Il les entend rire parfois au détour d’un couloir. Il ne les envie pas. Ses huit heures de travail, Romain les utilise à bon escient. Il bosse, certes, mais il réfléchit, pense et rêve à ce qu’il fera après, dans une minute, une heure ou dans dix ans. Samuel descend le voir de temps en temps. C’est son seul ami dans la société. C’est un garçon ouvert et sympathique, c’est ce qui importe pour Romain. Ils déjeunent de temps en temps ensemble dans ce mess bruyant et trop éclairé. “Alors Romain, quoi de neuf ?“. Il répond toujours à demi-mot à cette question. Il se contente d’un soufle, d’un haussement d’épaule, et, en détournant le regard, lâche un timide “pas grand chose“. “Ouaip, moi non plus !“. Samuel lui répond du même air désolé. Tous deux sont employés dans cette énorme société, tous deux sont célibataires et tous deux savent que cette situation ne changera pas du jour au lendemain. Pourtant, Romain a bien vu ce qui se trâmait à l’étage de la réception et c’est avec un amusement non dissimulé qu’il assiste aux rencontres maladroites de Samuel et Augustine. Il est attiré et elle est amoureuse, ça crève les yeux. Romain trouve ça touchant. Un jour, ces deux là tomberont dans les bras l’un de l’autre, c’est une certitude. Ça se passera dans un ascenseur, dans un restaurant ou dans un bar, c’est inévitable. En attendant, Samuel vit, il mange, il travaille, il réfléchit, il passe le temps, tout simplement, et Romain aussi.

En attendant…“. C’était un peu ça la philosophie de Romain. Avant qu’on ne lui apporte le somptueux et l’inattendu, avant qu’il ne trouve quelque chose ou quelqu’un pour lui, il se délectait déjà de l’attendre et, de cette sage patience naissait l’espoir. Fière de cette manière de vivre, il retournait de temps en temps voir son “maître” qui le lui avait inspirée, le réverbère de l’avenue du parc. Un soir d’hiver, Romain alla s’asseoir aux côtés de son ami de bronze, à l’arrêt du bus cent quatre-vingt un. Ce jour-là, il n’était pas le seul à en attendre quelque chose. Un homme d’une trentaine d’années tournait autour de la lampe. Il inspectait scrupuleusement l’objet en grattant de temps en temps l’une ou l’autre vis rouillées. Il avait déposé par terre quelques livres et un classeur sur lequel était inscrit le nom de “Guillaume L.”. Romain fut intrigué. Si l’homme semblait inspecter si sérieusement le réverbère, peut-être avait-il, lui aussi, été confronté à un phénomène inexplicable. Il le regarda encore quelques minutes et décida ensuite de lui adresser la parole. “Excusez-moi Monsieur, puis-je vous aider ? Que cherchez-vous ?“. L’homme, dérangé dans sa méticuleuse recherche, leva violemment les yeux vers Romain. “Pardon ? Heu… rien, je ne cherche rien…“. Il se redressa précipitamment, s’essuya les mains sur le pantalon, ramassa ses bouquins et le dossier qui traînaient à ses pieds. Romain s’excusa à nouveau et continua. “Ha, heu… c’est juste que… je pensais que vous aussi aviez remarqué que ce réverbère était un peu… particulier“. Il avait à peine terminé sa phrase que l’homme s’avança vers lui et lui agrippa le bras. “Vous aussi ? … Vous aussi vous l’avez rencontré ?“. Romain se dégagea et fit quelques pas en arrière. “Mais enfin, qui aurais-je du rencontrer ? De qui parlez-vous ?“. Au moment où il termina cette question, ils remarquèrent la présence d’un troisième homme qui se tenait à quelques mètres d’eux. Le visage de l’autre se décomposa. Il relâcha son classeur et ses livres, tourna le tête, et, dans un petit ricanement, pointa le nouveau venu du doigt en disant à Romain : “C’est lui ? … C’est lui que vous attendez n’est-ce pas ? … L’allumeur de réverbère…“.


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